LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (soc., 22 octobre 2008, n° 07-42. 769 et 07-42. 595), que par deux contrats successifs de location-gérance, la société Mobil, aux droits de laquelle se trouve la société Esso, a confié à la société Y... l'exploitation d'une station-service à compter du 1er septembre 1994 ; que la société BP s'est substituée à la société Mobil à compter du 22 janvier 1997 ; que M. Y..., gérant de la société Y..., a mis fin au contrat à compter du 27 juin 1998 ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale et demandé le bénéfice de l'article L. 781-1 du code du travail pour la période du 1er septembre 1994 au 27 juin 1998 et le paiement de diverses sommes à titre de salaires, indemnités et dommages-intérêts pour privation de repos et congés ;
Sur le premier moyen, tel qu'il est reproduit en annexe :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de déclarer prescrites les demandes en paiement ayant la nature de salaires en ce qu'elles portent sur la période antérieure au 27 septembre 1997 ;
Mais attendu, d'abord, que M. Y... n'ayant pas été dans l'incapacité d'agir en requalification de ses contrats, lesquels ne présentaient pas de caractère frauduleux, et ne justifiant pas d'une cause juridiquement admise de suspension du délai de prescription, c'est sans méconnaître les dispositions des instruments internationaux visés par les deux premières branches que la cour d'appel a appliqué la règle légale prévoyant une prescription quinquennale des actions en justice relatives à des créances de nature salariale ; que le moyen, qui manque en fait dans sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur les troisième et quatrième moyens :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens qui ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article L. 3245-1 du code du travail ;
Attendu que pour mettre hors de cause la société Esso SAF, l'arrêt retient que venant aux droits de la société Mobil dont les liens contractuels avec la société Y... avaient pris fin le 22 janvier 1997, soit antérieurement au point de départ de la période non couverte par la prescription quinquennale, la société Esso, qui est bien fondée à exciper de cette fin de non-recevoir, doit être mise hors de cause ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que M. Y... avait également présenté des demandes de nature indemnitaire, relatives notamment à la rupture du contrat, qui n'avaient pas la nature de créances salariales, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il met hors de cause la société Esso SAF, l'arrêt rendu le 12 octobre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Esso SAF aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. Y....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré prescrites les demandes de Monsieur Y... en paiement de sommes ayant la nature de salaires en ce qu'elles portent sur la période antérieure au 27 septembre 1997 ;
AUX MOTIFS QUE " l'article 2277 du Code civil alors applicable et l'article L. 143-14 devenu L. 3245-1 du Code du travail, en ce qu'ils soumettent l'action en paiement des salaires et plus généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts, et par conséquent la rémunération de tout travailleur, à une prescription raisonnable de cinq années, ne sont pas contraires à l'article 7 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ;
QUE dès lors que la rédaction de l'article 2277 du Code civil applicable au litige résulte de la loi n° 71-586 du 16 juillet 1971, et que c'est à partir d'arrêts de la Cour de cassation du 13 janvier 1972 que s'est fixée la jurisprudence permettant à un gérant libre de fonds de commerce ayant la qualité de commerçant de bénéficier concomitamment de la législation du travail dans ses rapports avec son employeur s'il remplissait les conditions exigées à cet effet et faisant ensuite application de manière constante aux gérants de station service des dispositions des articles L. 781-1 et suivants, devenus L. 7321-1 et suivants du Code du travail Monsieur Y..., qui était ainsi susceptible d'être parfaitement informé de l'ensemble de ses droits lors de la signature entre la Société Y... dont il était le gérant et la Société Mobil, le 1er septembre 1994, du premier contrat de gérance, et qui, ne pouvant dès lors s'y méprendre, ne saurait invoquer à bon droit la nécessité d'obtenir préalablement la reconnaissance judiciaire du " statut de l'article L. 781-1 du Code du travail ", ni le caractère prétendument " constitutif du droit à une protection et au bénéfice des dispositions du Code du travail " attaché à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 1er juillet 2004, ne fait pas la démonstration d'une impossibilité personnelle d'agir dans le délai de la prescription quinquennale et, par voie de conséquence, de la méconnaissance du droit à un procès équitable, en violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui résulterait de la mise en oeuvre de cette fin de non recevoir dont l'application avait été expressément demandée par les sociétés défenderesses ;
QUE quel que puisse être le fondement allégué, la demande dont Monsieur Y... a saisi la juridiction prud'homale le 27 septembre 2009, tendant effectivement au paiement de sommes ayant la nature de salaires, se trouve soumise à la prescription quinquennale de l'article L. 143-14 devenu L. 3245-1 du Code du travail, de sorte que seules sont recevables les demandes se rapportant à la période non prescrite allant du 27 septembre 1997 au 27 juin 1998, date d'effet de la résiliation du second contrat de gérance " ;
1°) ALORS QUE toute personne a le droit de jouir de conditions de travail justes et favorables lui assurant notamment " la rémunération qui procure au minimum à tous les travailleurs ¿ un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale ¿ le repos, les loisirs, la limitation raisonnable de la durée du travail et les congés payés périodiques, ainsi que la rémunération des jours fériés " ; que méconnaît ce droit à des conditions de travail justes et à la perception de la rémunération y afférente la loi nationale qui édicte une prescription quinquennale de ces rémunérations à compter de leur échéance, sans considération d'une éventuelle renonciation du travailleur à les percevoir, des conventions conclues entre les parties, ni du comportement de l'employeur bénéficiaire de la prestation de travail ; qu'en décidant le contraire au motif inopérant que la prescription ainsi instituée serait " raisonnable ", la Cour d'appel a violé les articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme,
2°) ALORS QUE n'est pas de nature à assurer une protection efficace du droit du travailleur à jouir de conditions de travail justes ni l'effectivité de son droit à solliciter d'un juge indépendant et impartial qu'il tranche la contestation l'opposant au bénéficiaire de sa prestation de travail la législation nationale qui édicte une prescription quinquennale des rémunérations afférentes à la reconnaissance de ce droit ; que n'assure pas davantage le respect de ces droits fondamentaux l'unique réserve d'une impossibilité absolue d'agir ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé derechef l'article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, ensemble l'article 6 §. 1er de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme,
3°) ALORS enfin QU'en retenant que Monsieur Y... pouvait revendiquer le bénéfice du statut de l'article L. 781-1 du Code du travail " dès la signature entre la Société Y... dont il était le gérant et la Société Mobil, le 1er septembre 1994, du premier contrat de gérance ", ce dont il résultait que ce gérant de station service devait connaître l'inefficacité de l'interposition entre eux à l'initiative des Compagnies pétrolières d'une personne morale seule titulaire des droits et obligations issues des contrats de gérance, imprévisible en l'état du droit positif applicable à cette date, et qui ne sera consacrée pour la première fois par la Cour de cassation que dans une décision du 23 mai 2000, la Cour d'appel a violé derechef les textes susvisés.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR mis hors de cause la Société Esso SAF venant aux droits de la Société Mobil Oil Française
AUX MOTIFS QUE " venant aux droits de la Société Mobil, dont les liens contractuels avec la Société Y... avaient pris fin le 22 janvier 1997 soit antérieurement au point de départ de la période non couverte par la prescription quinquennale, la Société Esso qui est bien fondée à exciper de cette fin de non recevoir doit en premier lieu, comme l'a exactement décidé le conseil de prud'hommes ¿ être mise hors de cause " ;
ALORS QUE la prescription quinquennale prévue par les articles 2277 (ancien) du Code civil et L. 3245-1 du Code du travail s'applique aux seules créances salariales ou de nature salariale, payables par année ou à des termes périodiques plus courts ; qu'elle n'est pas opposable à l'action du gérant tendant au paiement de dommages et intérêts pour non-respect des règles d'hygiène et de sécurité, de participation aux fruits de l'expansion, de dommages et intérêts pour méconnaissance de la durée maximale du travail ou du droit aux congés et repos, ou encore des conséquences de la rupture du contrat de gérance à l'initiative de l'employeur ; qu'en mettant hors de cause la Société Esso venant aux droits de la Société Mobil Oil Française à l'encontre de qui ces demandes avaient été formées, la Cour d'appel a violé par fausse application les textes susvisés.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur Y... de son action, dirigée contre les Sociétés BP France et Esso Saf, en paiement d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE " ayant à la suite de la " situation financière catastrophique " de la Société Y..., donné par une lettre recommandée avec avis de réception, claire et non équivoque du 27 mars 1998, sa " démission avec un préavis d'un mois ", que la société BP a par ailleurs, quant à elle, analysée selon lettre recommandée du 18 avril 1998 en une résiliation du contrat de gérance prenant contractuellement effet au 27 juin 1998, Monsieur Y..., qui est ainsi mal fondé à soutenir que la rupture des relations contractuelles s'analyserait en un licenciement imputables aux sociétés Esso et BP sera débouté de l'ensemble de ses demandes en paiement d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés sur préavis, de licenciement, ainsi que pour non-respect de la procédure de licenciement et licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse " ;
1°) ALORS QUE la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à la relation de travail ; qu'en l'espèce, Monsieur Y... a adressé à BP, le 27 mars 1998, une lettre ainsi libellée : " Suite à vos travaux effectués du 7 janvier au 17 avril 1997, sur la station dont je suis gérant, ma SARL se trouve actuellement dans une situation financière catastrophique qui ne me permet pas de continuer mon activité. N'ayant trouvé aucune solution d'arrangement avec mon commercial (¿) je vous prie de bien vouloir prendre à partir de ce jour en considération ma démission avec un préavis d'un mois (¿) " ; que cette lettre, écrite en qualité de représentant légal de la SARL Y..., et dont la Cour d'appel relève que la Société BP l'avait analysée en une résiliation du contrat de gérance, ne manifestait pas la volonté non équivoque de Monsieur Y..., personne physique, de mettre un terme à la relation de travail qu'en sa qualité de gérant de succursale, il entretenait personnellement avec cette société ; qu'en statuant comme elle l'a fait la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 7321-1, L. 7321-5 et L. 1237-1 du Code du travail, ensemble l'article 1134 du Code civil ;
2°) ALORS en toute hypothèse QUE la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à la relation de travail ; que ne constitue pas une démission sans équivoque celle expressément donnée en considération du comportement de l'employeur ; qu'en l'espèce, Monsieur Y... a adressé à BP, le 27 mars 1998, une lettre ainsi libellée : " Suite à vos travaux effectués du 7 janvier au 17 avril 1997, sur la station dont je suis gérant, ma SARL se trouve actuellement dans une situation financière catastrophique qui ne me permet pas de continuer mon activité. N'ayant trouvé aucune solution d'arrangement avec mon commercial (¿) je vous prie de bien vouloir prendre à partir de ce jour en considération ma démission avec un préavis d'un mois (¿) " ; que cette lettre par laquelle Monsieur Y... se déclarait contraint de cesser l'exploitation de la station en considération d'une " situation financière catastrophique " expressément imputée au comportement de l'employeur qui avait exigé la réalisation de travaux empêchant une exploitation normale pendant plusieurs mois, ne manifestait pas sa volonté claire et non équivoque de mettre un terme à la relation de travail ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles L. 1237-1 du Code du travail et 1134 du Code civil.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur Y... de demande de dommages et intérêts pour exposition à des substances dangereuses ;
AUX MOTIFS QU'" en l'absence de démonstration d'une faute de l'employeur, d'un préjudice certain en particulier d'ordre médical et d'un lien de causalité, Monsieur Y..., qui travaillait dans une station service ne peut qu'être débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'exposition à des substances dangereuses telles que des émanations toxiques d'hydrocarbures " ;
1°) ALORS QUE tenu d'assurer la santé et la sécurité de ses salariés, manque fautivement à cette obligation au profit de travailleurs exerçant pour son compte une activité professionnelle dans un domaine classé au nombre des installations dangereuses la Compagnie pétrolière qui expose un gérant de succursale à l'inhalation de vapeurs toxiques sans la moindre surveillance médicale ou protection, pourtant spécifiquement imposées par la convention collective applicable ; qu'en déboutant Monsieur Y... de sa demande de dommages et intérêts à ce titre au motif de l'absence de démonstration d'une faute, la Cour d'appel a violé les articles 6-1, 9 et 10 de la Convention OIT C 158 sur le milieu de travail du 20 juillet 1977, 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, L. 4121-1 du Code du travail, 330, 601 et 604 de la convention collective des industries du pétrole du 3 septembre 1985 ;
2°) ET ALORS QUE l'exposition d'un salarié sans surveillance ni protection à l'inhalation de vapeurs toxiques lui cause nécessairement un préjudice ; qu'en déboutant Monsieur Y... de sa demande de dommages et intérêts au motif inopérant de l'absence de démonstration d'un préjudice certain, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil.