LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Gilles X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS, chambre correctionnelle, en date du 8 novembre 2011, qui, pour harcèlement moral, l'a condamné à huit mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 222-33-2 du code pénal, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt a déclaré M. X... coupable de harcèlement moral au préjudice de Mme Y... et de Mme Z... et, en répression, l'a condamné à une peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis, a prononcé l'inscription de la condamnation au bulletin n° 2 et a statué sur les intérêts civils ;
" aux motifs propres et adoptés qu'il est décrit par Mme Y... dans ses auditions (D 12 et D 124), qu'à compter de novembre 2005, elle a subi des brimades quotidiennes, notamment l'usage d'un sobriquet de « saule pleureur » ou l'usage du terme « la Y... » rappelant le comportement de certains employeurs au 19ème siècle, un épisode de violences physiques sous les yeux d'un témoin, un déplacement de poste professionnel ; qu'il s'agit bien d'un dénigrement de la salariée ; que Mme B..., agent de cuisine, a non seulement confirmé ces propos qu'elle a entendus au sujet de sa collègue, mais elle a également décrit l'attitude irrespectueuse de M. X... envers Mme Y..., expliquant notamment qu'il n'arrêtait pas de la disputer et de la traiter de tous les noms, qu'il voulait qu'elle parte de l'établissement et qu'il s'est mis à la harceler sans aucune raison valable ; que ce témoin a assisté à la scène de violence physique où M. X... a coincé Mme Y... contre la porte de la cuisine, la poussant à coups d'épaule et la regardant avec méchanceté, épisode intervenu après l'arrêt maladie de novembre 2005 ; que, s'il relève du pouvoir de direction de l'employeur de déplacer tel ou tel salarié en fonction des besoins du service, et que M. X... pouvait retirer Mme Y... de son poste de cuisinière pour l'affecter à un poste d'hôtelière, alors que ce changement d'affectation n'avait pas de conséquence quant à la rémunération de la salariée, le contexte dans lequel il a été opéré a eu, en revanche, un effet déstabilisent évident, d'autant que Mme Y... s'est vue appliquer des horaires coupés, avec toute conséquence en terme de coût de transport et d'organisation du quotidien personnel ; que Mme Y... a été en arrêt de travail durant une semaine en novembre 2005 puis à compter de mai 2006, elle a de nouveau été placée en arrêt maladie pour cause d'anxiété réactionnelle, qu'ainsi les témoignages recueillis établissent bien une dégradation des conditions de travail, que l'employeur faisait en permanence usage de termes de dénigrement, de hurlements, qu'il en était résulté une crainte et une angoisse aboutissant à des arrêts de travail prescrits par le médecin ; que dans ces conditions, au regard des règles légales, tous les éléments constitutifs du délit reproché à M. X... à l'égard de Mme Y... son manifestement réunis ; que sur les faits relatifs à Mme Z..., il est confirmé par plusieurs témoins que M. X... avait déclaré qu'il ne pouvait plus la sentir ; que, dès lors, en écartant Mme Z... des autres salariés, en interdisant même à plusieurs personnes d'être en contact avec elle notamment Mme C..., d'une part, et, d'autre part, en la mettant à l'écart des informations et décisions relatives au service infirmier alors qu'elle exerçait les fonctions d'infirmière au sein de l'établissement depuis 1993, en déclarant lors du recrutement de la troisième infirmière qu'il allait rajeunir le « cheptel », le prévenu a bien eu un comportement humiliant à l'égard de la plaignante, démontrant le peu de considération et de respect qu'il pouvait avoir envers son personnel ; qu'il est établi que cette situation d'isolement provoquée par M. X... a atteint Mme Z... qui a finalement « craqué » et a dû subir un arrêt de travail d'une semaine avant les congés d'été de 2005 ; que Mme Z... va même parler d'une peur continue ; que ces agissements répétés ont bien entraîné une dégradation des conditions de travail altérant sa santé physique ou mentale ; que dans ces conditions, au regard des règles légales, tous les éléments constitutifs du délit reproché à M. X... à l'égard de Mme D..., épouse Z..., sont manifestement réunis ;
" 1°) alors que l'article 222-33-2 du code pénal, en ce qu'il ne définit pas précisément la notion de harcèlement, de dégradation des conditions de travail, de droits et de dignité de la victime, est contraire au principe de la légalité des délits et des peines ; que l'inconstitutionnalité qui viendra à être déclarée par le Conseil constitutionnel saisi par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité posée à l'occasion du présent pourvoi privera de fondement juridique l'arrêt attaqué et entraînera sa cassation ;
" 2°) alors que, pour déclarer M. X... coupable de harcèlement moral, la cour d'appel a fait application de l'article 222-33-2 du code pénal, lequel, par son imprécision et l'absence de définition des agissements qui peuvent être reprochés, n'offre aucune garantie quant à la prévisibilité des poursuites pénales et, par suite, est incompatible avec l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, de sorte que la cour d'appel devait déclarer ce texte inconventionnel et refuser de lui donner application ;
" 3°) alors que, pour dire réunis les éléments constitutifs du harcèlement moral, le juge doit relever, d'une part, que les agissements ont été répétés, d'autre part, ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail ; que, pour juger que M. X... avait harcelé moralement Mme Y..., la cour d'appel a notamment relevé qu'il l'avait affectée à un poste d'hôtelière avec des horaires coupés sur la journée, ce qui avait entraîné une augmentation de ses coûts de transport et des difficultés accrues d'organisation ; que la cour d'appel aurait dû rechercher, comme il lui était demandé, si la restructuration de la maison de retraite et la création des nouvelles salles à manger étaient en réalité seules à l'origine de la dégradation des conditions de travail que Mme Y... estimait avoir subie, son affectation au poste d'hôtelière, conformément au pouvoir de direction dont disposait M. X... ayant pour conséquence nécessaire, comme pour les autres salariés occupant un poste similaire, des horaires aménagés en fonction des heures de repas ;
" 4°) alors qu'en s'abstenant de rechercher si l'utilisation des termes « le saule pleureur » et « la Y... », certes inconvenants et déplacés, mais pour autant non susceptibles d'être qualifiés de harcèlement moral dès lors que M. X... n'entendait pas de la sorte intentionnellement dégrader les conditions de travail de Mme Y..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
" 5°) alors que le juge pénal ne peut statuer que sur les faits visés dans la prévention et ne peut motiver une déclaration de culpabilité sur des faits étrangers à sa saisine ; qu'en l'espèce, la cour d'appel était saisie de faits qui auraient été commis au préjudice de Mme Z... par M. X... à qui il était reproché « d'être monté en colère dans son bureau » et d'avoir interdit à Mme Z... « de converser avec d'autres salariés en dehors du travail » ; que, pour entrer en voie de condamnation, la cour d'appel a imputé à M. X... des faits étrangers à la prévention, consistant à déclarer à d'autres salariés qu'il ne pouvait plus supporter Mme Z..., à interdire à des salariés de parler à Mme Z..., à isoler cette dernière en ne la convoquant pas à des réunions et en utilisant le terme cheptel ; qu'en se fondant ainsi sur des faits étrangers à la prévention pour condamner M. X..., la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et a violé les textes susvisés ;
" 6°) alors que le harcèlement moral est un délit intentionnel ; qu'en se bornant à affirmer que M. X... avait commis les faits qui lui étaient reprochés à l'égard de Mme Y... et de Mme Z..., sans rechercher, à supposer que ces faits soient avérés, s'il avait eu l'intention de dégrader les conditions de travail de ces deux salariés et de porter atteinte à leurs droits, et non pas seulement, usant de son pouvoir de direction, de permettre la réhabilitation et un meilleur fonctionnement de la maison de retraite par des mesures ayant indirectement pour effet d'incommoder temporairement les salariés, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément intentionnel du délit et n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X..., directeur d'une maison de retraite, a été renvoyé par ordonnance du juge d'instruction devant le tribunal correctionnel pour y être jugé du chef de harcèlement moral envers les salariés de l'établissement ; que les juges du premier degré l'ont relaxé pour certains faits mais déclaré coupable de harcèlement moral à l'encontre de Mmes A..., épouse Y..., et Leze, épouse Z... ; que le prévenu, le ministère public et certaines parties civiles ont relevé appel du jugement ;
En cet état ;
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche :
Attendu que, contrairement à ce qui est soutenu, l'infraction de harcèlement moral prévue par l'article 222-33-2 du code pénal n'est pas incompatible avec les dispositions conventionnelles invoquées, dès lors que ce texte rédigé en termes clairs et précis exige, en premier lieu, la répétition intentionnelle d'actes ayant pour but ou pour effet une dégradation des conditions de travail et, en second lieu, que ces actes soient de nature à porter atteinte aux droits de la personne au travail, à altérer sa santé ou à compromettre son avenir professionnel ;
D'où il suit que le grief n'est pas fondé ;
Sur le moyen, pris en ses troisième à sixième branches :
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, les juges du second degré énumèrent et analysent les faits et circonstances ainsi que les témoignages recueillis, dont ils déduisent que les conditions de travail de Mmes Y... et Z... se sont dégradées en raison des agissements délibérés, commis de façon réitérée par le prévenu, qui ont porté atteinte à la santé des salariées ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance comme de contradiction, qui caractérisent à la charge du prévenu des agissements étrangers au pouvoir de direction de l'employeur et constituant le délit de harcèlement moral en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, la cour d'appel, qui n'a pas excédé sa saisine, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen, devenu sans objet en sa première branche, dès lors que la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. X... devra payer à Mme Evelyne Y... et au syndicat Santé sociaux CFDT de la Mayenne au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Guérin conseiller rapporteur, Mme Guirimand conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.