LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III ;
Attendu que Mme X... épouse Y... a perçu, entre septembre 1996 et le 31 juillet 2008, les arrérages de la pension de retraite de son mari Gaston Y..., ancien agent public de collectivité territoriale, en sa qualité d'administratrice des biens de ce dernier, disparu du domicile familial le 27 août 1996, présumé absent selon une ordonnance du juge des tutelles du 1er août 1997, puis déclaré absent par jugement du 10 juin 2008 ; que, par lettre du 9 septembre 2008, la Caisse des dépôts et consignations a fait opposition auprès du notaire chargé de la succession de Gaston Y... pour obtenir le remboursement de la somme de 108 606,97 euros correspondant au montant des arrérages perçus par Mme Y... pendant la période considérée ; que celle-ci a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale qui a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la Caisse des dépôts et consignations et a dit que Mme Y... avait qualité pour percevoir les arrérages de la pension de retraite de son mari aux lieu et place de celui-ci ;
Attendu que pour retenir la compétence de la juridiction judiciaire, l'arrêt retient que le litige n'a pas pour objet une contestation du principe ou du montant de la pension versée à Gaston Y... mais porte sur la capacité de Mme Y... de percevoir, en sa qualité d'administratrice des biens de son époux, présumé disparu, la totalité des pensions de retraite de celui-ci jusqu'au jugement déclaratif d'absence ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le litige ne concernait pas une prestation de sécurité sociale mais le droit de Gaston Y..., disparu et présumé absent en vertu de l'ordonnance rendue par le juge des tutelles, représenté par son épouse en tant qu'administratrice de ses biens, à percevoir sa pension de retraite d'agent public, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs en violant les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 mars 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme Y... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la Caisse des dépôts et consignations.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
II est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS ;
AUX MOTIFS QUE la CDC soutient, au visa de l'article R.312-13 du code de justice administrative et sur le fondement du jugement rendu par le Tribunal des conflits le 20 février 2008, que le litige étant relatif à une pension d'un agent de collectivité locale, seul le tribunal administratif est compétent ; qu'il résulte cependant de la décision précitée de la juridiction des conflits dont la CDC, bien que s'en prévalant, s'est abstenue de produire copie, que le critère de compétence des organismes du contentieux de la sécurité sociale est, en ce qui concerne les fonctionnaires et agents de l'Etat et des collectivités publiques, lié non à la qualité des personnes en cause, mais à la nature même du différend ; que les litiges relatifs à l'application à ces agents du régime de sécurité sociale, qu'il s'agisse du régime général ou d'un régime spécial, échappent à la juridiction administrative, celle-ci ne pouvant connaître que des prestations inhérentes à leur statut ; que même si une décision touchant à la gestion d'un régime spécial de sécurité sociale a été prise par une autorité administrative, la juridiction de sécurité sociale reste compétente ; qu'il n'est pas discutable que le présent litige porte, non pas sur le principe ou le montant de la pension versée à M. Y..., mais sur la capacité pour Mme Lucette Y... de percevoir, en sa qualité d'administratrice des biens de son époux présumé disparu, la totalité des pensions de retraite jusqu'au jugement déclaratif d'absence du 10 juin 2010 en réalité 2008 ; que le tribunal des affaires de sécurité sociale ayant bien une compétence générale pour examiner l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et cette compétence générale ne pouvant céder qu'en cas de compétence exclusive donnée à une autre juridiction, il convient, en l'absence de dispositions particulières, et confirmant en cela le jugement entrepris, de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS ;
1°/ ALORS QUE la juridiction administrative est seule compétente pour connaître des prestations inhérentes au statut des fonctionnaires et agents de l'Etat et des collectivités publiques ; que tel est le cas de la pension des agents publics territoriaux, laquelle n'est pas la contrepartie de cotisations versées par leur bénéficiaire au cours de leur activité, mais une « allocation
pécuniaire personnelle et viagère » rémunérant les services accomplis jusqu'à la cessation régulière de cette dernière, compte tenu du niveau, de la durée et de la nature de ces services, pour assurer aux agents des conditions d'existence en rapport avec la dignité de leur fonction ; qu'ainsi, aux termes de l'article R. 312-13 al. 1er du code de justice administrative, les litiges relatifs aux pensions des agents des collectivités locales relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel est situé le siège de la personne publique dont l'agent intéressé relevait au moment de sa mise à la retraite ; qu'en décidant que le litige relatif à la pension de M. Y..., agent public territorial, relevait de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale et non de celle du tribunal administratif, au motif inopérant que le premier a une compétence générale pour examiner l'application des législations et réglementations de sécurité sociale, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
2°/ ALORS QUE, selon la cour, le critère de compétence de la juridiction à connaître du litige tient « non à la qualité des personnes en cause, mais à la nature même du différend » (arrêt, p. 3, § 2) ; qu'il s'ensuit que la question première et essentielle n'était pas de savoir si Mme Y..., administratrice des biens de son époux présumé disparu qualité de la personne en cause , était capable ou non de percevoir la totalité des pensions de retraite jusqu'au jugement déclaratif d'absence du 10 juin 2008, mais si la pension de M. Y..., agent public, pouvait lui être allouée malgré son absence nature du différend , cette question essentielle conditionnant celle de savoir si Mme Y... ou toute autre personne pouvait prétendre elle-même à l'allocation de la pension ; que ce différend, dans son principe comme dans ses conséquences, a été tranché par le Conseil d'Etat, lequel a jugé que « la disparition, depuis plus d'un an, d'un fonctionnaire civil ou militaire, avait pour effet de suspendre ses droits propres à pension et d'ouvrir, le cas échéant, à ses ayants cause la possibilité de se voir reconnaître à titre provisoire le bénéfice des droits à pension qu'ils détiendraient s'il était décédé » et que « l'état de présomption d'absence faisait obstacle au versement, entre les mains de l'administratrice de ses biens, de la pension à laquelle il aurait pu prétendre » ; qu'ainsi la mise en oeuvre du principe retenu par la cour d'appel devait la conduire à constater que la nature même du différend relevait de l'examen du seul juge administratif ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an El ;
3°/ ALORS QU'aux termes de l'article R. 312-13 du code de justice administrative, qui ne fait aucune exception de litige ou de qualité de personne en cause, les litiges relatifs aux pensions des agents des collectivités locales relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel est situé le siège de la personne publique dont l'agent intéressé relevait au moment de sa mise à la retraite ; qu'en l'espèce, la cour a jugé que l'existence d'un texte particulier réservant un litige à une juridiction particulière en interdisait l'examen par le tribunal des affaires de sécurité sociale ; qu'en décidant dès lors de retenir la compétence de ce dernier pour juger du litige relatif à la pension de M. Y..., nonobstant l'existence du texte susvisé, explicitement invoqué devant elle et visé dans ses motifs, la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé derechef la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)II est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR, au fond, confirmé le jugement rendu le 10 mai 2010 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude en ce qu'il avaait dit que Mme Lucette Y..., désignée en qualité d'administratrice des biens de M Gaston Y..., avait qualité pour percevoir en ses lieu et place les arrérages de la pension de retraite dont il bénéficiait au moment de sa disparition et ce jusqu' à la date à laquelle le jugement déclarant son absence était devenu définitif, qu'elle devait jouir à compter de cette date de ses droits propres à percevoir une pension de réversion, et en ce qu'il a déclaré non fondée l'opposition formée par la Caisse des Dépôts et consignations entez les mains de Me Besancenot et ordonné sa mainlevée emportant libération des fonds ;
AUX MOTIFS QU'aux termes des articles 112 à 132 du code civil, l'absent est présumé vivant jusqu'à ce que soit prononcé le jugement déclaratif d'absence, lequel emporte à sa transcription tous les effets que le décès de l'absent aurait eus ; qu'ainsi, devant être tenu pour vivant, l'absent doit continuer, jusqu'à la liquidation de la pension de réversion servie à son conjoint, à percevoir les arrérages de sa pension de vieillesse qui n'est autre que la contrepartie des cotisations versées au cours de l'activité professionnelle ; que pour s'opposer à ce principe et combattre le fait que le premier juge a considéré qu'en raison de cette présomption de vie Mme Lucette Y... était fondée, en sa qualité d'administratrice des biens de son époux, à percevoir la totalité des arrérages de pension de retraite de ce dernier, la CDC soutient qu'il convient d'opérer une distinction entre le régime spécial des pensions servies aux fonctionnaires de l'Etat et des collectivités publiques et celui des pensions servies par le régime général de la sécurité sociale ; qu'ainsi, pour la CDC, dans le cadre du régime général de la sécurité sociale, les cotisations versées au cours de la carrière de l'agent sont « une assurance contre le risque vieillesse » alors que pour les fonctionnaires les pensions « sont concédées en contrepartie des services rendus à l'Etat et non des cotisations versées et qu'elles revêtent un caractère personnel » ; qu'elle ajoute que si l'article L.352-3 du code de la sécurité sociale et l'article 49 du décret du 26 décembre 2003 portant règlement de retraites pour la Caisse nationale sont rédigés dans les mêmes termes, dans le second article la notion "d'assuré" ne figure pas et que ce faisant Mme Y... doit être déboutée de ses prétentions ; que sans s'attacher au défaut de précision de la CDC qui n'explique pas comment une «pension personnelle en rémunération de services rendus » ne peut pas être versée, à ce titre, au conjoint administrateur des biens de l'absent mais peut changer de nature et perdre son « caractère personnel » en se transformant en pension de réversion, la Cour rappellera aux parties que les obligations de la loi priment sur celles émanant du décret ; que Mme Y... s'étant vu désignée le 1er août 1997 pour représenter dans l'exercice de ses droits et administrer tout ou partie de ses biens M. Gaston Y..., disparu le 27 août 1996, il ne peut lui être opposé de n'avoir pas usé de l'article 49 du décret du 26 décembre 2003 qui, en son paragraphe 1, prévoit que lorsqu'un titulaire d'une pension est absent depuis plus d'un an de son domicile sans qu'il en ait réclamé les arrérages, son conjoint peut obtenir une pension de réversion à titre provisoire ; que Mme Y... ayant ainsi été investie par la décision précitée du pouvoir de réclamer lesdits arrérages avant que ne soit remplie la condition tenant au délai écoulé d'un an, l'opposition formée par la CDC entre les mains du notaire liquidateur est infondée ;
1°/ ALORS QUE la pension d'un agent public constitue une « allocation pécuniaire personnelle et viagère » inhérente à son statut (art. L. 1 du code des pensions civiles et militaires de retraite) ; que « lorsqu'un bénéficiaire du présent code, titulaire d'une pension ou d'une rente viagère d'invalidité, a disparu de son domicile et que plus d'un an s'est écoulé sans qu'il ait réclamé les arrérages de sa pension ou de sa rente viagère d'invalidité, son conjoint et les enfants âgés de moins de vingt et un ans qu'il a laissés peuvent obtenir, à titre provisoire, la liquidation des droits à la pension qui leur seraient ouverts en cas de décès » (art. L. 57 du même texte) ; que ces dispositions sont dérogatoires de celles des articles 112 et suivants du code civil ; qu'en en faisant dès lors application au litige, relatif à la pension d'un agent public absent, M. Y..., et à son versement à l'administratrice de ses biens, Mme Y..., alors que ces dispositions lui étaient étrangères, la cour a violé ces textes par fausse application, ensemble les articles L. 1 et L. 57 du code des pensions civiles et militaires de retraite ;
2°/ ALORS QUE la pension des fonctionnaires est une allocation personnelle et viagère ; que selon son régime légal, elle n'est pas une assurance, ni son bénéficiaire un assuré ; qu'elle est la contrepartie non de cotisations versées au cours de l'activité professionnelle de ce dernier mais des services qu'il a accomplis, évalués selon leur niveau, leur durée, leur nature ; qu'en retenant dès lors le contraire, pour juger que Mme Y... était en droit de percevoir, es qualités d'administratrice des biens de son mari, la totalité des arrérages de pension de retraite de ce dernier, la cour a violé les articles L. 352-3 du code de la sécurité sociale, L. 1 et L. 57 du code des pensions civiles et militaires de retraite, et 49 du décret n°2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
3°/ ALORS QUE selon les dispositions des articles L. 57 du code des pensions civiles et militaires de retraite, et 49 du décret du 26 décembre 2003, les conjoints des fonctionnaires absents peuvent obtenir, pour eux et leurs enfants de moins de 21 ans, à titre provisoire, la liquidation des droits qui leur seraient ouverts en cas de décès ; qu'il s'agit d'une indemnisation spécifique, destinée à ne pas laisser les intéressés sans ressources avant que le jugement déclaratif d'absence soit intervenu ; que cette indemnisation ne se confond ni ne se cumule avec la pension de l'agent disparu, laquelle, strictement personnelle, est suspendue du fait de l'absence ; que la pension est transformée au décès du fonctionnaire en pension de réversion ; qu'en se déterminant dès lors comme elle l'a fait, aux motifs inopérants que la CDC n'expliquait pas l'impossibilité de verser une pension personnelle au conjoint administrateur ni le 'changement de nature' de ladite pension en pension de réversion et que la loi était au-dessus du décret de 2003, la cour a violé les articles L. 1, L. 57 et L. 38 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ensemble les articles 40-1 et 49 du décret n°2003-1306 du 26 décembre 2003 par refus d'application ;
4°/ ALORS QUE pour justifier enfin les droits de Mme Y... sur les arrérages de la pension de son mari absent et déclarer non fondée l'opposition formée de ce chef par la CDC entre les mains de Me BESANCENOT, la cour a retenu que Mme Y... ayant été désignée administratrice de ses biens par un jugement du 1er août 1997, il ne pouvait pas lui être opposé de n'avoir pas usé de la faculté que lui offraient les dispositions de l'article 49 alinéa 1 du décret du 26 décembre 2003 dès lors que ce jugement lui donnait pouvoir de réclamer ces arrérages avant que ne soit remplie la condition du délai d'un an ; qu'en se déterminant ainsi, quand ledit jugement ne lui donnait pas un tel pouvoir, la cour a violé les dispositions des articles L. 1 et L. 57 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ensemble l'article 49 du décret n°2003-1306 du 26 décembre 2003.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR réformant le jugement attaqué, condamné la Caisse des dépôts et consignations à payer à Mme Lucette Y... la somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
AUX MOTIFS QU'en considération des circonstances de la disparition de M. Gaston Y..., alors âgé de 73 ans, de la douleur supportée par son épouse qui, aujourd'hui âgée de plus de 81 ans, n'a pu offrir à son conjoint de sépulture ; que des courriers échangés avec la CDC pour aboutir à une solution amiable, celle-ci a opposé une rigueur toute administrative à l'égard d'une personne qui ne s'était attachée qu'à respecter la loi et les décisions de justice ;
ALORS QUE l'abus de procédure est une faute, qui doit être caractérisée ; que pour condamner la CDC à payer à Mme Y... la somme de 2.000 € pour procédure abusive, la cour s'est bornée à relever que M. Y... avait disparu à l'âge de 73 ans, que Mme Y... en avait plus de 80, qu'elle avait conçu du chagrin de n'avoir pu lui donner de sépulture et que la CDC avait répondu à ses demandes de solution amiable avec « une rigueur toute administrative » ; qu'en se déterminant ainsi, sans avoir caractérisé aucune faute de la CDC susceptible d'avoir fait dégénérer en abus l'exercice légitime du droit d'agir en justice ou d'interjeter appel, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil.