LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Mme Fatima X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, en date du 4 janvier 2011, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de M. François Y... du chef de harcèlement moral ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 222-33-2 du code pénal, L. 1152-1 du code du travail, 1382 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé M. Y... du chef de harcèlement moral ;
" aux motifs que la matérialité des faits ressortait des déclarations de la partie civile confirmées par celles réitérées de plusieurs témoins, clients de la société, à savoir que le prévenu avait fait usage du surnom « 744 » manifestement en relation avec les origines algériennes de Nadia X... ainsi que des termes « grises » et « arabe » devant les clients ayant témoigné ; qu'il l'avait dénigrée devant un autre client ; que le prévenu reconnaissait lui avoir demandé de ne se présenter que par son prénom « pour ne pas faire fuir les clients » ; qu'il n'était pas contesté que les relations s'étaient dégradées très rapidement entre M. Y... et Nadia X... sans que des détails concrets soient données sur cette situation ; que les faits résultant des témoignages, même s'ils étaient avérés, ne présentaient pas le caractère de répétition exigé par le texte ; qu'il s'agissait d'actes ponctuels ressortant de quelques témoignages de clients ; que le comportement du prévenu qui tenait des propos pour le moins désobligeants et goujats, avec une connotation raciste s'agissant d'une jeune femme d'origine algérienne débutant dans l'entreprise, avait pu être mal vécu mais n'était pas constitutif du délit de harcèlement d'autant plus que les propos n'avaient pas eu pour objet ou pour effet l'une ou l'autre des conséquences énumérées par le texte ; que la dégradation des conditions de travail de nature à altérer la santé ne ressortait pas des éléments du dossier ; que la relation de travail n'avait duré que quatre mois et la partie civile présentait des certificats médicaux dont le premier ne mentionnait pas que l'état de la patiente était réactionnel à un harcèlement et le second établi en 2004 était inopérant ; que rien n'interdisait de penser que l'état de la patiente était consécutif à son licenciement qui avait pu engendrer des troubles de type dépressif chez cette jeune femme motivée et attachée à remplir ses objectifs ;
" 1°) alors que le délit de harcèlement moral est constitué dès que sont avérés plusieurs agissements ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité de la personne harcelée ; que la cour d'appel, qui a constaté que la matérialité des faits à connotation raciste ressortait des déclarations réitérées de plusieurs clients de la société, que le dénigrement était attesté par un autre témoin, que le prévenu avait, en outre, reconnu avoir demandé à la victime de ne se présenter que par son prénom pour ne pas faire fuir les clients et a aussi constaté qu'il n'était pas contesté que les relations s'étaient très rapidement dégradées entre le prévenu et la plaignante avant d'aboutir à son licenciement, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ;
" 2°) alors que la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, s'il ne ressortait pas de plusieurs attestations de témoins et du rapport de l'inspection du travail du 1er août 2002 qu'à plusieurs reprises M. Y... avait demandé à Mme X... de ne pas se présenter aux clients sous son nom de famille pour ne pas les faire fuir et de plusieurs autres attestations que M. Y... lui avait fait des remarques désobligeantes, ce qui démontrait encore plus le caractère répété des agissements poursuivis, a privé sa décision de base légale ;
" 3°) alors que sont punissables les faits de harcèlement susceptibles d'altérer la santé physique ou mentale de la victime ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en relaxant le prévenu en raison de l'absence de preuve formelle d'un lien entre les agissements et la dégradation de la santé de Mme X... pourtant attestée par des médecins, la cour d'appel a statué par un motif inopérant ;
" 4°) alors que la cour d'appel, qui a constaté que le licenciement avait pu engendrer des troubles dépressifs chez Mme X..., jeune femme motivée et attachée à remplir ses objectifs, ce qui impliquait que la rupture du contrat ne se justifiait pas et qui n'a pas recherché si le non-renouvellement de son contrat ne constituait pas l'aboutissement des faits de harcèlement dont le prévenu devait répondre, a entaché sa décision d'un défaut de motifs " ;
Vu les articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu, d'une part, que constitue le délit prévu par le premier de ces textes le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
Attendu, d'autre part, que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Y..., responsable des ventes au sein d'une concession automobile à Trèbes (Aude), a été renvoyé devant la juridiction correctionnelle, sur le fondement de l'article 222-33-2 du code pénal, du chef de harcèlement moral à l'égard de Mme X..., qui avait été employée comme vendeuse dans la concession entre le mois de janvier et le mois de mai 2002, date à laquelle son contrat de travail avait été rompu à l'issue d'une période d'essai ; que le tribunal a déclaré la prévention établie en se fondant sur les témoignages de clients rapportant les comportements méprisants et déstabilisants de M. Y... à l'égard de la salariée, et en retenant que le fait, reconnu par le prévenu, d'affubler une personne d'un sobriquet associé à son origine algérienne et de lui donner pour instruction de ne pas faire usage de son nom patronymique pour ne pas déplaire à la clientèle, a constitué pour la partie civile, dans la relation de travail, une atteinte à sa dignité allant au-delà de la simple injure ; que M. Y..., le ministère public et Mme X... ont relevé appel de la décision ;
Attendu que, pour infirmer le jugement entrepris, relaxer le prévenu et débouter la partie civile de ses demandes, après avoir relevé que la matérialité, des agissements poursuivis, ressortait des déclarations de Mme X..., confirmées par celles, réitérées de plusieurs témoins, l'arrêt retient que ces agissements, même s'ils sont avérés, ne présentent pas le caractère de répétition exigé par l'article 222-33-2 du code pénal, s'agissant de faits ponctuels, et qu'ils n'ont pas entraîné les conséquences énumérées par ce texte, les certificats médicaux produits par la partie civile ne faisant pas état d'une dégradation des conditions de travail de nature à altérer sa santé ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'elle avait constaté l'existence de faits répétés au sens de l'article 222-33-2 du code pénal et que l'infraction de harcèlement moral est constituée en cas d'agissements de cette nature ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de la personne visée, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE en ses seules dispositions civiles l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 4 janvier 2011, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues et pour qu'il soit statué à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au profit de Mme X... ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Beauvais conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Téplier ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;