LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 2010), que la Ville de Paris a acquis en 1993 par voie de préemption un hôtel meublé donné en location gérance à M. X... par la société Excelsior Hôtel Carlin titulaire du fonds de commerce ; que désirant réaliser une opération d'aménagement public nécessitant la fermeture de l'établissement, la Ville de Paris a demandé au juge de l'expropriation de Paris de statuer sur le droit au relogement de M. X..., occupant d'une chambre dans l'établissement et sur l'indemnité d'éviction susceptible de lui revenir, en fixant une indemnité alternative devant être réduite à néant au cas où M. X... serait dépourvu de titre de séjour sur le territoire français ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la Ville de Paris fait grief à l'arrêt de dire que M. X... pouvait prétendre à un droit au relogement et de fixer son indemnité d'éviction à 1 450 euros, alors, selon le moyen, que le droit au relogement et à indemnité de l'occupant évincé suppose que celui-ci séjourne de façon régulière sur le territoire français ; qu'en affirmant qu'il lui appartenait d'apprécier la situation de M. X... au regard des règles relatives au séjour des étrangers sur le territoire français, quand cette question ne pouvait être tranchée que par le juge du fond, le juge de l'expropriation s'est arrogé un pouvoir qui ne lui appartient pas, en violation de l'article L. 13-8 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que le juge de l'expropriation était seul compétent pour statuer au fond en application de l'article L. 14-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique sur le litige relatif au droit au relogement d'un occupant et à l'indemnisation pouvant lui être due à ce titre ;
D'où il suit que le moyen, qui vise la violation d'un texte inapplicable à l'espèce, n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la Ville de Paris fait grief à l'arrêt de statuer comme il l'a fait alors, selon le moyen :
1°/ qu'à supposer même que le juge de l'expropriation soit compétent pour juger de la régularité du séjour de l'occupant évincé sur le territoire français, l'ordre public s'oppose à ce qu'une personne séjournant clandestinement sur le territoire français puisse faire constater par un juge le droit de se voir affecter un logement pour continuer à résider sur le territoire en violation de la loi ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 6 du code civil, L. 314-1 et L. 314-2 du code de l'urbanisme, et L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation ;
2°/ que le droit au relogement et à indemnité de l'occupant évincé est conditionné à sa bonne foi, d'une part, et à ce que le logement faisant l'objet d'une opération d'aménagement constituât son habitation principale, d'autre part ; qu'en jugeant que la bonne foi de M. X... étaitacquise du seul fait qu'il avait sa résidence principale dans l'hôtel à réhabiliter, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation, et L. 314-1 du code de l'urbanisme ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la Ville de Paris avait acquis l'immeuble par voie de préemption le 19 mars 1993, que M. X..., locataire gérant de l'hôtel meublé exploité dans cet immeuble, y occupait une chambre depuis 1993, qu'il n'était pas contesté que ce logement constituait son habitation principale, et que les articles L. 314-1 et suivants du code de l'urbanisme ne posaient aucune condition tenant à la situation administrative des occupants étrangers, la cour d'appel, statuant en qualité de juridiction de l'expropriation, a souverainement retenu que M. X... était occupant de bonne foi et en a déduit à bon droit, sans violer l'article 6 du code civil, que celui-ci devait bénéficier du droit au relogement et de l'indemnité due à l'occupant de bonne foi en application de l'article L. 314-2 du code de l'urbanisme ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la Ville de Paris fait grief à l'arrêt de statuer comme il l'a fait alors, selon le moyen :
1°/ que la fourniture d'un logement à un étranger en situation irrégulière, fût-ce sous le couvert d'un droit au relogement, est constitutive de l'infraction d'aide au séjour irrégulier ; qu'en décidant le contraire, au motif inopérant que la loi pénale est d'interprétation stricte, quand la règle précitée découle de l'application pure et simple des conditions posées au texte, les juges du fond ont violé l'article 111-4 du code pénal et L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ensemble l'article L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation et les articles L. 314-1 et L. 314-2 du code de l'urbanisme ;
2°/ qu'en exigeant, pour que soit constitué le délit d'aide au séjour irrégulier, que celui qui fournit cette aide ait l'intention de dissimuler l'identité de l'étranger ou la volonté de préserver sa clandestinité, les juges du fond ont ajouté aux textes une condition qui n'y figure pas et, partant, ont violé l'article 111-3 du code pénal, ensemble l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Mais attendu qu'ayant relevé que M. X..., occupant de bonne foi, devait bénéficier d'un droit au relogement et au versement d'une indemnité d'éviction et que l'obligation de reloger, qui relève de l'ordre public social, est prévue de la manière la plus large pour tous les occupants de bonne foi, sans distinguer selon que l'occupant étranger est ou non en situation irrégulière, la cour d'appel a exactement déduit, de ces seuls motifs, que le fait de le reloger dans le cadre et les conditions déterminées par l'article L. 314-2 du code de l'urbanisme ne pouvait caractériser une infraction pénale ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Ville de Paris aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile rejette la demande de la Ville de Paris ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze septembre deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour la Ville de Paris.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a décidé que Monsieur X... pouvait prétendre à un droit à un relogement et a fixé son indemnité d'éviction à 1.450 euros ;
AUX MOTIFS QUE « les locataires, même de logements meublés, peuvent prétendre, notamment au titre de l'article L 14-3 du Code de l'expropriation, indépendamment de tout droit au relogement, à la réparation du préjudice personnel qu'ils supportent du fait de l'expropriation, et que, dans le cadre d'une opération d'aménagement effectuée par une personne publique entraînant l'éviction définitive des occupants d'un immeuble habité, l'article L 314-2 du Code de l'urbanisme renvoie notamment aux dispositions applicables en matière d'expropriation ; qu'il s'ensuit que la circonstance que l'occupant précité serait ou non étranger en situation irrégulière est indifférente quant à son droit à réparation du préjudice, non discuté, qu'il supporte, de sorte qu'à bon droit le premier juge a fixé, à l'égard de cet occupant, l'indemnité à lui due du fait de l'opération d'aménagement, sans avoir égard, sur ce point, à l'ignorance dans laquelle se trouve la Ville de Paris de la régularité de son séjour en France ; que c'est à tort, sur ce point, que le jugement déféré est critiqué, en ce qu'il n'a pas statué sous la forme alternative invoquée, dés lors que, s'agissant de la fixation du montant d'une indemnité, le juge de l'expropriation ne peut procéder de manière alternative, en application de l'article L 13-8 du Code de l'expropriation, que dans les seuls cas où il n'est pas dans son office de trancher la difficulté, en ce qu'elle est étrangère à la fixation du montant de l'indemnité, et qu'en l'espèce, la situation administrative de l'occupant de bonne foi étranger étant sans effet sur la réparation du préjudice par lui supporté, il n'y avait pas lieu de statuer par voie alternative ; … qu'en application des articles L 14-3 et R 14-11 du Code de l'expropriation, les contestations relatives au relogement des locataires ou occupants, notamment de locaux d'habitation, relèvent de la compétence du juge de l'expropriation, de sorte qu'à bon droit le premier juge a retenu qu'il n'y avait pas à statuer par voie d'alternative, suivant les prévisions de l'article L 13-8 du Code de l'expropriation, comme le lui demandait, sans avoir véritablement lié le contentieux sur ce point, la Ville de Paris, étant observé que, d'une part, il ne s'agissait pas, sur ce point, de la fixation d'une indemnité, et que, d'autre part, si les difficultés invoquées relèvent bien du fond du droit, c'est au juge de l'expropriation qu'il appartient de les trancher, étant seul compétent pour le faire, tant en droit qu'en fait au regard des textes précités » ;
ALORS QUE, le droit au relogement et à indemnité de l'occupant évincé suppose que celui-ci séjourne de façon régulière sur le territoire français ; qu'en affirmant qu'il lui appartenait d'apprécier la situation de Monsieur X... au regard des règles relatives au séjour des étrangers sur le territoire français, quand cette question ne pouvait être tranchée que par le juge du fond, le juge de l'expropriation s'est arrogé un pouvoir qui ne lui appartient pas, en violation de l'article 13-8 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
DEUXIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a décidé que Monsieur X... pouvait prétendre à un droit à un relogement et a fixé son indemnité d'éviction à 1.450 euros ;
AUX MOTIFS QUE « cet occupant, qui figure sur le registre de cet hôtel depuis de nombreuses années, est un occupant de bonne foi, au sens de l'article L 521-1 du Code de la construction et de l'habitation, auquel renvoie l'article L. 314-1 du Code de l'urbanisme, ayant sa résidence principale dans ledit hôtel ; que, du fait des travaux que va entreprendre la Ville de Paris dans le cadre d'une opération d'aménagement, son logeur étant définitivement évincé, il n'est pas discuté que cette éviction est pour lui la source de préjudices personnels, indépendamment du relogement, dès lors que ces préjudices ont donné lieu à une offre de la Ville de Paris » ;
ALORS QUE, premièrement, à supposer même que le juge de l'expropriation soit compétent pour juger de la régularité du séjour de l'occupant évincé sur le territoire français, l'ordre public s'oppose à ce qu'une personne séjournant clandestinement sur le territoire français puisse faire constater par un juge le droit de se voir affecter un logement pour continuer à résider sur le territoire en violation de la loi ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 6 du Code civil, L.314-1 et L.314-2 du Code de l'urbanisme, et L.521-1 du Code de la construction et de l'habitation ;
ET ALORS QUE, deuxièmement, le droit au relogement et à indemnité de l'occupant évincé est conditionné à sa bonne foi, d'une part, et à ce que le logement faisant l'objet d'une opération d'aménagement constituât son habitation principale, d'autre part ; qu'en jugeant que la bonne foi de Monsieur X... était acquise du seul fait qu'il avait sa résidence principale dans l'hôtel à réhabiliter, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles L.521-1 du Code de la construction et de l'habitation, et L.314-1 du Code de l'urbanisme.
TROISIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a décidé que Monsieur X... pouvait prétendre à un droit à un relogement et a fixé son indemnité d'éviction à 1.450 euros ;
AUX MOTIFS QUE « c'est à bon droit que le premier juge a statué comme il l'a fait, étant observé que la Ville de Paris, qui ignore la situation administrative de l'occupant au regard de son séjour, n'a fait aucune proposition de relogement, contrairement à ce qui est énoncé à l'article L 314-2 du Code de l'urbanisme, que l'obligation de reloger, qui relève de l'ordre public social, est prévue par cet article de la manière la plus large pour tous les occupants de bonne foi, au sens de l'article L 521-1 du Code de la construction et de l'habitation, lequel ne distingue pas suivant que l'occupant étranger est ou n'est pas en situation régulière, que l'obligation de reloger n'impose pas à la personne publique que ce relogement soit effectué dans un logement attribué par un organisme d'habitations à loyer modéré et que, en l'absence d'agissements intentionnels en vue de dissimuler l'identité de l'étranger ou de volonté de préserver sa clandestinité, la seule circonstance pour quiconque de lui consentir, malgré l'irrégularité de son séjour, un relogement, dans le cadre et les conditions déterminées par l'article L 314-2 du Code de l'urbanisme, n'est pas constitutive du délit de l'article L 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne vise que l'aide directe ou indirecte à l'entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier de l'étranger et qui est, comme toute loi pénale, d'interprétation stricte » ;
ALORS QUE, premièrement, la fourniture d'un logement à un étranger en situation irrégulière, fût-ce sous le couvert d'un droit au relogement, est constitutive de l'infraction d'aide au séjour irrégulier ; qu'en décidant le contraire, au motif inopérant que la loi pénale est d'interprétation stricte, quand la règle précitée découle de l'application pure et simple des conditions posées au texte, les juges du fond ont violé l'article 111-4 du Code pénal et L. 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), ensemble l'article L. 521-1 du Code de la construction et de l'habitation et les articles L. 314-1 et L. 314-2 du Code de l'urbanisme ;
ET ALORS QUE, deuxièmement, en exigeant, pour que soit constitué le délit d'aide au séjour irrégulier, que celui qui fournit cette aide ait l'intention de dissimuler l'identité de l'étranger ou la volonté de préserver sa clandestinité, les juges du fond ont ajouté aux textes une condition qui n'y figure pas et, partant, ont violé l'article 111-3 du Code pénal, ensemble l'article L.622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).