LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu l'ordonnance du président de la troisième chambre civile du 22 mars 2013 prononçant la jonction des pourvois n° M 12-28.578, N 12-28.579, P 12-28.580, Q 12-28.581, R 12-28.582, S 12-28.583, T 12-28.584, U 12-28.585 et V 12-28.586 ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis :
Attendu que les expropriés font grief à l'arrêt attaqué (Rennes, 22 juin 2012), de dire que l'article R. 13-49 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est conforme à l'article 6, § 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de prononcer la déchéance de leur appel, alors, selon le moyen, que si l'article R. 13-49 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dispose que l'appelant doit, à peine de déchéance, déposer ou adresser « son mémoire et les documents qu'il entend produire » au greffe de la chambre dans un délai de deux mois à dater de l'appel, cette déchéance de son appel ne saurait s'appliquer dans les cas où la partie expropriée appelante, tout en ayant déposé ou adressé son mémoire à l'intérieur du dit délai, a, cependant, produit ses pièces et documents à l'extérieur de celui-ci, sauf à porter une atteinte disproportionnée à son droit à un procès équitable et à son droit à un recours effectif, ainsi qu'à son droit de propriété ; que, dès lors, en ayant retenu la licéité d'une telle mesure pour sanctionner le seul dépôt tardif des pièces produites par les parties expropriées appelantes, la cour d'appel a violé le texte précité, ensemble l'article 6, § 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er de son Protocole additionnel n° 1 ;
Mais attendu que les dispositions de l'article R. 13-49 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique s'appliquant indifféremment à l'expropriant ou à l'exproprié selon que l'un ou l'autre relève appel principal de la décision et l'obligation de déposer les pièces visées dans le mémoire d'appel en même temps que celui-ci étant justifiée par la brièveté du délai imparti à l'intimé et au commissaire du gouvernement pour déposer, à peine d'irrecevabilité, leurs écritures et leurs pièces, la cour d'appel a fait une exacte application de cet article, sans porter une atteinte disproportionnée aux droits garantis par l'article 6, § 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er de son Protocole additionnel n° 1 ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chaque demandeur la charge des dépens afférents à son pourvoi ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen identique produit au pourvoi principal et au pourvoi incident n° R 12-28.582 par Me Spinosi, avocat aux Conseils, pour les demandeurs et pour M. et Mme René et Louise X....
Il est reproché aux arrêts attaqués d'avoir dit que l'article R. 13-49 du Code de l'Expropriation était conforme à l'article 6, § 1er de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et d'avoir prononcé la déchéance des appels interjetés ;
Aux motifs que « l'article R 13-49 al 1 du code de l'expropriation dispose que l'appelant doit, à peine de déchéance, déposer ou adresser son mémoire et les documents qu'il entend produire au greffe de la chambre dans un délai de deux mois à dater de l'appel.
Les appelants soutiennent que cet article méconnaît les dispositions de l'article 61 de la CEDH, relatives au droit à un procès équitable, en ce qu'elles imposent que le mémoire soit nécessairement accompagné de pièces, sous peine d'être sanctionné par la déchéance de l'appel, ce qui interdit à un appelant de fonder son recours sur un moyen de pur droit sans aucune référence factuelle. Ce moyen ne peut justifier la demande de sursis fondée sur l'existence d'une question préjudicielle, puisque la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme est d'application directe et qu'il appartient au juge du fond de trancher la conventionnalité de la norme critiquée si celle-ci n'a pas de valeur constitutionnelle, comme en l'espèce.
Or contrairement à ce que soutiennent les expropriés , l'article en cause ne limite pas l'étendue de l'argumentation pouvant être développée par l'appelant devant la cour. Ses exigences en terme de communication de documents, ne peuvent concerner que l'hypothèse où l'appelant souhaite communiquer des pièces au soutien de ses prétentions et de son argumentation et s'appliquent notamment à celles sur lesquelles il s'appuie et qu'il vise dans son mémoire d'appel. Il s'en déduit qu'un appelant dont l'argumentation est exclusivement fondée sur un moyen de pur droit, et qui n'invoque aucun élément factuel, situation toutefois exceptionnelle, ne pourra se voir reprocher l'absence de communication de pièces dans les deux mois de l'acte d'appel et appliquer la déchéance. Dès lors, l'article R 13-49 du code de l'expropriation ne contrevient pas à l'article 6-1 de la CEDH, ce d'autant que s'appliquant indifféremment à l'expropriant ou à l'exproprié, selon que l'un ou l'autre a relevé appel principal, il n'introduit pas de rupture dans l'égalité des armes. Ce moyen sera donc rejeté.
Il est constant que le juge judiciaire n'a l'obligation de poser une question préjudicielle que si le problème posé par l'acte administratif, en l'espèce un décret, présente un caractère sérieux, ce qui n'est pas le cas. En effet, si comme le relève la partie expropriante l'article R 13-49 du code de l'expropriation instaure des délais et une procédure dérogatoires au droit commun pour produire les pièces, ce qui n'est pas en soi un motif d'illégalité, il ne prive pas l'appelant de la possibilité de produire l'ensemble des pièces qu'il estime utiles, qui seront adressées aux autres parties par le greffe et débattues contradictoirement quant à leur pertinence. Par ailleurs, il ne s'oppose pas aux règles d'administration de la preuve prévues par les dispositions du code de procédure civile invoquées par les appelants, qui contrairement à ce qu'ils indiquent, ne résultent pas de dispositions législatives mais du décret du 5 décembre 1975 et de ses modifications. Il s'inscrit en effet dans la logique de l'article 9 du code de procédure civile relatif à l'obligation pour une partie de prouver les faits qu'elle allègue et de l'article 132 dans sa rédaction issue du décret du 9 décembre 2009, qui impose à la partie qui fait état d'une pièce de la communiquer spontanément.
En outre, les contraintes de délai et le risque d'une procédure figée dénoncés par les appelants sont compensés par les dispositions de l'article R 13-33 qui offrent la possibilité de communiquer au-delà du délai de deux mois d'autres pièces nécessaires à la solution du litige sous le contrôle du juge.
¿ En l'espèce, il apparaît que les expropriés ont interjeté appel par courrier réceptionné le 17 juin 2011, qu'ils ont déposé leur mémoire d'appel au greffe le 17 août 2011, donc dans le délai de deux mois exigé par l'article R 13-49. Aucun document n'a cependant été déposé dans ce délai alors que l'utilisation de la conjonction « et » indique clairement que le délai imposé concerne tant le mémoire que les pièces. Plusieurs documents ont par contre été déposés en annexe d'un mémoire complémentaire du 28 novembre 2011, un acte de vente du 7 septembre 2006 entre les consorts Y... et la société les Allées de la Balinière et un avenant à un compromis du 3 décembre 2004 entre les consorts Y... et la société MONNE CROIX PROMOTION.
Par ailleurs dans leur mémoire d'appel du 17 août 2011, ils font référence à des pièces et éléments de comparaison (actes de vente) au soutien de leur argumentation qui n'ont pas été déposés au greffe dans le délai requis, mais pour certains avec le dossier remis à l'audience, alors que leur date permettait une transmission régulière.
En outre, contrairement à ce que soutiennent les appelants, la cour en raison de l'effet dévolutif de l'appel, posé par 561 du code de procédure civile se trouve investie de la connaissance du litige et doit à nouveau statuer en fait et en droit, sans que cette dévolution s'étende aux pièces produites en première instance, dont la communication en appel demeure comme le prévoit l'article 132 du même code à la liberté des parties, qui ont de plus la possibilité d'en présenter de nouvelles.
Au vu de ces éléments et par application de l'article R 13-49 précité, il convient de prononcer la déchéance de l'appel interjeté par les expropriés » ;
Alors que, si l'article R. 13-49 du Code de l'Expropriation dispose que l'appelant doit, à peine de déchéance, déposer ou adresser « son mémoire et les documents qu'il entend produire » au Greffe de la Chambre dans un délai de deux mois à dater de l'appel, cette déchéance de son appel ne saurait s'appliquer dans les cas où la partie expropriée appelante, tout en ayant déposé ou adressé son mémoire à l'intérieur dudit délai, a, cependant, produit ses pièces et documents à l'extérieur de celui-ci, sauf à porter une atteinte disproportionnée à son droit à un procès équitable et à son droit à un recours effectif, ainsi qu'à son droit de propriété ; que, dès lors, en l'espèce, en ayant retenu la licéité d'une telle mesure pour sanctionner le seul dépôt tardif des pièces produites par les parties expropriées appelantes, la Cour d'appel a violé le texte précité, ensemble l'article 6, § 1er de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales et l'article 1er de son Protocole additionnel n° 1.