La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/2013 | FRANCE | N°12-21317

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 12 juin 2013, 12-21317


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 10 avril 2012), qu'en 2008, la société KFC France (KFC) a conclu un marché de travaux pour l'aménagement d'un restaurant avec la société Delas, entrepreneur principal, qui a sous-traité le lot dallage à la société Siba ; qu'un projet de délégation de paiement a été signé par les sociétés KFC et Siba mais n'a pas été régularisé par la société Delas ; que la société KFC ayant payé les acomptes de la société Delas, mais non la facture de la

société Siba, celle-ci a, après la liquidation judiciaire de l'entrepreneur principal...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 10 avril 2012), qu'en 2008, la société KFC France (KFC) a conclu un marché de travaux pour l'aménagement d'un restaurant avec la société Delas, entrepreneur principal, qui a sous-traité le lot dallage à la société Siba ; qu'un projet de délégation de paiement a été signé par les sociétés KFC et Siba mais n'a pas été régularisé par la société Delas ; que la société KFC ayant payé les acomptes de la société Delas, mais non la facture de la société Siba, celle-ci a, après la liquidation judiciaire de l'entrepreneur principal, assigné en paiement le maître de l'ouvrage ;
Sur le second moyen :
Vu l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;
Attendu que pour limiter la condamnation de la société KFC et rejeter la demande en dommages-intérêts de la société Siba, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que la société Delas avait eu connaissance de l'existence de la délégation de paiement avant que la société Siba ne lui en adresse trois exemplaires pour signature le 6 novembre 2008, que faute d'acceptation expresse par la société Delas, la délégation de paiement ne pouvait avoir aucun effet contractuel en matière de paiement et que la société Siba, qui avait réalisé ses travaux sans attendre la signature de la délégation par la société Delas, avait pris le risque d'accomplir sa prestation sans garantie de paiement ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le maître de l'ouvrage qui ne demande pas à l'entrepreneur principal de justifier la fourniture d'une caution, doit s'assurer que celui-ci a accepté la délégation de paiement au profit du sous-traitant, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen :
CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu le 10 avril 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société KFC France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société KFC France à payer à la société Siba la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la société KFC France ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille treize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits par la SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, avocat aux Conseils, pour la société Siba

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR dit que la demande de la société Siba n'était que partiellement fondée, limité la condamnation de la société KFC France au profit de la société Siba à la somme de 9 119,63 € outre intérêts et rejeté la demande en dommages-intérêts de la société Siba ;
AUX MOTIFS PROPRES ET ADOPTES QUE les moyens soutenus par la société SIBA ne faisaient que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges avaient connu et auxquels ils avaient répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour d'appel adoptait sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation ; qu'il convenait seulement de souligner que la société Siba n'était contractuellement liée qu'à la seule société Delas par un contrat de sous-traitance conclu le 14 octobre 2008 (pièce n° 1 du bordereau de communication de pièces de la société Siba) ; que le prix du sous-traité (20 738,87 € TTC) était ferme et non révisable ; que le délai d'exécution était de deux jours à compter du 6 novembre 2008 ; que l'article 6 du contrat de sous-traitance (« paiements ») était ainsi rédigé :
« les paiements sont effectués par l'entrepreneur principal aux conditions suivantes : A réception des pièces demandées : Règlement à 60 jours fin de mois » ; que le contenu de cet article avait été biffé à la main à l'exception du membre de phrase « A réception des pièces demandées » ; qu'il y avait été substitué la mention manuscrite suivante « Paiement direct Maître de l'Ouvrage par délégation de paiement ci-jointe » ; que cette mention manuscrite et la signature qui l'accompagnait avaient été manifestement de la main du sous-traitant, ainsi qu'il apparaissait de l'examen de la signature de ce dernier au bas de la dernière page du contrat ; qu'il n'était pas justifié que la société Delas ait eu connaissance de cette mention apposée unilatéralement sur le contrat par le représentant de la société Siba à une date indéterminée ; que seul le contrat lui-même avait été signé par les deux parties ; qu'il n'était pas établi non plus, contrairement à ce qu'énonçait cette mention que la délégation de paiement était effectivement jointe au contrat ; que dans l'hypothèse où elle l'aurait été, on comprendrait mal pourquoi la société Delas, en signant le contrat, n'aurait pas aussi signé concomitamment la délégation de paiement ; que la société Siba produisait aux débats une copie incomplète de la délégation de paiement (pièce n° 2 de son bordereau) puisqu'elle n'en comportait que la première page, ce qui ne permettait pas à la cour d'appel de savoir par qui elle avait été signée et à quelle date ; que, le 4 novembre 2008, la société KFC France avait adressé à la société Siba « les trois exemplaires de délégation de paiement dûment signés par (ses) soins » et lui avait demandé « de (lui) en retourner un exemplaire avec la validation de l'entreprise principale Delas » ; que l'on pouvait présumer que la société Siba avait déjà signé auparavant ces trois exemplaires puisque la société KFC France ne lui demandait pas de les signer mais que l'on ignorait à l'initiative de qui ces exemplaires avaient été transmis à la société KFC France ; qu'en tout état de cause, il incombait à la société Siba de se charger de recueillir la signature de la société Delas puisqu'elle n'avait de lien contractuel qu'avec celle-ci ; que, de fait, le 6 novembre 2008, la société Siba avait transmis à la société Delas les trois exemplaires de la délégation de paiement « dont deux exemplaires à nous retourner signés et tamponnés par vos soins avant notre intervention sur site» (pièce n° 10 de son bordereau) ; que la société Delas n'avait jamais retourné ces documents signés ; que la société Siba avait, néanmoins, exécuté à une date non précisée les travaux prévus dans son contrat de soustraitance et avait adressé sa facture à la société Delas le 27 novembre 2008 (pièce n° 3 de son bordereau) ; qu'il était indiqué au bas de cette facture, à la rubrique « règlement » : « paiement direct maître de l'ouvrage» et « échéance 15/01/2009 » ; que le 9 février 2009, la société Siba avait réclamé en vain le paiement de sa facture à la société KFC France « arrivée à échéance le 30/01/09 et devant être réglée en paiement direct » ; que la liquidation judiciaire de la société Delas avait été prononcée par jugement du 11 mars 2009 ; que faute d'acceptation expresse par le délégant, la délégation de paiement ne pouvait avoir aucun effet contractuel en matière de paiement ; qu'il n'était même pas établi que la société Delas avait eu connaissance de l'existence de la délégation de paiement avant que la société Siba ne lui en ait adresse trois exemplaires pour signature le 6 novembre 2008 ; que la société Siba avait regretté que la société Delas ne soit pas partie au présent litige mais qu'il lui appartenait de mettre en cause son liquidateur judiciaire ; que la société Siba avait réalisé ses travaux sans attendre le retour des exemplaires de la délégation de paiement signés par la société Delas et alors même qu'elle avait précisé dans sa lettre du 6 novembre 2008 adressée à cette dernière que cette signature devait intervenir « avant intervention sur site » ; qu'elle ne pouvait donc que s'en prendre à elle-même d'avoir pris sciemment le risque d'accomplir sa prestation sans garantie de paiement (arrêt pp. 4 à 6 ; motifs analogues dans le jugement pp. 4 et 5) ;
ALORS QUE si la délégation de créance doit être acceptée par le délégant, cette acceptation peut être tacite ; qu'en jugeant que « faute d'acceptation expresse par le délégant, la délégation de paiement ne p ouvait avoir aucun effet contractuel en matière de paiement », la cour d'appel a violé l'article 1275 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :

Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR dit que la demande de la société Siba n'était que partiellement fondée, limité la condamnation de la société KFC France au profit de la société Siba à la somme de 9 119,63 € outre intérêts et rejeté la demande en dommages-intérêts de la société Siba ;
AUX MOTIFS QUE la société Siba avait réalisé ses travaux sans attendre le retour des exemplaires de la délégation de paiement signés par la société Delas et alors même qu'elle avait précisé dans sa lettre du 6 novembre 2008 adressée à cette dernière que cette signature devait intervenir « avant intervention sur site » ; qu'elle ne pouvait donc que s'en prendre à elle-même d'avoir pris sciemment le risque d'accomplir sa prestation sans garantie de paiement ; qu'elle ne pouvait reprocher utilement à la société KFC France d'avoir commis une faute au regard de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 qui précisait que si le soustraitant accepté ne bénéficiait pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage devait exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni une caution ; qu'en effet, la société KFC France pouvait légitimement croire que le principe de la signature de la délégation de paiement par la société Delas était acquis ; qu'elle avait connaissance, en outre, de ce que la prestation de la société Siba ne devait s'accomplir qu'une fois cette signature apposée sur la délégation de paiement ; que les demandes d'acompte présentées par la société Delas à la société KFC France ne faisaient pas apparaître que ces dernières englobaient le montant des travaux réalisés par la société Siba (pièce n° 1 du bordereau de la société KFC France) ; que la société KFC France avait donc satisfait aux demandes d'acompte de la société Delas qui s'étaient échelonnées du 21 octobre au 26 novembre 2008 (étant ici rappelé que la facture de la société Siba avait été établie le 27 novembre 2008) ; que sur un montant de marché de 96 803,93 € TTC, la société KFC France avait ainsi réglé la somme de 87 684,28 € ; qu'avisée de ce que la société Delas n'était plus in bonis, la société KFC France n'avait pas donné suite aux deux demandes d'acompte du 24 avril 2009 d'un montant total de 9 119,65 € TTC ; que cette somme était inférieure au montant de la facture de la société Siba du 27 novembre 2008, ce qui démontrait que la société Delas avait réclamé frauduleusement au maître de l'ouvrage l'essentiel du coût de la prestation de son sous-traitant sans attendre la facturation de ce dernier ; que la signature de la délégation de paiement par le maître de l'ouvrage valait acceptation de la société Siba comme sous-traitant ; que dans ces conditions, la société Siba pouvait se prévaloir de l'action directe de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 ; que, cependant, les obligations du maître de l'ouvrage étaient limitées à ce qu'il devait encore à l'entrepreneur principal à la date de la réception de la copie de la mise en demeure adressée à l'entrepreneur principal ; qu'en l'espèce, la société Siba avait mis en demeure le liquidateur judiciaire de la société Delas le 30 juillet 2009 (pièce n° 12 de son bordereau) et en avait adressé copie à la société KFC France le même jour (pièce n° 11 de son bordereau) ; que la société KFC France devait donc verser à la société Siba la somme de 9 119,65 € TTC, somme qu'elle devait encore à la société Delas à la date de la mise en demeure du 30 juillet 2009 ; que le préjudice de la société Siba (20 738,87 € TTC moins 9 119,65 € TTC = 11 619,22 € TTC) était dû à sa faute dans la gestion de son marché, exclusive de toute faute de la société KFC France ; qu'elle ne saurait donc se voir allouer des dommages-intérêts à la charge de cette dernière ; que la solution donnée au litige emportait le rejet des demandes de dommages-intérêts (arrêt pp. 6 et s. ; motifs analogues dans le jugement pp. 6 et s.) ;
ALORS QUE si le sous-traitant accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni caution ; qu'en jugeant que la société KFC n'avait pas commis de faute en n'exigeant pas de la société Delas qu'elle justifie avoir fourni une caution à la société Siba, après avoir pourtant constaté que le sous-traitant ne bénéficiait pas d'une délégation de paiement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 14-1 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 ;
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU'il appartient au maître de l'ouvrage qui n'entend pas exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni caution, de s'assurer que celui-ci a effectivement accepté la délégation de paiement au profit du sous-traitant, sans pouvoir se contenter d'une simple croyance à ce sujet ; qu'en jugeant pourtant que la société KFC n'avait pas commis de faute en n'exigeant pas de la société Delas qu'elle justifie avoir fourni caution à la société Siba, par la considération que la société KFC avait pu légitimement croire que la société Delas avait accepté, dans son principe à tout le moins, la délégation de paiement, la cour d'appel a violé l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;
ALORS, DE SURCROIT, QUE le sous-traitant n'est pas tenu d'exiger de l'entrepreneur principal une délégation de paiement ou la fourniture d'une caution ; qu'en déboutant la société Siba de sa demande en dommages et intérêts, par la considération qu'elle avait commis une faute en prenant «sciemment le risque d'accomplir sa prestation sans garantie de paiement», la cour d'appel a violé l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 12-21317
Date de la décision : 12/06/2013
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

CONTRAT D'ENTREPRISE - Sous-traitant - Rapports avec le maître de l'ouvrage - Garanties de paiement - Délégation de paiement - Nécessité de s'assurer que la délégation de paiement a fait l'objet d'une acceptation expresse par l'entrepreneur principal

Le maître de l'ouvrage, qui a signé un projet de délégation de paiement avec le sous-traitant et qui ne demande pas à l'entrepreneur principal de justifier de la fourniture d'une caution, doit s'assurer que la délégation de paiement a fait l'objet d'une acceptation expresse par l'entrepreneur principal. Dès lors, viole l'article L. 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, une cour d'appel qui, pour limiter la condamnation du maître de l'ouvrage à ce qu'il doit à l'entreprise principale et rejeter la demande de dommages-intérêts du sous-traitant, retient que celui-ci, qui avait réalisé ses travaux sans attendre la signature de la délégation par l'entrepreneur principal, avait pris le risque d'accomplir sa prestation sans garantie de paiement


Références :

article L. 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 10 avril 2012


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 12 jui. 2013, pourvoi n°12-21317, Bull. civ. 2013, III, n° 78
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2013, III, n° 78

Composition du Tribunal
Président : M. Terrier
Avocat général : M. Charpenel (premier avocat général)
Rapporteur ?: M. Nivôse
Avocat(s) : SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, SCP Defrénois et Lévis

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2013:12.21317
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award