LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé par la SNCF le 1er septembre 2000 en qualité de responsable juridique, M. X..., qui exerçait en dernier lieu les fonctions de directeur délégué, a été licencié pour insuffisance professionnelle par une lettre du 6 octobre 2008, après avoir été mis à pied le 13 août 2008 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la SNCF fait grief à l'arrêt de dire le licenciement prononcé pour insuffisance professionnelle dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :
1°/ que l'insuffisance professionnelle ne se réduit pas à la seule insuffisance de résultats ou de travail, mais s'étend aussi à l'incompétence professionnelle ; qu'en l'espèce, la cour, qui a décidé que le licenciement de M. X... était dénué de cause réelle et sérieuse, dans la mesure où sa lettre de licenciement était dépourvue de cohérence, car elle invoquait, non une insuffisance professionnelle conçue comme une insuffisance de travail ou de résultat du salarié, mais des faits fautifs qui avaient servi d'appui à une procédure disciplinaire ensuite abandonnée, alors que l'insuffisance professionnelle s'entend aussi d'une incompétence du salarié, ce qui, en l'espèce, avait précisément été reprochée à M. X..., les faits invoqués à l'appui du licenciement procédant, non d'un comportement fautif, mais d'une ignorance pure et simple des règles de passation et d'exécution des marchés à la SNCF, a violé les articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail ;
2°/ que l'incompétence professionnelle justifiant le licenciement pour insuffisance de résultats d'un salarié est par nature non fautive ; qu'en l'espèce, la cour qui, après avoir constaté qu'une procédure disciplinaire avait été engagée contre M. X... pour des faits laissant suspecter que les irrégularités relevées par un contrôle interne de la SNCF visait à favoriser fautivement une entreprise, a cependant ensuite estimé que le licenciement du salarié était dénué de cause réelle et sérieuse, car les mêmes faits avaient été invoqués à l'appui d'une insuffisance professionnelle du salarié, alors que les irrégularités relevées dans la lettre de licenciement établissaient, non un comportement frauduleux, mais une simple incompétence professionnelle de M. X..., ce dont il résultait que la SNCF avait à juste titre prononcé un licenciement pour cause réelle et sérieuse et non pour faute grave, a violé les articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail ;
3°/ que l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi d'un salarié relève du seul pouvoir patronal ; qu'en l'espèce la cour d'appel, qui a substitué son appréciation de l'insuffisance professionnelle du salarié à celle de la SNCF, pourtant seule compétente pour apprécier l'aptitude professionnelle de M. X..., a violé les articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail ;
4°/ que les juges du licenciement doivent apprécier la matérialité des faits articulés à l'appui de la lettre de licenciement d'un salarié ; qu'en l'espèce, la cour, qui s'est bornée à relever le "manque de cohérence" de la lettre de licenciement de M. X..., pour en déduire que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse, a refusé d'exercer ses pouvoirs, au regard de l'article L. 1235-1 du code du travail ;
Mais attendu qu'analysant les griefs énoncés dans la lettre de licenciement qui reprochait au salarié "les très graves irrégularités commises dans la passation de certains marchés ainsi que dans leur exécution de nature à porter atteinte aux intérêts de la SNCF", "l'absence de contrôle des prestations", la "violation des principes comptables" et de manière générale la "transgression des règles d'éthique", ce dont il se déduisait que le licenciement avait un caractère disciplinaire et qu'ayant ensuite fait ressortir que la procédure prévue au sein de la SNCF pour procéder à un tel licenciement n'avait pas été respectée, la cour d'appel a décidé, exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1235-1 du code du travail, que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;
Attendu que pour infirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement justifié par une insuffisance professionnelle et le confirmer pour le surplus de ses dispositions, la cour d'appel retient que les premiers juges ont par des motifs appropriés qu'elle adopte, rejeté les demandes supplémentaires du salarié au titre de la part individuelle de la rémunération variable 2008 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le conseil de prud'hommes avait condamné la SNCF à payer à M. X... la somme de 11 916,07 euros à titre de rappel de salaire variable 2008, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a confirmé le jugement en sa disposition relative à la condamnation de la SNCF à verser la somme de 11 916,07 euros à titre de rappel de salaire variable 2008 , l'arrêt rendu le 29 septembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juin deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la Société nationale des chemins de fer français
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement d'un salarié (Monsieur Claude X...), prononcé par l'employeur (la SNCF) pour insuffisance professionnelle, était dénué de cause réelle et sérieuse,
AUX MOTIFS QUE Monsieur X... avait fait l'objet, le 12 août 2008, d'une mise à pied, qualifiée de « conservatoire », avec effet immédiat, comportant remise des clés de son bureau et de ses outils de travail ; qu'il avait été dispensé de préavis, mais celui-ci lui avait été réglé ; qu'il était non moins constant qu'une procédure disciplinaire avait été engagée contre lui le 14 août 2008, sous forme de questions auxquelles il lui était demandé de s'expliquer quant à la passation de 11 marchés dont 5 précisément listés, au sujet desquels il lui avait été reproché, notamment des « procédés gravement irréguliers », car « en infraction avec la réglementation », des procédures d'appel d'offres « contournées » pour « favoriser la société LTK », des « habillages de marchés « fautifs » et la « mise en risque de la SNCF pour prêt de main d'oeuvre illicite » ; que la procédure initiée contre Monsieur X... avait donc été engagée sur un plan disciplinaire, motif pris de l'existence de fautes graves commises par le salarié ; que si la lettre de licenciement du 3 octobre 2008 avait été notifiée à Monsieur X... pour « insuffisance professionnelle », laquelle est par nature non fautive (étant afférente à du travail ou des résultats insuffisants, à la non réalisation d'objectifs malgré la mise en position de le faire, etc...), force était de constater qu'elle reprenait, cependant, les griefs qui avaient été allégués au soutien de la procédure initiale, à savoir : les « très graves irrégularités dans la passation de certains marchés mais aussi et surtout dans leur exécution », lesquelles « graves irrégularités étaient de nature à porter atteinte aux intérêts financiers de la SNCF, mais aussi à lui faire courir des risques importants notamment au plan judiciaire et au plan de son image » (page 1), règles de passation des marchés « non respectées » (page 2), marchés passés « sans habilitation » (page 3), « non-respect du principe d'impartialité dans la mise en oeuvre de la procédure de consultation » (page 4), absence de contrôle des prestations prévues au contrat et absence des livrables prévus et « violation des principes comptables » (page 5), autorisation de recours au prêt de main d'oeuvre dans des conditions susceptibles d'engager la responsabilité civile et pénale de la SNCF (page 6) et de manière générale « transgression des règles d'éthique » (page 7)... ; que les griefs allégués dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, étaient donc objectivement afférents à un comportement fautif et non à une insuffisance professionnelle par définition non fautive, ce dont il résultait que la motivation de la lettre était dépourvue de cohérence, ce qui impliquait que le licenciement de Monsieur X... par la SNCF devait être analysé en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1° ALORS QUE l'insuffisance professionnelle ne se réduit pas à la seule insuffisance de résultats ou de travail, mais s'étend aussi à l'incompétence professionnelle ; qu'en l'espèce, la cour, qui a décidé que le licenciement de Monsieur X... était dénué de cause réelle et sérieuse, dans la mesure où sa lettre de licenciement était dépourvue de cohérence, car elle invoquait, non une insuffisance professionnelle conçue comme une insuffisance de travail ou de résultats du salarié, mais des faits fautifs qui avaient servi d'appui à une procédure disciplinaire ensuite abandonnée, alors que l'insuffisance professionnelle s'entend aussi d'une incompétence du salarié, ce qui, en l'espèce, avait précisément été reprochée à Monsieur X..., les faits invoqués à l'appui du licenciement procédant, non d'un comportement fautif, mais d'une ignorance pure et simple des règles de passation et d'exécution des marchés à la SNCF, a violé les articles L 1232-1, L 1232-6 et L 1235-1 du code du travail ;
2° ALORS QUE l'incompétence professionnelle justifiant le licenciement pour insuffisance de résultats d'un salarié est par nature non fautive ; qu'en l'espèce, la cour qui, après avoir constaté qu'une procédure disciplinaire avait été engagée contre Monsieur X... pour des faits laissant suspecter que les irrégularités relevées par un contrôle interne de la SNCF visaient à favoriser fautivement une entreprise, a cependant ensuite estimé que le licenciement du salarié était dénué de cause réelle et sérieuse, car les mêmes faits avaient été invoqués à l'appui de l'insuffisance professionnelle du salarié, alors que les irrégularités relevées dans la lettre de licenciement établissaient, non un comportement frauduleux, mais une simple incompétence professionnelle de Monsieur X..., ce dont il résultait que la SNCF avait à juste titre prononcé un licenciement pour cause réelle et sérieuse et non pour faute grave, a violé les articles L 1232-1, L 1232-6 et L 1235-1 du code du travail ;
3° ALORS QUE l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi d'un salarié relève du seul pouvoir patronal ; qu'en l'espèce la cour, qui a substitué son appréciation de l'insuffisance professionnelle du salarié à celle de la SNCF, pourtant seule compétente pour apprécier l'aptitude professionnelle de Monsieur X..., a violé les articles L 1232-1, L 1232-6 et L 1235-1 du code du travail ;
4° ALORS QUE les juges du licenciement doivent apprécier la matérialité des faits articulés à l'appui de la lettre de licenciement d'un salarié ; qu'en l'espèce, la cour, qui s'est bornée àrelever le prétendu « manque de cohérence » de la lettre de licenciement de Monsieur X..., pour en déduire que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse, a refusé d'exercer ses pouvoirs, au regard de l'article L 1235-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait condamné un employeur (la SNCF) à régler un rappel de rémunération à un salarié (Monsieur X...), licencié pour insuffisance professionnelle,
AUX MOTIFS QUE c'était par des motifs appropriés que les premiers juges avaient rejeté la demande supplémentaire de Monsieur X..., au titre de la part individuelle de la rémunération variable 2008 et les congés payés afférents,
ALORS QUE les juges ne peuvent dénaturer les termes du jugement de première instance ; qu'en l'espèce, la cour, qui a énoncé que le jugement avait débouté Monsieur X... de sa demande en paiement de sa part individuelle de la rémunération variable 2008, quand les premiers juges avaient accueilli la demande du salarié sur ce point, a dénaturé les termes de ce jugement, en violation des prescriptions de l'article 1134 du code civil.