LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le troisième moyen :
Vu l'article 1128 du code civil, ensemble l'article 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a fait assigner la société Bout-Chard en nullité de la vente d'un fichier de clients informatisé ;
Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt, après avoir constaté que le fichier de clientèle tenu par la société Bout-Chard qui aurait dû être déclaré à la Commission nationale informatique et libertés (la CNIL) ne l'avait pas été, retient que la loi n'a pas prévu que l'absence d'une telle déclaration soit sanctionnée par la nullité ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que tout fichier informatisé contenant des données à caractère personnel doit faire l'objet d'une déclaration auprès de la CNIL et que la vente par la société Bout-Chard d'un tel fichier qui, n'ayant pas été déclaré, n'était pas dans le commerce, avait un objet illicite, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 janvier 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne la société Bout-Chard aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq juin deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils pour M. X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. X... de sa demande de requalification de la vente du fichier client en vente de fonds de commerce ;
Aux motifs propres que « la société BOUT-CHARD qui exploitait un fonds de commerce de vente de vins aux particuliers était dirigée par deux associés qui souhaitaient se retirer des affaires ; que les deux associés faisaient fonctionner seuls l'entreprise, louant les bureaux de 250 m ² jusqu'au 31 décembre 2006 puis de 100 m ², dans lesquels il n'est pas contesté que les clients n'étaient pas reçus, louant un camion de livraison deux fois par semaine, ayant pris en leasing un Fenwick ; que la chambre de commerce et d'industrie de Nantes Saint-Nazaire a évalué en octobre 2006 l'entreprise à la somme de 60 000 € ; que depuis l'évaluation et avant la vente litigieuse, les éléments du fonds ont été modifiés, le Fenwick a été cédé, un nouveau bail dérogatoire était signé d'une durée de 23 mois à compter du 1er novembre 2007 ; que l'acte de vente établi et signé par les parties le 10 décembre 2008 précise que la cession porte sur « le portefeuille de la clientèle de vente de vins au particulier, exploitée sur l'enseigne BOUT-CHARD depuis 2002 et auparavant GUICHARD depuis 1946 », et que ce portefeuille comprend « une liste d'environ 6000 clients référencés dans un fichier complet, manuscrit et classé, des classeurs ordonnés, un fichier de clients informatisé sous logiciel Windows, le numéro de téléphone
...
qui basculera via France Telecom sur le portable de Monsieur X... », et que le prix est de 46 000 €, que le formulaire cerfa de « mutations de fonds de commerce ou de clientèle » établi lors de la vente précise au verso les chiffres d'affaires réalisés sur les trois dernières années ; que le fonds de commerce est une universalité mobilière non susceptible de cession partielle ; que la société BOUT-CHARD avait pour objet l'exploitation d'un fonds de commerce de vente de vins, que ce fonds était constitué lors de la cession critiquée au profit de Monsieur X... d'éléments incorporels (un fichier clients, une enseigne, un bail précaire) et d'éléments corporels (locaux, ligne téléphonique, un véhicule de la société) certes moins importants que lors des travaux dévaluation réalisés par la chambre de commerce et d'industrie ; que la cession a porté sur certains des éléments du fonds, fichier clients, ligne téléphonique ; que le fonds de commerce n'a ainsi pu être vendu » (arrêt attaqué, p. 4 et 5) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « un fonds de commerce doit être composé d'éléments corporels, tels que le matériel, les marchandises et les équipements, et d'éléments incorporels tels que la clientèle, le droit au bail et le nom commercial ; que le fonds de commerce est un " meuble corporel au sens juridique du terme " ; que l'étude réalisée par la chambre de commerce évoquait la vente d'un fonds de commerce, cette étude mentionnait un prix d'environ 60. 000 € comprenant des éléments tant corporels qu'incorporels ; que l'étude mentionnait l'existence de bureaux, d'entrepôts, ainsi que du matériel d'exploitation et une enseigne « BOUT-CHARD SELECTION » ; que M. X... pour des raisons géographiques et financières n'a pas souhaité acquérir l'ensemble de la cession, qui avait été fixée à 60. 000 € et a obtenu de la société BOUT-CHARD de se porter acquéreur exclusivement du fichier client, sans reprise des baux concernant les bureaux et entrepôts pour un montant de 46. 000 € ; qu'en conséquence M. X... s'est porté acquéreur uniquement du fichier client, et non d'un fonds de commerce » (jugement entrepris, p. 16 et 17 in limine) ;
1°) Alors que le fonds de commerce est un meuble incorporel ; qu'au cas présent, en énonçant que la vente ne pourrait porter sur un fonds de commerce car le fonds de commerce serait un « meuble corporel au sens juridique du terme » (jugement entrepris, p. 16, § 8), la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du Code de commerce ;
2°) Alors que le fonds de commerce est une universalité de fait ne comprenant pas nécessairement d'éléments corporels ; qu'au cas présent, en estimant que la vente n'avait pas pu porter sur un fonds de commerce au motif qu'un fonds de commerce devrait nécessairement inclure des éléments corporels cependant qu'aucun élément corporel n'était cédé au cas présent (jugement entrepris, p. 16, in fine), la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du Code de commerce ;
3°) Alors que la cession d'une clientèle constitue une cession de fonds de commerce ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la cession portait sur plusieurs éléments du fonds de commerce, dont la clientèle (arrêt attaqué, p. 5, § 3) ; que, néanmoins, la cour d'appel a estimé que, dans la mesure où la cession de comprenait pas d'autres éléments du fonds (locaux, véhicule ¿, p. 5, § 2), elle ne pourrait être qualifiée de cession de fonds de commerce ; qu'en statuant ainsi, cependant que la cession de la clientèle suffisait à entraîner la qualification de cession de fonds de commerce, peu important que les autres éléments du fonds ne soient pas cédés, la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du Code de commerce ;
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. X... de sa demande de résolution fondée sur la non-conformité du fichier client référencé ;
Aux motifs propres que « en possession du fichier cédé, Monsieur X... ne peut soutenir que les cédants n'ont pas respecté leur obligation de délivrance » (arrêt attaqué, p. 5, § 6).
Et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « il a été vendu par la société BOUT-CHARD à M. X... un fichier comportant 6. 000 clients référencés ; que sur ces 6. 000 clients référencés, il apparaîtrait après étude par M. X... qu'il ne reste environ que 1. 950 clients effectifs et actifs ; qu'il apparaît prématuré de la part de M. X... d'indiquer que le fichier client ne comporte que 1. 950 clients actifs seulement un mois et demi après le démarrage de son activité, en effet il est matériellement impossible qu'entre le 1er avril le 18 mai 2009, M. X... ait eu le temps de visiter ou contacter 6. 000 clients ; que lors de l'audience devant le juge rapporteur M. X... a reconnu avoir réalisé seul un chiffre d'affaires de 80. 000 € la première année d'exploitation, ce qui démontre que ce fichier client n'était pas comme l'indique M. X... « une coquille vide » ; qu'il est fort probable que sur les 6. 000 clients effectifs, certains ont pu changer de fournisseur, ce qui fait partie de la loi du marché, également il n'est pas exclu que l'espacement entre deux commandes peut parfois dépasser plusieurs années ; que la société BOUT-CHARD lors du dernier exercice connu, soit l'année 2006, a réalisé un chiffre d'affaires de 269. 000 €, chiffre d'affaires réalisé avec les deux gérants sur la lancée des actions commerciales des employés présents en 2005, ce qui tend à démontrer qu'il y avait un potentiel client suffisamment important pour atteindre ce chiffre ; que M. X... exploitant seul cette nouvelle activité ne pouvait prétendre atteindre la première année un chiffre équivalent, et exploiter en si peu de temps l'ensemble du fichier clients ; que pour cette raison il ne sera pas fait droit à la demande de M. null title="18" typebalise="Personne" name="18" personid="1" id="18" _status="open" shape="rect"X... » (jugement entrepris, p. 17) ;
Alors que l'obligation de délivrance conforme pesant sur le vendeur suppose non seulement, d'un point de vue matériel, la mise en possession de l'acquéreur, mais également, sur un plan juridique, que la chose délivrée soit conforme à la chose convenue ; qu'au cas présent, pour écarter la demande de M. X... fondée sur le défaut de délivrance conforme, la cour d'appel se borne à observer que « en possession du fichier cédé, Monsieur X... ne peut soutenir que les cédants n'ont pas respecté leur obligation de délivrance » (arrêt attaqué, p. 5, § 6) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la simple mise en possession était insuffisante à attester de la conformité de la chose, sans vérifier, ainsi qu'il lui était demandé (conclusions d'appel, p. 10-11), si la chose délivrée était bien conforme à la chose convenue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1604 du Code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. X... de sa demande tendant à voir condamner la société BOUT-CHARD à lui restituer la somme de 46. 000 € en raison de la nullité de la vente pour illicéité de l'objet ;
Aux motifs que « si le traitement du fichier clients de la société BOUT-CHARD doit faire l'objet d'une déclaration simplifiée qui en l'espèce n'a pas été faite, il apparaît que la loi n'a pas prévu que la sanction de l'absence de déclaration du fichier clients soit la nullité du fichier, son illicéité, de sorte que la vente du fichier portant sur ce fichier serait nulle, pour l'illicéité de l'objet ou pour illicéité de la cause » (arrêt attaqué, p. 5, § 4) ;
Alors que, aux termes de l'article 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, tout fichier informatique contenant des données à caractère personnel doit faire l'objet d'une déclaration auprès de CNIL ; que tout manquement à cette obligation constitue, aux termes de l'article 226-16 du Code pénal, une infraction pénale ; qu'il s'ensuit qu'un tel fichier non déclaré constitue un objet illicite, hors commerce, insusceptible d'être vendu ; qu'au cas présent, il est constant et non contesté que le fichier de clientèle tenu par la société BOUT-CHARD aurait dû être déclaré à la CNIL et qu'il ne l'a pas été ; que néanmoins, pour écarter la nullité de la vente du fichier de clientèle en cause, la cour d'appel a relevé que « la loi n'a pas prévu que la sanction de l'absence de déclaration du traitement du fichier clients soit la nullité du fichier » (arrêt attaqué, p. § 4) ; qu'en statuant ainsi, par un motif inopérant, cependant que le défaut de déclaration rendait le dossier illicite et, par suite, la vente de ce dossier nulle pour objet illicite, la cour d'appel a violé l'article 1128 du Code civil, ensemble l'article 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978.