LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., gérant d'une société de courtage en assurances, a souscrit à titre personnel, avec effet au 10 juillet 1989, un contrat d'assurance collective à adhésion facultative et à capital variable dénommé Selectivaleurs, auprès de la société Abeille vie devenue Aviva vie (l'assureur) ; qu'il s'agissait d'un contrat à versements libres, libellés, aux choix de l'adhérent, sur une ou plusieurs unités de compte, entre lesquelles il pouvait arbitrer, lorsqu'il le souhaitait, à cours connu ; que suite au refus opposé le 17 septembre 2001 par l'assureur d'exécuter les arbitrages sollicités , au motif que le support choisi n'était pas disponible, M. X... l'a assigné le 30 juillet 2003 afin d'obtenir le rétablissement des supports retirés, ainsi que la désignation d'un expert afin de vérifier le préjudice subi ;
Attendu que le premier moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1134 du code civil ;
Attendu que pour dire que la liste des supports applicables à compter du 1er janvier 2010 est inopposable à M. X... et condamner l'assureur à rétablir les supports retirés, par équivalence s'il y a lieu, l'arrêt énonce que l'utilisation, par décision unilatérale de l'assureur, d'une clause prévoyant, comme en l'espèce, que la liste et le nom des supports sont susceptibles d'évoluer est de nature à dénaturer le contrat et à porter atteinte à la loyauté des engagements des parties dès lors que le retrait des supports les plus spéculatifs, qui étaient entrés dans le champ contractuel, au profit d'autres ne présentant pas ce caractère, amoindrit la diversité des produits soumis à l'arbitrage du souscripteur ;
Qu'en statuant ainsi sans caractériser l'abus commis par l'assureur dans l'usage de la prérogative contractuelle lui donnant la faculté de modifier les supports éligibles en cas d'arbitrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a confirmé le jugement déféré sur la prescription, l'arrêt rendu le 9 mai 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juin deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Spinosi, avocat aux Conseils, pour la société Aviva vie.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré l'action de M. X... recevable ;
Aux motifs que «la société AVIVA rappelle que les contrats d'assurance-vie n'étant pas visés par l'article R.321-1 du code des assurances, l'article R.112-1 du même code ne s'applique pas, tant avant qu'après 1989, que le non respect de ce texte n'est pas sanctionné et que la jurisprudence ne saurait lui appliquer rétroactivement une sanction ;
Qu'elle soutient, en conséquence, que la prescription biennale, qui s'applique aux contrats à exécution successive, est acquise, son point de départ étant le 10 juillet 1989, date de souscription du contrat, qu'en effet, c'est dès cette date que l'assuré a eu connaissance et a accepté les conditions de remplacement des supports et en tout état de cause, dès le mois d'octobre 1990- date de présentation de la première liste de supports éligibles au remplacement- et, au plus tard, le 18 janvier 1994- date de la réception de la demande de changement de supports faite par M. X...
Qu'au demeurant, M. X... en avait connaissance en qualité de courtier "vendeur" du contrat ;
Considérant que M. X... estime, en application de l'article R,112-1 du code des assurances, que les conditions générales valant note d'information ne mentionnant pas la prescription biennale, celle-ci lui est inopposable, nonobstant la connaissance qu'il pouvait en avoir du fait de sa qualité ;
Qu'il ajoute, à titre subsidiaire, que la prescription n'a pas commencé à courir avant la réception du courrier du 17 septembre 2001dès lors qu'il n'a pas reçu les documents dont fait état AVIVA, qu'au demeurant, il ne doit pas être confondu avec la sarl cabinet X..., qu'enfin, s'agissant d'un contrat à exécution successive, la prescription ne délie pas l'assureur du respect de ses obligations, notamment de fournir au souscripteur la liste des supports éligibles, que la prescription naît donc de la décision de refus d'arbitrage sur les supports contractuels initiaux ;
Considérant que l'article R.112-1 du code des assurances, dans sa rédaction antérieure au décret du 27 juin 2006, prévoyait que les entreprises mentionnées au 5° de l' article L.310-1 doivent indiquer, notamment, les dispositions relatives à la prescription ; que la loi du 4 janvier 1994 modifiant le code des assurances en vue de la transposition des directives 92-49 et 92-96 des 18 juin et 20 novembre 1992 a refondu l'article L.310-1 et, modifiant la classification des catégories des entreprises soumises au contrôle de 1'Etat, a supprimé le 5° de sorte que ce qui relevait de cette catégorie se trouve englobé dans les l', Hème et 3ème catégories ; qu'il s'ensuit que les contrats d'assurance vie doivent, conformément aux dispositions de l'article R.112-1, mentionner les stipulations relatives à la prescription et que l'inobservation de cette disposition est sanctionnée par l'inopposabilité à l'assuré, quel que soit sa qualité, du délai de prescription édicté par l'article L.114-1 du code des assurances ;
Que le jugement déféré sera ainsi confirmé de ce chef par substitution de motifs » ;
Alors que la loi ne dispose que pour l'avenir ; qu'elle n'a point d'effet rétroactif ; qu'il en résulte que la loi nouvelle ne s'applique pas, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur, aux conditions et aux effets d'un acte conclu antérieurement, même s'ils continuent à se réaliser postérieurement à cette loi ; qu'en faisant une application rétroactive à un contrat conclu le 10 juillet 1989 de la loi du 4 janvier 1994 qui étendrait aux contrats d'assurance-vie l'obligation de mentionner les stipulations relatives à la prescription à peine d'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription de l'article L. 114-1 du code des assurances, la Cour d'appel a violé l'article 2 du code civil ;
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la liste des supports applicable à compter du 1er janvier 2010 est inopposable à M. X..., d'avoir condamné la société AVIVA VIE à rétablir les supports retirés, par équivalence s'il y a lieu et d'avoir ordonné une expertise aux fins de déterminer la liste et le nombre de ces supports, ainsi que le préjudice subi par Monsieur X... ;
Aux motifs que « sur la demande de restitution par équivalence :
Considérant que M. X... avance que la suppression des supports litigieux porte atteinte à son "droit acquis à la diversité et à la quantité de supports proposés tout au long de son contrat", que la liste des supports est un élément contractuel que l'assureur ne peut modifier de façon unilatérale, que l'objectif de gestion prudente n'étant pas celui du contrat, il ne saurait être invoqué pour justifier du retrait contesté ;
Qu'il ajoute que, par application des articles L.132-5-1 et A.132-4 du code des assurances, les supports litigieux étaient entrés dans le champ du contrat, que le support soit retiré ou inéligible ;
Considérant que l'assureur soutient, à titre subsidiaire, qu'il avait contractuellement et légalement le droit et même l'obligation (par prudence, protection et valorisation de l'épargne) de présenter des supports de remplacement aux supports devenus volatils ;
Qu'il n'a donc pas dénaturé le contrat, que la clause n'est pas purement potestative ou discriminatoire et que l'article R.131-1 du code des assurances n'est pas applicable aux contrats signés en 1989 ;
Considérant que l'utilisation, par décision unilatérale de l'assureur, d'une clause prévoyant, comme en l'espèce, que la liste et le nom des supports sont susceptibles d'évoluer est de nature à dénaturer le contrat et à porter atteinte à la loyauté des engagements des parties dès lors que le retrait des supports les plus spéculatifs, qui étaient entrés dans le champ contractuel, au profit d'autres ne présentant pas ce caractère, amoindrit la diversité des produits soumis à l'arbitrage du souscripteur, qu'il s'ensuit qu'infirmant sur ce point le jugement déféré, il convient de dire que la liste des supports applicables à compter du 1er janvier 2010 est inopposable à M. X... et que la société AVIVA doit être condamnée à rétablir les supports retirés, par équivalence s'il y a lieu ;
Qu'en l'état, il n'y pas lieu, eu égard à l'expertise ci-dessous ordonnée, d'assortir d'astreinte cette décision » ;
Sur l'expertise sollicitée
Considérant que la cour ne disposant pas des éléments techniques pour évaluer le préjudice de M. X... et établir la liste des supports équivalents, il sera fait droit à la demande d'expertise dans les conditions fixées au présent dispositif ;
Considérant que la demande que la société AVIVA souhaite poser à l'expert au terme de sa mission n'a pas lieu d'être prise en compte dès lors que la cour a reconnu le caractère illicite du retrait des supports et n'a recours à la présente expertise que pour évaluer le préjudice et déterminer les supports équivalents à ceux retirés » ;
Alors, d'une part, que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en l'espèce, le contrat d'assurance-vie conclu le 10 juillet 1989 prévoyait expressément, au titre du « changement de support », que le souscripteur avait la faculté de remplacer les actions inscrites sur le compte par « d'autres choisies parmi celles proposées par ABEILLE VIE » ; qu'en énonçant que la modification par l'assureur des supports proposés à son client lors d'un arbitrage était le fruit d'une décision unilatérale de nature à dénaturer le contrat, lorsqu'il s'agissait pourtant d'un mécanisme clairement et précisément prévu par la convention librement acceptée par les parties, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
Alors d'autre part que l'utilisation de la clause permettant à l'assureur de modifier les supports proposés au souscripteur ne peut être qualifiée d'abusive que si elle conduit à modifier le contrat et à porter atteinte aux attentes légitimes du cocontractant ; qu'en l'espèce, les supports éligibles en cas d'arbitrage n'étaient ni prévus, ni annexés au contrat, mais faisaient l'objet de listes évolutives, en fonction de la politique définie par AVIVA VIE ; que ces nouvelles listes étaient adressées régulièrement au souscripteur, qui avait la qualité de courtier en assurances ; qu'en énonçant que les supports proposés en cas d'échange étaient intangibles, en ce qu'ils étaient entrés dans le champ contractuel, de sorte que l'usage de la clause était déloyal, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
Alors, de troisième part, que si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties et que l'usage d'une prérogative contractuelle n'est déloyal que lorsque ladite prérogative est exercée par le contractant sans motif légitime ; qu'en l'espèce, l'exposante faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la suppression des supports volatils était justifiée par la crise asiatique de 1997 qui avait profondément modifié l'équilibre du contrat en permettant aux assurés une spéculation débridée (conclusions d'appel de la société AVIVA VIE, p. 17) ; qu'en se bornant à énoncer que la suppression de supports volatils amoindrissait la diversité des produits soumis à l'arbitrage du souscripteur, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si l'usage d'une prérogative contractuelle n'était pas justifié par un motif légitime, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
Alors, enfin et en tout état de cause que l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ; qu'en estimant qu'il résultait du contrat que le souscripteur avait la possibilité de procéder, sur des supports spéculatifs et définitivement acquis, à des arbitrages à cours connu, lorsqu'un tel ordre, qui supprime à des fins spéculatives l'aléa inhérent à l'opération de placement, a une cause illicite, la Cour d'appel a violé les articles 1131 et 1133 du code civil ;