LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par un premier acte établi par M. X..., notaire associé au sein de la SCP F...-G...-X...-H...-I...-J..., et au moyen d'un prêt bancaire, la société Le Plaisance a fait l'acquisition d'un fonds de commerce de brasserie auprès de la société Les Bruyères qui, demeurant propriétaire du local, lui a consenti un bail commercial ; que par un deuxième acte dressé par M. X... le 23 juin 1997, Mme Y...et sa fille, clerc du notaire instrumentaire, ont cédé l'ensemble des parts représentatives du capital de la société Le Plaisance à M. Z...et à Bernard
A...
, depuis lors décédé et aux droits de qui se présentent son épouse et son fils, de même que la créance correspondant à un compte courant d'associé ; que la société Le Plaisance a ensuite cessé de s'acquitter de sa dette d'emprunt ; que par transaction, les consorts
A...
et Y...sont convenus de résilier la cession du 23 juin 1997 et de régulariser une rétrocession des parts avec remboursement du compte courant d'associé de Bernard
A...
; que malgré l'adoption, en vertu d'un nouvel acte instrumenté par M. X..., d'un avenant destiné à réaménager sa dette d'emprunt, la société Le Plaisance a été placée en liquidation judiciaire ; que les consorts
A...
ont, alors, engagé une action en responsabilité contre la SCP et le notaire associé, complices, selon eux, des agissements du clerc de l'étude ;
Attendu que pour écarter tout manquement du notaire à son devoir de conseil, l'arrêt retient que Bernard
A...
, marchand de biens qui s'était présenté, lui-même, comme affranchi dans le monde des affaires, ne pouvait pas, eu égard à sa profession, avoir ignoré la portée de l'acte du 23 juin 1997, lequel, en des termes clairs, reprenait le montage juridique convenu entre les parties sans garantie de passif ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les compétences et connaissances personnelles du client ne libèrent pas le notaire de son devoir de conseil, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 mai 2012, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la SCP F...-G...-X...-H...-I...-J...et M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SCP F...-G...-X...-H...-I...-J...et de M. X... ; les condamne à payer à M. et Mme
A...
la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente mai deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Monod et Colin, avocat aux Conseils, pour les consorts
A...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme B..., veuve
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et M. Sylvain
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de leur action en responsabilité et dommages et intérêts formée à l'encontre de Me X... et de la SCP F...– G...– X... – H...– I...– J...pour manquement à leur devoir de conseil ;
AUX MOTIFS QUE Mme Elisabeth, veuve
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et M. Sylvain
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font valoir que Mlle Béatrice
Y...
est en réalité la rédactrice de l'acte authentique du 22 octobre 1995 ainsi que de l'acte authentique du 23 juin 1997, alors qu'elle détenait 80 % du capital social de la société vendue, la société LE PLAISANCE, qu'elle a instrumentalisé son employeur, Me X..., qu'un notaire doit agir avec d'autant plus de prudence qu'il instrumente au bénéficie de l'un de ses proches et que les fautes du notaire se sont inscrites dans un continuum fautif ayant cour sur la période de 1995 à 2002 pour le plus grand bénéfice de sa collaboratrice salariée qui avait intérêt à se défaire d'une société en grande difficulté financière ; qu'il est soutenu, ensuite, que lors du premier acte d'acquisition du fonds de commerce du 22 octobre 1995, l'existence d'un crédit-vendeur d'un million de francs accordé par la société LES BRUYERES a été dissimulée, l'acte portant faussement la mention d'une quittance du paiement ; que 15 mois après la constitution de la société LE PLAISANCE et l'acquisition par celle-ci d'un fonds de commerce, Mlle
Y...
et ses parents ont mis cette société en vente en dissimulant le fait que cette société poursuivait en nullité pour dol la société LA BRUYERE en sa double qualité de venderesse du fonds et de bailleresse des murs ; que, dans le cadre de cette procédure la société LE PLAISANCE a soutenu avoir été trompée quant à la valeur effective du fonds de commerce acquis et quant aux conditions, objet loyer du bail consenti ; qu'il est pourtant indiqué dans l'acte du 23 juin 1997 que « la société LE PLAISANCE n'est engagée dans aucun procès, ni menacée de l'être devant les juridictions civiles ou commerciales » alors qu'il résulte d'une audition de Me X... sur commission rogatoire que celui-ci connaissait ces faits avant d'établir l'acte de vente ; mais qu'en premier lieu, sur le manquement prétendu de Me X... à son devoir de conseil, M. Bernard
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a affirmé aux actes de Me X... être de profession « marchand de biens », de sorte qu'il s'est présenté lui-même comme affranchi dans le monde des affaires ; qu'ensuite, concernant l'acte d'acquisition du fonds de commerce en date du 22 octobre 1995, que l'arrêt en date du 1er février 1999 de la cour d'appel de BASSE-TERRE a déjà jugé que la diminution du prix de vente à 4. 200. 000 F était la commune intention des parties et que si l'acquéreur ne pouvait pas justifier de la partie du prix de vente réglé hors la comptabilité du notaire, la reconnaissance de dette parallèlement établie le 23 octobre 1995 n'avait pas pour objet une dissimulation du prix de la vente, mais correspondait à un prêt vendeur de ce montant qui était inclus dans les 4. 200. 000 F du prix fixé dans l'acte authentique ; qu'il ne résulte pas des productions des appelants la preuve de la connaissance qu'aurait eu Me X..., au moment de la rédaction de l'acte, de l'existence, par ailleurs, de la reconnaissance de dette, connue en revanche de Me D..., eu égard aux affirmations contraires sur ce point de ce dernier et de M.
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; que Me X... n'avait pas à douter des déclarations des parties consignées dans son acte notarié du 23 octobre 1995, la seule qualité de collaboratrice salariée de Mlle Béatrice
Y...
, son clerc de notaire, étant insuffisante à établir son information supposée ; qu'en outre, il est à relever la procédure qui a conduit à l'arrêt du 1er février 1999 de la cour d'appel de BASSE TERRE invoqué, oppose en réalité la SARL LES BRUYERES à Mme Martine E..., épouse
Y...
et M.
Y...
, à titre personnel, et non la SARL LE PLAISANCE elle-même, contrairement à ce qui est soutenu, de sorte que les déclarations des vendeurs figurant à l'acte authentique du 23 juin 1997 ne peuvent être considérées comme mensongères ; que les appelants reprochent encore à l'acte notarié du 23 juin 1997 reçu par Me X... d'avoir authentifié un accord intervenu entre les consorts
Y...
, d'une part, et MM. Alain Z...et Bernard
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, d'autre part, afférent à la cession des parts sociales de la SARL LE PLAISANCE pour un prix de 50. 000 F et comportant une cession de créance dont disposait Mme Martine
Y...
dans les comptes de la société pour un montant de 1. 929. 067 F, alors :- que cet acte authentique dissimulait par son texte illisible la nature de l'engagement de feu M.
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et le montant de ce dernier, lui interdisant de comprendre ce à quoi il s'engageait et la portée de son engagement, en particulier quant au compte courant cité ;- que l'acte fait état d'un bilan qui serait connu des parties, annexé à l'acte, arrêté au 1er mai 1997 qui n'a pourtant jamais existé ; et que Me X... a dû reconnaître par la suite que, contrairement aux énonciations de son acte, il n'a jamais été adressé en projet à feu M.
A...
et qu'aucun bilan n'a jamais été annexé ;- que l'acte du 23 juin 1997 écarte en outre, toute garantie d'actif et de passif, et qu'il contient surtout une renonciation à tout recours de la part des acquéreurs en cas de passif dissimulé ou d'actifs venant avec être minorés ; que cette clause dérogatoire au droit commun signe, à elle seule, l'attitude fautive de Me X... ;- que dans l'acte du 23 juin 1997, M.
A...
et M. Z...ont acquis à parts égales, le capital social de la SARL LE PLAISANCE au prix de 50. 000 F alors qu'en réalité le prix n'est pas là ; qu'il consiste à la reprise d'un prétendu compte courant « fantôme » dont Mme
Y...
aurait été titulaire dans la SARL et évalué à la somme de 1. 992. 000 F au vu d'un bilan qui n'a jamais existé et somme intégrant en réalité des intérêts dissimulés à hauteur de 192. 000 €, contrairement aux mentions de l'acte visant à frauder le fisc ;- et que, contrairement aux affirmations du tribunal, ce n'est pas à eux de faire la preuve impossible que M.
A...
, leur père et mari, n'était pas informé d'un accord préalable Y...-A...dissimulé à l'acte notarié, mais au contraire au notaire qui le soutient de démontrer la connaissance préalable que M.
A...
en avait ; que, cependant, un bilan a bien été arrêté par l'expert-comptable et commissaire aux comptes à la date du 31 décembre 1996 ; que la date du 14 mai 1997 est en réalité celle à laquelle ce bilan a été dressé ; que cette erreur de date est dès lors sans incidence aucune ; et que de surcroît les acquéreurs ayant affirmé à l'acte avoir obtenu une copie du bilan avant la signature de celui-ci, aucun grief n'a pu résulter davantage du fait qu'il ne lui soit pas annexé, étant observé qu'il ne résulte d'aucun élément probant l'inexactitude du bilan querellé ; que l'absence de garantie de passif et le « montage juridique » repris à l'acte authentique résulte, aux termes des productions, d'un accord des parties ; que M.
A...
, s'étant présenté lui-même comme professionnel, comme il est dit supra, ne pouvait en ignorer la portée, l'acte étant clair ; que Me X... relève exactement que les consorts
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, auxquels la preuve de sa faute incombe, échouent à faire la preuve de l'ignorance dans laquelle se serait trouvé M. Bernard
A...
des négociations intervenues entre son co-cessionnaire, M. Z..., et Mme
Y...
, et surtout de ce que le notaire aurait eu lui-même connaissance de cette supposée ignorance de M. Bernard
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; que de surcroît les appelants n'expliquent pas comment cette prétendue et non établie dissimulation par le notaire « de l'accord sur ce montage entre les cédants et l'un des futurs co-cessionnaires », comme de leur décision d'intégrer au montant du compte courant de Mme
Y...
les intérêts contractuellement dus sur 24 mois pour des raisons fiscales, auraient pu causer un préjudice à leur de cujus, second co-cessionnaire ; que les manquements commis par chacune des parties à l'acte notarié du 23 juin 1997 les ont déjà conduites en réalité, d'elles-mêmes, à négocier à nouveau et à prendre la décision commune de résilier l'acte par le protocole transactionnel du 19 mai 1998, dont les consorts
A...
demandaient alors l'application en ce qu'il prévoyait la restitution du solde du compte courant de M.
A...
dans la SARL LE PLAISANCE d'un montant de 750. 000 F ; que ce sont les cessionnaires qui n'ont réglé que la somme payable au comptant de 500. 000 F sur le prix total de la vente de 2. 042. 000 F et qui n'ont pas donné mainlevée des cautions personnelles des consorts
Y...
au profit de la banque pour l'acquisition du fonds de commerce, ce que la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, par son arrêt du 27 mai 2008, n'a pu que constater en déboutant les consorts
A...
de leurs demandes ; qu'enfin les appelants font grief à l'étude de Me X... sous signature manuscrite de Mlle
Y...
, de s'être arrogée par la suite le droit d'intervenir pour le compte du représentant légal de la société LE PLAISANCE, débitrice principale de la banque, pour renégocier le prêt bancaire de la société ; mais qu'aucun préjudice n'ayant pu résulter de la révision à la baisse d'intérêts bancaires avec effet rétroactif, ce moyen doit être encore écarté ; qu'en définitive qu'en multipliant de vains griefs contre le notaire rédacteur des actes, les appelants se sont abstenus de faire la démonstration rigoureuse de ce que les fautes de ce dernier seraient bien la cause des dommages dont ils demandent la réparation ; que, pour le surplus, les premiers juges ont déjà répondu aux consorts
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par des motifs développés pertinents qui méritent adoption ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'approuver entièrement le jugement déféré ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le notaire est tenu à un devoir de conseil quelles que soient les compétences personnelles de ses clients ; qu'en l'espèce, pour exonérer le notaire de toute responsabilité, la cour d'appel a retenu que M. Bernard
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avait déclaré aux actes de Me X..., être de profession « marchand de biens », de sorte qu'il s'était présenté luimême comme « affranchi » dans le monde des affaires et que, s'étant donc présenté lui-même comme professionnel, il ne pouvait, notamment, ignorer la portée de l'acte du 23 juin 1997 qui était clair ; qu'en appréciant le devoir de conseil du notaire en fonction de la compétence de son client, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'il appartient au notaire instrumentaire de rapporter la preuve de l'exécution de son obligation de conseil ; qu'en l'espèce, pour exonérer le notaire de toute responsabilité, la cour d'appel a retenu que, s'agissant de l'acte du 22 octobre 1995 par lequel la société LE PLAISANCE a racheté le fonds de commerce exploité par la société LES BRUYERES, Me X..., notaire instrumentaire, n'avait pas à douter des déclarations des parties faisant état du paiement du prix alors qu'existait une reconnaissance de dette ; que, s'agissant de celui du 23 juin 1997, il n'était pas démontré qu'il aurait été informé de l'accord préalable intervenu entre le co-cessionnaire de M.
A...
et Mme
Y...
et de l'ignorance par M.
A...
de cet accord ; que, d'une manière générale, le fait que Mlle
Y...
, belle-fille de la gérante de la société LE PLAISANCE, ait été clerc salariée en l'étude de Me X... était insuffisante pour établir la connaissance de ces faits par le notaire et qu'ainsi les consorts
A...
ne rapportaient pas la preuve des manquements du notaire ; qu'en faisant ainsi peser sur ces derniers la charge de rapporter la preuve des manquements du notaire à son devoir de conseil, la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1382 du code civil.