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19/11/2013 | FRANCE | N°12-83294

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 novembre 2013, 12-83294


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Joseph X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS DE LA RÉUNION, chambre correctionnelle, en date du 29 mars 2012, qui, dans la procédure suivie, sur sa plainte, contre M. René Y..., du chef de discrimination, a déclaré son action irrecevable ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 8 octobre 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président,

M. Straehli conseiller rapporteur, Mme Guirimand, conseiller de la chambre ;
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Joseph X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS DE LA RÉUNION, chambre correctionnelle, en date du 29 mars 2012, qui, dans la procédure suivie, sur sa plainte, contre M. René Y..., du chef de discrimination, a déclaré son action irrecevable ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 8 octobre 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Straehli conseiller rapporteur, Mme Guirimand, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
Sur le rapport de M. le conseiller STRAEHLI, les observations de la société civile professionnelle LAUGIER et CASTON, de la société civile professionnelle POTIER de la VARDE et BUK-LAMENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 5, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable l'action civile de M. X... ;
"aux motifs que M. Y... a, in limine litis, soulevé l'exception d'irrecevabilité de l'action civile, au regard des dispositions de l'article 5 du code de procédure pénale, aux termes desquelles la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive sauf si celle-ci a été saisie par le ministère public avant qu'un jugement sur le fond ait été rendu par la juridiction civile ; que cette fin de non recevoir, règle d'intérêt privé édictée en faveur du prévenu, obéit au régime des exceptions de nullité qui doivent être soulevées avant toute défense au fond devant la juridiction pénale, et est, dès lors, recevable en la forme bien qu'elle n'ait pas été soulevée lors de la procédure d'information ; que l'application de la règle « electa una via » nécessite que l'action civile et l'action pénale comportent une identité de parties, de cause et d'objet ; que, sur l'identité de parties, il est constant que, suite au nonrenouvellement de son contrat emploi consolidé au sein de la CINOR, notifié le 11 octobre 2002 par son président, M. Y..., M. X... a assigné la CINOR devant le Conseil des prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion, puis a interjeté appel du jugement rendu le 16 mars 2004 devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion qui l'a confirmé par un arrêt du 13 septembre 2005 ; que, quelques jours plus tard, le 22 septembre 2005, M. X... a déposé plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des Juges d'instruction de Saint-Denis de la Réunion du chef de discrimination à raison de la situation de famille ou des opinions politiques ; que, bien que déposée contre une personne non dénommée, la plainte mettait directement en cause M. Y..., alors député-maire de Saint-Denis de la Réunion, en sa qualité de président en exercice de la CINOR ayant décidé du non-renouvellement du contrat ; que l'instance civile introduite contre une personne morale et l'action civile exercée devant la juridiction répressive contre un dirigeant de cette personne morale doivent être considérées comme dirigées contre la même partie ; que l'identité de parties est, dès lors, acquise et n'est pas contestée par la partie civile ; que, sur l'identité de cause, la cause s'entend de l'ensemble des faits servant de base à l'action ; qu'il est patent et non contesté que M. X... a engagé l'instance prud'homale puis l'action pénale sur les mêmes faits ; que les faits allégués de discrimination politique, en ce sens que le licenciement intervenu serait dû au fait que M. X... est le frère d'un opposant politique de M. Y..., sont évoqués dans le corps des conclusions de M. X... devant le conseil de prud'hommes et sont exposés plus explicitement en cause d'appel, où ils fondent la demande de réintégration et de nullité du licenciement formulée ; que la cour d'appel a jugé sans équivoque que les faits de discrimination allégués n'étaient pas établis ; que l'identité de cause est donc également acquise et n'est pas contestée par la partie civile ; que, sur l'identité d'objet, la partie civile soutient que l'identité d'objet fait défaut en ce que, si l'action prud'homale tendait à obtenir réparation d'un licenciement abusif ou discriminatoire, l'action pénale tendrait quant à elle à faire constater le délit de discrimination et obtenir réparation des préjudices en résultant ; que, cependant, l'action civile exercée devant la juridiction répressive, si elle peut avoir pour effet de mettre en mouvement l'action publique, a pour seul objet la réparation des dommages causés par les infractions pénales ; que la partie civile demande en l'espèce réparation du préjudice moral lié au délit de discrimination à concurrence de 30 000 euros alors qu'une demande tendant à la réparation de l'ensemble du préjudice causé par le licenciement abusif ou discriminatoire à hauteur de 120 000 eurosa été présentée devant la juridiction civile qui avait statué par jugement définitif à la date du dépôt de plainte avec constitution de partie civile ;que, dans le corps de l'exposé des motifs de l'arrêt rendu le 13 septembre 2005, la chambre sociale de cour d'appel relève d'abord que la partie civile motive désormais sa demande de réintégration par la discrimination politique dont elle aurait fait l'objet dès lors qu'elle est le frère d'un opposant du député-maire M. Y..., avant de constater l'absence de discrimination et de rejeter les demandes relatives à la nullité du licenciement et à la réintégration ; que la partie civile fait valoir que les faits de discrimination invoqués devant la chambre sociale de la cour d'appel étaient la cause de sa demande en réparation qui était elle-même l'objet de son action, alors que son action devant la juridiction répressive tend à faire établir l'existence du délit de discrimination et à obtenir réparation des préjudices résultant de la commission dudit délit ; que, devant la juridiction répressive, il y a dualité d'objet : faire constater la commission d'un délit et en obtenir réparation ; qu'en cela, l'objet de l'action civile devient plus large et la demande en réparation n'est certes plus son fondement exclusif mais la demande en réparation de faits de discrimination n'en demeure pas moins pour être manifestement le volet principal de l'objet ; que l'objet des deux actions, en ce qu'il s'agit d'une demande de dommages-intérêts en réparation d'un acte de discrimination, est donc identique ; qu'il convient en conséquence de déclarer irrecevable l'action de la partie civile, par application des dispositions de l'article 5 du Code de procédure pénale ;
"1°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que, dans ses conclusions d'appel, M. X... faisait notamment valoir que la déclaration d'irrecevabilité de sa constitution de partie civile tendait à permettre à M. Y... d'échapper à toutes poursuites, et qu'en refusant de joindre l'incident au fond, le premier juge avait porté atteinte au principe général énoncé par l'article préliminaire du code de procédure pénale selon lequel la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties ; qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"2°) alors que le principe, selon lequel la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile ne peut la porter devant la juridiction répressive, n'est susceptible d'application qu'autant que les demandes, respectivement portées devant le juge civil et devant le juge pénal, ont le même objet, la même cause et concernent les mêmes parties ; qu'en considérant, pour retenir que les deux actions avaient le même objet, que les faits dénoncés dans la plainte étaient inclus dans ceux invoqués à l'appui des demandes de dommages-intérêts présentées devant le conseil de prud'hommes dès lors qu'il s'agissait dans les deux cas de demandes indemnitaires, quand les actions, si elles aboutissaient à la formulation de demandes d'indemnisation, avaient des objets différents, l'une visant à consacrer l'existence d'un licenciement irrégulier et l'autre la commission d'un délit de discrimination, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu l'article 5 du code de procédure pénale ;
Attendu que la disposition de ce texte selon laquelle la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile ne peut la porter devant la juridiction répressive, n'est susceptible d'application qu'autant que les demandes, respectivement portées devant le juge civil et devant le juge pénal, ont le même objet, la même cause et visent les mêmes parties ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure que M. X..., salarié de la Communauté intercommunale du nord de la Réunion (CINOR) a porté plainte et s'est constitué partie civile contre le président de celle-ci, M. Y..., du chef de discrimination, pour l'avoir licencié à raison des activités politiques de son frère ; qu'à l'issue de l'information, le juge d'instruction a ordonné le renvoi de M. Y... devant le tribunal correctionnel du chef de ce délit ;
Attendu que, devant le tribunal, et avant toute défense au fond, M. Y... a soulevé une exception d'irrecevabilité de l'action pénale, en application de l'article 5 du code de procédure pénale, motif pris de ce que la partie civile avait engagé, antérieurement au dépôt de sa plainte, une action civile contre la CINOR devant le conseil de prud'hommes, ayant des cause et objet identiques ; que le tribunal a déclaré irrecevable l'action de la partie civile ; que M. X... a interjeté appel de ce jugement, de même que le ministère public ; que, devant la cour d'appel, M. Y... a présenté à nouveau cette fin de non-recevoir ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, la cour d'appel retient, notamment, que l'objet des deux actions, en ce qu'il s'agit d'une demande de dommages et intérêts en réparation d'un acte de discrimination, est identique ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'action introduite devant la juridiction prud'homale tendait seulement à faire reconnaître le préjudice subi par la partie civile du fait d'un licenciement qu'elle prétend abusif et avait un objet distinct de l'action introduite devant la juridiction répressive aux fins d' établir une atteinte à la dignité de la personne constituée par une discrimination dont elle se disait victime, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 29 mars 2012, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de M. Y..., de l'article 618 - 1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf novembre deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 12-83294
Date de la décision : 19/11/2013
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

ACTION CIVILE - Electa una via - Conditions d'application - Identité de parties, d'objet et de cause - Cas - Action portée devant la juridiction civile pour licenciement abusif - Constitution de partie civile du chef de discrimination - Identité d'objet (non)

La disposition de l'article 5 du code de procédure pénale, selon laquelle la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile ne peut la porter devant la juridiction répressive, n'est susceptible d'application qu'autant que les demandes, respectivement portées devant le juge civil et devant le juge pénal, ont le même objet, la même cause, et visent les mêmes parties. Tel n'est pas le cas, à défaut d'objet identique, de la plainte avec constitution de partie civile portée devant la juridiction pénale par un salarié à l'encontre de son employeur à raison d'atteintes personnelles résultant de faits constitutifs du délit de discrimination, alors que le salarié avait antérieurement saisi le juge prud'homal de demandes pour licenciement abusif


Références :

article 5 du code de procédure pénale

Décision attaquée : Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, 29 mars 2012

Sur les conditions d'application du principe electa una via, à rapprocher :Crim., 3 avril 2007, pourvoi n° 06-86748, Bull. crim. 2007, n° 99 (cassation sans renvoi), et les arrêts cités


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 19 nov. 2013, pourvoi n°12-83294, Bull. crim. criminel 2013, n° 228
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2013, n° 228

Composition du Tribunal
Président : M. Louvel
Avocat général : M. Desportes
Rapporteur ?: M. Straehli
Avocat(s) : SCP Laugier et Caston, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2013:12.83294
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