LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° U 12-14. 509 et R 13-16. 511 ;
Sur la recevabilité du pourvoi n° U 12-14. 509 :
Attendu que le pourvoi n° U 12-14. 509, formé avant expiration des délais d'opposition à l'arrêt attaqué, rendu par défaut, est irrecevable ;
Sur le pourvoi n° R 13-16. 511 :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 4 avril 2011), que le 26 janvier 1977 les époux X... ont vendu à deux de leurs enfants, M. Didier X... et Mme Régine X..., la nue-propriété d'un immeuble dont ils se réservaient l'usufruit leur vie durant ; que les époux X... étant décédés les 22 juillet 1987 et 17 septembre 2006 en laissant pour leur succéder leurs neuf enfants, des difficultés se sont élevées quant à l'application à cet immeuble des dispositions de l'article 918 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexé :
Attendu que M. Didier X... fait grief à l'arrêt de dire que, conformément au texte précité, la vente est une donation déguisée devant être réunie fictivement pour former la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible ;
Attendu que, par décision n° 2013-337 du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel ayant déclaré ce texte conforme à la constitution, le moyen qui invoque en ses deux premières branches la cassation par voie de conséquence de sa déclaration d'inconstitutionnalité est devenu inopérant ;
Sur la troisième branche du premier moyen :
Attendu qu'il est fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que la présomption de gratuité de l'article 918 du code civil est susceptible de preuve contraire ; qu'en jugeant en l'espèce que l'existence de remboursements par M. Didier X... du prêt qui lui avait été consenti pour le paiement de l'acquisition, à ses parents, de la nue-propriété de l'immeuble litigieux n'était pas de nature à remettre en cause la présomption de gratuité évoquée par l'article 918 ancien du code civil, la cour d'appel a violé ce texte ;
Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la présomption instituée par l'article 918 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006 présente un caractère irréfragable, de sorte que l'existence de remboursements du prêt contracté par M. Didier X... pour financer son acquisition n'est pas de nature à la remettre en cause ; que le moyen n'est donc pas fondé ;
Et sur le second moyen, pris en ses deux branches, ci-après annexé :
Attendu que ce moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° U 12-14. 509 ;
REJETTE le pourvoi n° R 13-16. 511 ;
Condamne M. Didier X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf janvier deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits au pourvoi n° R 13-16. 511 par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. Didier X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR, par confirmation du jugement, dit que, conformément aux dispositions de l'article 918 du Code civil, l'acte de vente de la nue-propriété de l'immeuble sis à COISMARE, ... et consenti par les époux X...- Y... le 26 janvier 1977 à leurs deux enfants Didier et Régine X... pour le prix de 200. 000 francs est une donation déguisée devant être fictivement réunie pour former la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « sur l'application des dispositions de l'article 918 ancien du Code civil, cet article établit à l'encontre de toute aliénation de biens effectuée au profit de successibles en ligne directe, enfants ou petits-enfants, avec réserve d'usufruit une présomption de gratuité, cette présomption étant irréfragable ; qu'en l'occurrence, par acte notarié en date du 26 janvier 1977, M. Odo X... et Mme Marie X... ont vendu une maison d'habitation à deux de leurs enfants, M. Didier X... et Mme Régine X..., chacun pour moitié, et se sont réservés l'usufruit ; que la maison a été acquise à l'aide d'un prêt de 100. 000 francs consenti à chacun des deux enfants ; que les raisons familiales ainsi que l'existence de remboursements évoquées par M. Didier X... ne sont pas de nature à remettre en cause la présomption de gratuité évoquée par l'article 918 ancien du Code civil dont le but est de sanctionner les donations déguisées pratiquées par certains ascendants tentés d'avantager certains de leurs descendants par le biais d'une donation déguisée ; qu'en conséquence, il convient de considérer l'acte de vente comme une donation déguisée devant être fictivement réunie pour former la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible ; que le jugement est donc confirmé sur ce point.
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'« aux termes de l'article 918 du Code civil " la valeur en pleine propriété des biens aliénés, soit à charge de rente viagère, soit à fonds perdus ou avec réserve d'usufruit à l'un des successibles en ligne directe sera imputée sur la portion disponible ; et l'excédent, s'il y en a, sera rapporté à la masse. Cette imputation et ce rapport ne pourront être demandés par ceux des autres successibles en ligne directe qui auraient consenti à ces aliénations ni dans aucun cas, par les successibles en ligne collatérale " ; que ce texte établit donc une présomption de gratuité à l'encontre de toute aliénation avec réserve d'usufruit consentie à un successible en ligne directe ; que tel est le cas en l'espèce ; qu'en effet, il est constant que suivant acte notarié du 26 janvier 1977 dressé par Maître Bernard Z...notaire à LUNEVILLE, les époux X...- Y... ont vendu à deux de leurs enfants Didier et Régine, leur maison d'habitation sise à CROISMARE, ... pour le prix de 200 000 francs, payable intégralement à l'aide d'un prêt de 10 000 francs consenti à chacun des deux acquéreurs par la CAISSE VEPARGNE, vente consentie à hauteur de moitié chacun avec réserve d'usufruit au profit des vendeurs, sans que les autres successibles réservataires ne soient intervenus à cet acte de vente ; que la version de Didier X... sur les causes du " montage juridique'consistant aux époux X... de " trouver de l'argent frais " en vendant à deux de leurs enfants la nue-propriété de leur immeuble en leur faisant souscrire un emprunt personnel auprès de la Caisse d'Epargne, apparaît plausible puisqu'il qu'il ressort de l'acte notarié de vente établi le 26 janvier 1977 que Monsieur X... se trouvait assisté d'un administrateur judiciaire en vertu d'une ordonnance rendue par Monsieur le Juge commissaire au règlement judiciaire de l'entreprise X... ; que toutefois, les motifs de cette vente en nue-propriété propres aux époux X... ne modifient en rien la présomption de gratuité s'attachant à cette vente de nue-propriété qui leur a permis certes de conserver la jouissance de leur bien mais de réaliser également, même s'ils n'en ont pas eu conscience, une donation déguisée au profit de deux de leurs enfants et ce quand bien même cette vente de nue-propriété n'a pas été faite dans le but de nuire aux autres héritiers réservataires mais au contraire, comme l'indique d'ailleurs Didier, dans l'intérêt de toute la famille ; qu'il n'en demeure pas moins que cet acte de vente doit être considéré comme une donation déguisée, Régine reconnaissant d'ailleurs dans un acte sous seing privé du 24 mai 1986, que le prêt qu'elle a souscrit auprès de la Caisse d'Epargne le 16 octobre 1976 pour l'acquisition de la nue-propriété de l'immeuble a été remboursé exclusivement par ses parents ; quant à Didier, si les documents domestiques versés par les demandeurs et rédigés par Madame Veuve X... permettent de relever, de façon d'ailleurs assez confuse que les échéances des prêts remboursés à la Caisse d'Epargne semblent avoir été remboursées dans leur presque totalité soit par l'entreprise, soit par les époux X... eux-mêmes, soit de façon très ponctuelle par Didier, ces quelques remboursements d'échéances par Didier ne modifient en rien l'application de la présomption de gratuité de l'acte s'attachant à la vente de la nue-propriété à des successibles réservataires, étant rappelé que tant Didier que Régine demeurent favorisés par rapport à leurs autres cohéritiers puisqu'ils sont seuls bénéficiaires, de la quotité disponible qu'ils se partageront par moitié ; qu'il convient en conséquence de dire que, conformément aux dispositions de l'article 918 du Code Civil, l'acte de vente de la nue-propriété de leur immeuble consenti par les époux X... ¬ Y... le 26 janvier 1977 à leurs deux enfants Didier et Régine pour le prix de 200 000 francs, est une donation déguisée devant être fictivement réunie pour former la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible » ;
1°) ALORS QUE les dispositions de l'article 918 du Code civil ancien portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et plus particulièrement au droit de propriété tel que garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, en ce que le caractère irréfragable de la présomption de gratuité qu'il instaure selon l'interprétation donnée par la Cour de cassation est susceptible d'aboutir, par le biais de la réduction, à priver d'une fraction de la valeur de sa propriété celui qui a acquis, à titre onéreux, d'un parent en ligne directe, la nue-propriété d'un bien, lorsque la valeur de ce bien excède la quotité disponible dont le parent pouvait disposer librement ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué, qui a dit qu'en application de l'article 918 du Code civil ancien, la vente intervenue de la nue-propriété de l'immeuble litigieux était une donation déguisée devant être fictivement réunie pour former la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible, se trouvera privé de base légale au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ;
2°) ALORS QUE les dispositions de l'article 918 du Code civil ancien tel qu'elles sont interprétées par la Cour de cassation portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et plus particulièrement à la liberté contractuelle consacrée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, en ce que le caractère irréfragable de la présomption de gratuité qu'il instaure selon l'interprétation donnée par la Cour de cassation est susceptible d'interdire à un héritier présomptif de conclure avec un ascendant l'un des contrats à titre onéreux qu'il vise, sauf pour l'héritier à risquer de perdre la valeur de sa prestation qu'il aura versé ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué, qui a dit qu'en application de l'article 918 du Code civil ancien, la vente intervenue de la nue-propriété de l'immeuble litigieux était une donation déguisée devant être fictivement réunie pour former la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible, se trouvera privé de base légale au regard de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, la présomption de gratuité de l'article 918 du Code civil est susceptible de preuve contraire ; qu'en jugeant en l'espèce que l'existence de remboursements par Monsieur Didier X... du prêt qui lui avait été consenti pour le paiement de l'acquisition, à ses parents, de la nue-propriété de l'immeuble litigieux n'était pas de nature à remettre en cause la présomption de gratuité évoquée par l'article 918 ancien du Code civil, la Cour d'appel a violé ce texte.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de Monsieur Didier X... tendant à se voir reconnaître une créance sur la succession des époux X... ;
AUX MOTIFS QUE « sur l'existence d'une créance de M Didier X... sur la succession à hauteur de 100. 000 francs, compte tenu de l'application de l'article ancien du Code civil qui édicte une présomption de gratuité, M. Didier X... ne peut pas prétendre à l'existence d'une créance sur la succession au titre du remboursement du prêt contracté par lui dans le cadre de l'acquisition du bien immobilier ; que cette prétention ne peut pas non plus aboutir sur le fondement de l'enrichissement sans cause dans la mesure où elle se heurte également à l'application des dispositions de l'article 918 rappelées ci-dessus ; qu'en conséquence, la demande présentée par l'appelant est rejetée et le jugement rendu le 30 juillet 2008 est infirmé.
1°) ALORS QUE la cassation à intervenir du chef du premier moyen aura pour conséquence nécessaire, en application de l'article 624 du Code de procédure civile, de priver de fondement le rejet de la demande subsidiaire de Monsieur Didier X... tendant à se voir reconnaître une créance sur la succession de ses parents à hauteur de 100. 000 francs dès lors qu'il résulte de la seule application, par la Cour d'appel, de l'article 918 ancien du Code civil ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition ; qu'en rejetant la demande subsidiaire de Monsieur Didier X... tendant à se voir reconnaître une créance sur la succession de ses parents à hauteur de 100. 000 francs, après avoir requalifié la vente intervenue en donation déguisée, ce dont il résultait qu'aucun prix n'était dû et que celui qui avait été versé était sujet à répétition, la Cour d'appel a violé l'article 1235 du Code civil.