LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué que, par acte du 5 février 1987 visant les articles 1075 et suivants du code civil, Magdeleine X..., veuve de Bernard Y... a procédé à une donation " à titre de partage anticipé " à leurs trois enfants, Sabine, Pierre et Thierry, qui l'ont acceptée, de tous ses droits dans les immeubles dépendant de la communauté ayant existé avec son mari, sous la condition que M. Thierry Y... consente la licitation de ses droits tant dans ces immeubles que dans ceux dépendant de la succession de Bernard Y... au profit de sa soeur et de son frère moyennant un prix déterminé dont les modalités de paiement étaient fixées ; que, par testament olographe du 12 août 1999, Magdeleine X... a consenti des legs à chacun de ses enfants ; qu'elle est décédée le 22 août 2005, postérieurement à son fils, Pierre Y..., décédé le 12 juin 2003, en laissant sa veuve, Mme Elvine Z... et leurs quatre enfants, MM. Antoine, Vincent, Jean-Marie et Thibault Y... ; que des difficultés étant nées pour la liquidation des successions de Bernard Y... et de Magdeleine X..., le partage judiciaire a été demandé ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article 1075 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006 ;
Attendu qu'il n'y a de donation-partage que dans la mesure où l'ascendant effectue une répartition matérielle des biens donnés entre ses descendants ;
Attendu que, pour décider que l'acte du 5 février 1987 s'analyse en une donation-partage cumulative non soumise à rapport et non rescindable pour lésion et débouter, en conséquence, M. Thierry Y... de ses demandes de rapport, l'arrêt retient que le partage intervenu, accepté par les trois enfants, obéit aux dispositions des articles 1075 et suivants du code civil, peu important que tous les biens donnés n'aient pas été partagés entre les trois héritiers et qu'aux termes du même acte, M. Thierry Y... se soit engagé à liciter sa part à son frère et à sa soeur ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, quelle qu'en ait été la qualification donnée par les parties, l'acte litigieux, qui n'attribuait que des droits indivis à deux des trois gratifiés n'avait pu opérer un partage, de sorte que cet acte s'analysait en une donation entre vifs, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 561 et 566 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour inviter les parties à saisir à nouveau le tribunal, à défaut d'accord entre elles, à la suite des opérations de partage confiées au notaire afin qu'il soit statué sur la qualification juridique de l'acte du 12 août 1999 et sur les conséquences du décès de Pierre Y... sur le legs particulier qui lui avait été consenti par Magdeleine X..., l'arrêt retient que ces questions n'ont pas été soumises au tribunal et sont soulevées pour la première fois en cause d'appel ;
Qu'en statuant ainsi alors que saisie, par l'effet dévolutif de l'appel, de la demande de liquidation et partage de la succession de Magdeleine X..., l'ensemble des contestations élevées sur le mode d'y procéder pouvait lui être soumis, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. Thierry Y... de ses demandes de rapport et invité les parties, à saisir à nouveau le tribunal, à défaut d'accord entre elles, suite aux opérations de partage confiées au notaire, pour voir statuer sur la question de la nature de l'acte du 12 août 1999 et sur les conséquences du décès de Pierre Y... sur le legs particulier qui lui a été consenti par Magdeleine X..., l'arrêt rendu le 13 décembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne Mmes C... et Z..., veuve Y..., et MM. Jean-Marie, Thibault, Vincent et Antoine Y... aux dépens ;
Vu les articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour M. Thierry Y....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que l'acte du 5 février 1987 s'analysait en une donation-partage cumulative non soumise à rapport et non rescindable pour lésion et d'avoir, en conséquence, débouté Monsieur Thierry Y... de ses demandes de rapports ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE sur la qualification de l'acte du 5 février 1987, Monsieur Thierry Y... qui ne reprend pas devant la cour son moyen tiré de la nullité de cet acte, soutient que Sabine et Pierre étant restés en indivision, l'acte litigieux ne constitue pas une donation-partage mais une simple donation entre vifs soumise à rapport dans les conditions prévues aux articles 893et suivants du code civil ; que c'est à bon droit que le tribunal a jugé que l'acte du 5février 1987 devait s'analyser en une donation-partage cumulative non soumise à rapport et non rescindable pour lésion, dans la mesure où elle portait à la fois sur des biens dépendant de la succession de Monsieur Bernard Y... et sur des biens appartenant à Mme Magdeleine X... ; qu'un tel partage accepté par les trois enfants qui sont intervenus à l'acte obéit aux dispositions des articles 1075et suivants du Code civil, peu important que tous les biens donnés n'aient pas été partagés entre les trois héritiers et qu'aux termes du même acte Monsieur Thierry Y... se soit engagé à liciter sa part à son frère et à sa soeur ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE Monsieur Thierry Y... a demandé à voir statuer en considération de l'intention des parties conformément à l'article 1156 du Code civil sur l'exacte qualification de l'acte du 5 février 1987, lequel constitue selon lui une donation entre vifs soumise à rapport et non une donation-partage ; que la libéralité partage est un acte répartiteur dans la mesure où la loi la définit comme l'acte par lequel le disposant fait " la distribution et le partage de ses biens " (art. 1075, aller du Code civil) ; que la donation-partage cumulative suppose que l'un des père et mère est décédé ; qu'elle consiste en ce que le survivant donne ses biens afin de les fondre, en une même masse en vue d'un unique partage, avec ceux formant la succession du parent prédécédé, que bien qu'aucune disposition légale n'y fasse référence, sa validité est établie (voir notamment Cass. civ, 20 juin 1955) ; qu'en tant qu'elle porte sur les biens ayant appartenu au parent prédécédé, elle est l'oeuvre des enfants " co-partageants ", en tant qu'elle porte sur les biens appartenant au parent survivant, elle est aussi l'oeuvre de ce parent, dont les enfants sont dès lors " copartagés " ; que la donation partage cumulative réalise par un même acte un partage amiable des biens de la succession ouverte et une donation-partage des biens du parent survivant à la condition que tous les enfants majeurs et capables acceptent ce partage (Cass. lère civ., 22 nov. 2005) ; qu'il résulte notamment de l'acte passé en l'étude de Me D... (notaire à Cérilly, Allier) en présence de Me E... (notaire associé à Paris) en date du 5 février 1987 portant donation par Madame veuve Y... à ses enfants et licitation par Monsieur Thierry Y... à Monsieur Pierre Y... et Madame C... :
«- qu'afin de trouver une solution amiable au règlement de la succession de M. Y..., les comparants ont convenu, au terme d'un acte sous signatures privées en date à Chambérat du 19 septembre 1986 que Mme veuve Y... consentirait à ses trois enfants, une donation partage, de tous ses droits dans les immeubles de communauté se trouvant dans l'Allier, que le passif serait déterminé à la date du décès, et que sur la base de l'expertise devant être faite par M. Pierre G..., expert choisi par les parties, M. Thierry Y... céderait ses droits à Mme C... et M. Pierre Y..., en nue propriété et pleine propriété, tant dans les immeubles dépendant de la succession de son père, que dans ceux dépendant de la communauté, et situés dans l'Allier, que le prix ainsi déterminé serait payable le 31 janvier 1987, que les droits de succession seraient payés par chaque partie » ;
que cet acte prévoyait par ailleurs :
« Mme Vve Y..., née X... (...) fait donation entre vils, à titre de partage anticipé, conformément aux dispositions des articles 1075 et suivants du Code civil, au profit de : 1°) Madame Sabine Y..., épouse C..., 2°) Monsieur Pierre Y..., 3°) et Monsieur Thierry Y..., ses trois enfants, et seuls présomptifs héritiers comparants aux présentes, et qui acceptent expressément, de tous droits appartenant à la donatrice dans les immeubles ci-après désignés, savoir : (¿)
Cette donation à titre de partage anticipé est faite sous la condition essentielle et déterminante, que M. Thierry Y... consente dès à présent à la licitation de ses droits dans les immeubles ci-après désignés, au profit de ses frère et soeur, conformément aux conventions prises aux termes du protocole du 19 septembre 1986, ci-dessus analysé (¿) » ;
qu'il y a lieu de constater qu'il y a eu en l'occurrence distribution de biens par l'ascendant survivant dès lors que Madame Y... faisait donation à l'ensemble de ses enfants de biens incorporés dans une même masse, en vue de leur partage, avec des biens qu'ils avaient recueillis en vertu de la succession de leur père prédécédé ; que l'on observera par ailleurs que l'article 815, al. 3 (ancien) du Code civil permet de maintenir l'indivision entre certains indivisaires, et aboutit en tout état de cause à l'allotissement de certains autres, et donc à la réalisation d'une opération de partage, en l'occurrence partiel ; qu'il n'existe par ailleurs pas d'incompatibilité entre le maintien dans l'indivision de certains indivisaires et un partage amiable avec licitation dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, l'ensemble des héritiers présents ont expressément donné leur accord. (Voir notamment Cass. Civ, 1ère, 7 juin 1995 D. 1995. Jurisprudence p. 615) ; qu'il n'y a pas lieu en conséquence de faire droit à la requalification sollicitée par Monsieur Thierry Y... ; qu'ainsi que l'a rappelé Madame C..., le rapport consistant à inclure des biens dans la masse à partager ne se conçoit pas pour des biens qui ont déjà été partagés et il est par conséquent de l'essence du partage d'ascendant de n'être point rapportable ; que par suite, les plus ou moins values advenues aux biens partagés profitent ou nuisent exclusivement à leurs attributaires ;
ALORS QUE les père et mère et autres ascendants peuvent faire, entre leurs enfants et descendants, la distribution et le partage de leurs biens ; qu'une donation-partage cumulative réalise, par un même acte, un partage amiable des biens de la succession ouverte et une donation-partage des biens du parent survivant, à la condition que tous les enfants majeurs et capables acceptent ce partage ; qu'une telle donation suppose que le donateur répartisse lui-même ses biens entre les différents gratifiés de sorte qu'il soit mis fin à l'indivision et que chaque coindivisaire se trouve alloti ; qu'en décidant néanmoins que l'acte du 5 février 1987 s'analysait en une donation-partage cumulative, après avoir pourtant constaté que tous les biens n'avaient pas été partagés entre les trois héritiers par l'ascendant survivant, ce qui excluait nécessairement la qualification de donation-partage cumulative, la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1075 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir invité les parties à ressaisir le tribunal, à défaut d'accord entre elles suite aux opérations de partage confiées à Maître I..., pour qu'il soit statué sur la qualification juridique du testament olographe du 12 août 1999 et sur les conséquences du décès de Pierre Y... sur le legs particulier qui lui avait été consenti par Magdeleine X..., veuve Y... ;
1°) ALORS QUE l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit ; que les parties peuvent expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ; qu'en invitant néanmoins les parties à ressaisir le Tribunal de grande instance pour qu'il soit, à défaut d'accord entre elles suite aux opérations de partage, statué tant sur la qualification juridique du testament olographe du 12 août 1999 que sur les conséquences du décès de Pierre Y... sur le legs particulier qui lui avait été consenti par Magdeleine X..., veuve Y..., quand il lui appartenait, par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur ces demandes qui étaient le complément de la demande d'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de la défunte, la Cour d'appel a violé les articles 561 et 566 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE le juge est tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et ne peut se borner à renvoyer les parties à ressaisir le juge en cas de difficulté ; qu'en invitant néanmoins les parties à ressaisir le Tribunal de grande instance pour qu'il soit, le cas échéant, statué tant sur la qualification juridique du testament olographe du 12 août 1999 que sur les conséquences du décès de Pierre Y... sur le legs particulier qui lui avait été consenti par Magdeleine X..., veuve Y..., quand il lui appartenait de trancher ces demandes conformément aux règles de droit qui leur sont applicables, la Cour d'appel a violé l'article 12 du Code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE le juge est investi du devoir de trancher les litiges qui lui sont soumis, sauf à se rendre coupable d'un déni de justice ; qu'en se bornant néanmoins à inviter les parties à ressaisir le Tribunal de grande instance pour qu'il soit, le cas échéant, statué tant sur la qualification juridique du testament olographe du 12 août 1999 que sur les conséquences du décès de Pierre Y... sur le legs particulier qui lui avait été consenti par Magdeleine X..., veuve Y..., la Cour d'appel, qui a ainsi refusé de statuer sur les demandes dont elle était saisie, a violé l'article 4 du Code civil.