LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Christian X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 18 octobre 2012, qui, dans la procédure suivie contre M. Laurent Y... et M. Patrick
Z...
, des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 17 décembre 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, M. Monfort, conseiller rapporteur, Mme Guirimand, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
Sur le rapport de M. le conseiller MONFORT, les observations de la société civile professionnelle RICHARD, de Me CARBONNIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 23, 29, alinéa 1er, 30, 31, alinéa 1er, 42, 43 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté M. X... de ses demandes formées à l'encontre de Monsieur Laurent Y... et de M. Z... ;
" aux motifs que les intimés excipent de leur bonne foi en soutenant que les quatre conditions habituellement exigées, la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, le sérieux de l'enquête et la prudence dans l'expression, sont réunies ; que la légitimité du but poursuivi n'est pas discutable, s'agissant pour M. Z..., journaliste, ancien correspondant de guerre et témoin direct d'une partie des événements s'étant déroulés au Rwanda, notamment au moment du génocide des Tutsis, de livrer sa thèse sur les origines des massacres et sur les responsabilités collectives et individuelles, notamment au niveau des responsables politiques et militaires français et, pour son éditeur de procéder à la nouvelle publication, augmentée d'un avant-propos, d'un ouvrage déjà édité en 2004, à l'occasion du 15e anniversaire du génocide, qualifié de crimes contre l'humanité et faisant l'objet de jugements au tribunal pénal international pour le Rwanda ; qu'au vu des pièces du dossier et des débats, l'animosité personnelle du journaliste à l'égard de la partie civile n'est pas caractérisée ; que M. Z... disposait notamment du rapport d'une mission d'enquête parlementaire présidée par M. Paul A..., au cours de laquelle la partie civile avait été entendue, document qui a analysé minutieusement les déclarations des hommes politiques de tous bords sur les événements du Rwanda et a abouti à des conclusions extrêmement prudentes et nuancées ; qu'il produit également deux notes adressées par le général X..., en sa qualité de chef de l'état-major particulier, au président de la République en date des 6 mai 1994 et 24 mai 1994, comportant notamment les mentions suivantes :
- pour la première : « Sur le terrain le FPR refuse tout cessez-le-feu et aura incessamment atteint ses buts de guerre : le contrôle de toute la partie est du Rwanda y compris la capitale afin d'assurer une continuité territoriale entre l'Ouganda, le Rwanda et le Burundi.
Le Président C... et ses alliés auront ainsi constitué un « Tutsiland » avec l'aide anglo-saxonne et la complicité objective de nos faux intellectuels remarquables relais d'un lobby Tutsi auquel est également sensible une partie de notre appareil d'État. » ;
- pour la seconde : « Sur le terrain le rapport de forces, y compris à Kigali, est de plus en plus favorable au FPR avec l'aide matérielle, militaire et diplomatique de l'Ouganda et la complicité implicite de toutes les autres puissances... L'arrivée au pouvoir dans la région d'une minorité dont les buts et l'organisation ne sont pas sans analogie avec le système des Khmers rouges est un gage d'instabilité régionale dont les conséquences n'ont pas été anticipées par ceux, y compris en France, dont la complicité et la complaisance sont patentes » ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, les intimées disposaient d'une base factuelle suffisante pour tenir les propos reprochés ; que la réédition, en 2009, d'un ouvrage relatif aux responsabilités politiques et militaires dans le génocide rwandais, s'inscrivait dans le cadre d'un débat d'intérêt général, d'une analyse historique du dernier génocide du XXe siècle, et de la poursuite d'une polémique relancée notamment par la publication, en 2005, du livre de Pierre B... : Noire Fureur, Blancs Menteurs ; que dès lors, les propos et la couverture poursuivis n'excèdent pas les limites admissibles en matière de liberté d'expression ; qu'il y a lieu, en conséquence, de reconnaître aux intimés le bénéfice de la bonne foi et de confirmer le jugement, par d'autres motifs, sur le débouté de la partie civile de l'ensemble de ses demandes ;
" alors que les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention de nuire, de sorte qu'il appartient à l'auteur de telles imputations de rapporter la preuve de sa bonne foi ; qu'en se bornant, pour retenir la bonne foi de M. Y... et de M. Z..., à énoncer que ce dernier disposait d'un rapport d'une mission d'enquête parlementaire et avait produit deux notes adressées par M. X... au président de la République, de sorte que ces derniers disposaient d'une base factuelle suffisante pour tenir les propos qui leur étaient reprochés, sans indiquer en quoi ces documents permettaient d'imputer personnellement à M. X... des actes de complicité de génocide au Rwanda, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser la bonne foi de M. Y... et de M. Z..., n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication du livre intitulé " Complices de l'inavouable-la France au Rwanda ", qui comportait, en première page de couverture, parmi une trentaine d'autres, la mention de son nom, et, en quatrième page de couverture, une présentation de l'ouvrage, qualifiant d'" erreur criminelle " la politique menée par la France au Rwanda, le général Christian X..., estimant que ce rapprochement lui imputait explicitement d'être l'un des complices du génocide survenu dans ce pays en 1994, a déposé une plainte et s'est constitué partie civile, du chef de diffamation envers un fonctionnaire public ; que M. Y..., l'éditeur de l'ouvrage, et M. Z..., son auteur, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de ce chef ; que les premiers juges ont relaxé les prévenus, et débouté la partie civile de ses demandes ; que celle-ci a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, par substitution de motifs, et accorder aux prévenus le bénéfice de la bonne foi, l'arrêt retient notamment que, si la composition de la page de couverture, qui agrège le nom de la partie civile au titre, suggère au lecteur, par voie d'insinuation, que M. X... figure parmi les " complices de l'inavouable ", ce terme renvoyant à la part de responsabilité des autorités françaises dans le génocide rwandais, et revêt ainsi un caractère diffamatoire à son égard, l'auteur disposait d'un rapport de l'enquête parlementaire, au cours de laquelle la partie civile avait été entendue, aboutissant à des conclusions " extrêmement prudentes et nuancées ", et de deux notes qu'en sa qualité de chef d'état-major particulier, M. X... avait adressées au Président de la République, explicitant sa vision personnelle du conflit rwandais ; que les juges en concluent que ces éléments constituaient une base factuelle suffisante pour tenir les propos reprochés, qui dès lors, n'excédaient pas les limites permises de la liberté d'expression dans un Etat démocratique ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans indiquer en quoi ces documents permettaient d'imputer personnellement à la partie civile des actes de complicité dans le génocide perpétré au Rwanda, et sans rechercher si l'allégation litigieuse, même si elle concernait un sujet d'intérêt général, reposait sur une base factuelle suffisamment sérieuse pour autoriser la mise en cause de M. X... dans la perpétration d'un tel crime, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 18 octobre 2012, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale,
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze janvier deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;