LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° P 11-30. 370 et n° E 11-17. 413 qui attaquent le même arrêt ;
Sur le moyen unique de chacun de ces pourvois, pris en leur première branche, rédigée en termes identiques, réunis :
Vu les articles L. 621-2 et L. 641-1 du code de commerce ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par jugement du 6 octobre 2010, la liquidation judiciaire de la société Comptoir technique des professionnels (la société CTP) a été étendue à la société civile immobilière Sancyr (la SCI) sur le fondement de la confusion des patrimoines ;
Attendu que pour confirmer cette décision, l'arrêt retient que même si la SCI a pu acquitter les charges d'emprunts pendant la période 2007/ 2009 et dégager un bénéfice, le défaut de tout versement de loyer de la part de la société CTP pendant trente-quatre mois l'a privée d'une part non négligeable de ses ressources, sans aucune contrepartie, ni susciter aucune réaction de la dirigeante de la SCI pour y remédier et que cette abstention a procédé d'une volonté réitérée et systématique caractérisant des relations financières anormales entre les deux sociétés, constitutives à elles seules de la confusion de leurs patrimoines ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à caractériser l'existence de relations financières anormales constitutives d'une confusion des patrimoines entre la SCI et la société CTP, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 mars 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société BTSG en sa qualité de liquidateur de la société CTP et de la SCI Sancyr aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me de Nervo, avocat aux Conseils pour M. Y...et Mme Z..., demandeurs au pourvoi n° E 11-17. 413, et la société Sancyr, demanderesse au pourvoi n° P 11-30. 370
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué
D'AVOIR étendu à la SCI Sancyr, la liquidation judiciaire ouverte à l'égard de la SARL Comptoir Technique des Professionnels (CTP)
AUX MOTIFS QUE la SCI Sancyr avait été constituée le 28 décembre 1997 et son capital de 12 000 parts avait été réparti entre Monsieur Elio Y..., son épouse et leur fille Sandrine ; que la SCI avait acquis deux immeubles situés aux 11 et 11 bis de la rue du marché, à Nanterre ; que les époux Y...avaient cédé leurs parts à leurs enfants Cyril et Sandrine (épouse Z...), devenus détenteurs de 6000 parts chacun ; que les deux associés avaient cédé à Monsieur A...9600 de leurs parts, le 21 mars 2005 ; que, en contradiction avec cet acte, Cyril et Sandrine Y...avaient cédé 3000 parts chacun à leurs parents, le 2 juin 2005 ; que ces actes avaient été enregistrés ; qu'un litige opposait les consorts Y...à Monsieur A...sur la propriété des parts de la SCI et sur la validité des actes de cession du 21 mars 2005, extorqués par des manoeuvres frauduleuses et à vil prix ; que pour cette raison, un administrateur provisoire avait été désigné par ordonnance en date du 26 mars 2010, en la personne de Maître B...; que le gérant d'origine de la SCI était Monsieur Elio Y..., auquel avait succédé sa fille Sandrine ; que Monsieur A...se revendiquait gérant depuis une assemblée générale contestée en date du 30 mars 2010 ; qu'il était constant que, aux termes de ses statuts mis à jour le 2 novembre 2006, la SARL CTP avait pour associés Monsieur A...(550 parts), Monsieur Cyril Y...(275 parts) et Madame Sandrine Y...(275 parts), Monsieur A...étant le gérant ; que la SARL Telstar avait pour sa part pour associés Monsieur A...et Madame Y...; qu'il résultait de cet exposé, sinon une quasi-identité, comme l'avaient retenu les premiers juges, du moins la présence d'associés communs au sein des sociétés concernées ; que certes, la présence d'associés communs n'était pas un élément permettant de caractériser la confusion des patrimoines ; qu'elle pouvait néanmoins expliquer certaines attitudes ; que de même, il était acquis que le montage suivant lequel une SCI avait un capital détenu par des associés de la société d'exploitation prenant à bail ses locaux, n'était pas critiquable en soi ; que seule était en discussion la confusion des patrimoines des sociétés CTP et Sancyr ; que la confusion des patrimoines reposait sur deux critères alternatifs, à savoir la confusion des comptes et les relations financières anormales correspondant à des transferts patrimoniaux effectués par action ou abstention, l'anomalie résidant dans l'absence de contrepartie ; que ces relations anormales devaient en outre procéder d'une volonté systématique ; qu'il n'était pas nécessaire de relever une imbrication des comptes ou une pluralité d'indices ; qu'il était établi que les loyers dus par la société CTP à la SCI Sancyr n'avaient pas été payés entre février 2007 et novembre 2009, mois du prononcé de la liquidation judiciaire de la société CTP, aboutissant à une créance de la SCI d'un montant de 92 677, 20 euros TTC ; qu'il était constant qu'aucune réclamation écrite, mise en demeure, sommation ou procédure n'avait été diligentée par Madame Sandrine Y..., gérante de la SCI, jusqu'à la délivrance d'un commandement de payer du 10 novembre 2009 et la déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société CTP, le 10 décembre 2009 ; que la SCI et les consorts Y...expliquaient que cette attitude correspondait à un moratoire permettant à la société locataire de surmonter des difficultés passagères, comme cela s'était déjà produit en 2005 ; que toutefois, aucune preuve n'était apportée d'un tel moratoire ; que la SCI Sancyr avait pour seul actif immobilier les immeubles situés aux ... et que son objet était la gestion de ce patrimoine immobilier qu'elle louait : au rez-de-chaussée à la société CTP pour un loyer annuel de 19 200 euros, à la société Telstar pour un loyer annule de 45 734, 71 euros, et également aux époux Elio Y...; que même si la SCI avait pu acquitter les charges d'emprunt pendant la période 2007/ 2009 et dégager un bénéfice, le défaut de tout versement de la part de la société CTP pendant 34 mois l'avait privé d'une part non négligeable de ses ressources, sans aucune contrepartie, sans susciter aucune réaction ; que cette abstention avait procédé d'une volonté réitérée et systématique caractérisant des relations financières anormales entre les deux sociétés, constitutives à elles seules de la confusion de leurs patrimoines ; que la délivrance d'un commandement de payer six jours avant la cessation des paiements de la société CTP ne pouvait être considérée comme une tentative sérieuse de recouvrement remettant en cause l'anormalité du crédit sans contrepartie consenti pendant près de trois ans ; que la constatation de la confusion des patrimoines conduisait à confirmer la décision d'extension de la liquidation judiciaire de la société CTP à la SCI Sancyr ;
ALORS QUE la seule constatation du défaut de paiement des loyers pendant deux ans et de l'abstention de poursuivre le recouvrement, n'est pas de nature à révéler la confusion des patrimoines entre le bailleur et le locataire ; que la Cour d'appel a elle-même constaté que la société bailleresse recevait des loyers beaucoup plus importants d'un autre locataire, remboursait régulièrement ses emprunts et faisait des bénéfices ; qu'elle remplissait donc son objet social, qui était la gestion de son patrimoine immobilier, indépendamment de ses relations avec la société locataire mise en liquidation judiciaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé l'article L 641-1 du code de commerce ;
ET ALORS QUE l'extension de la liquidation judiciaire à une SCI, sous le seul prétexte qu'elle a été négligente dans le recouvrement des loyers de l'un de ses locataires pendant deux années, constitue une méconnaissance du droit de toute personne, physique ou morale, au respect de ses biens ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme.