LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 octobre 2010), que M. X..., engagé par la SNCF le 1er juin 1980 et y exerçant en dernier lieu les fonctions de cadre commercial, a, par application du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954, été mis à la retraite le 6 avril 2006 à effet au 15 juillet 2006, date de son 55ème anniversaire ;
Attendu que la SNCF fait grief à l'arrêt de dire que cette mise à la retraite prononcée d'office à compter du 15 juillet 2006 constitue une mesure individuelle discriminatoire contraire à l'article L. 1132-1 du code du travail, de dire que cette décision nulle et, en conséquence, d'ordonner la réintégration de l'intéressé avec effet rétroactif et de condamner l'employeur à payer des sommes au titre de ses préjudices financiers et moral, alors, selon le moyen :
1°/ que si un texte réglementaire autorisant une entreprise à mettre à la retraite d'office tout salarié ayant atteint un certain âge et remplissant certaines conditions est licite comme ne constituant pas en lui-même une discrimination interdite par l'article L. 1132-1 du code du travail, il en résulte nécessairement, sauf à priver ce texte de toute portée, que cette entreprise est libre de le mettre en oeuvre en plaçant à la retraite d'office n'importe lequel de ses salariés répondant à toutes les conditions, sans avoir à justifier des raisons de cette mesure au niveau individuel ; qu'en examinant si l'application au cas de M. X... des dispositions du décret du 9 janvier 1954 ouvrant à la SNCF la possibilité de mettre d'office à la retraite tout agent âgé d'au moins 55 ans et qui remplit les conditions de durée de services définies par le règlement de retraites, était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et si les moyens mis en oeuvre pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires, cependant qu'elle admettait que lesdites dispositions du décret du 9 janvier 1954 ne constituaient pas, en elles-mêmes, une discrimination interdite par l'article L. 1132-1 du code et que l'intéressé remplissait lesdites conditions, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1, L.1133-1 et L. 1133-2 du code du travail ;
2°/que la nécessité de réduire les charges financières liées au nombre des agents de la SNCF ayant été et demeurant la justification légale des dispositions réglementaires litigieuses, il importe seulement, pour que chaque décision individuelle de mise à la retraite d'office soit le moyen approprié et nécessaire de répondre à un objectif légitime, qu'elle satisfasse effectivement, à la date à laquelle elle est prise, à cet objectif général, global et constant ; qu'en retenant que celui-ci ne peut être assimilé à l'objectif social ou à l'objectif de politique de l'emploi exigés par la directive communautaire 2000/78 et la jurisprudence de la CJCE pour justifier une discrimination fondée sur l'âge et en affirmant que le moyen selon lequel la mise à la retraite de M. X... s'inscrivait dans l'objectif général d'adaptation de la masse salariale de la SNCF en fonction de l'évolution de son organisation et de son activité était inopérant, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1133-2 du code du travail ;
Mais attendu, d'une part, que si des dispositions réglementaires autorisant, à certaines conditions, la mise à la retraite d'un salarié à un âge donné peuvent ne pas constituer, par elles-mêmes, une discrimination interdite par l'article L. 1132-1 du code du travail, il n'en résulte pas que la décision de l'employeur de faire usage de la faculté de mettre à la retraite un salarié déterminé est nécessairement dépourvue de caractère discriminatoire ;
Que c'est dès lors à bon droit, que la cour d'appel a retenu que si les dispositions du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954 ouvrent la possibilité pour la SNCF de mettre à la retraite d'office un agent à l'âge de 55 ans, cette décision doit répondre aux conditions posées par l'article L 1133-1 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, interprété au regard de la directive no 2000/78/CE du 27 novembre 2000, qui consacre un principe général du droit communautaire ;
Attendu d'autre part, que, selon ce texte, les différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime, notamment de politique de l'emploi, et lorsque les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ;
Et attendu que la cour d'appel, qui a relevé qu'une large proportion d'agents de sa catégorie, âgés de plus de 55 ans, ne se voyait pas imposer une telle mesure et que la SNCF se bornait à invoquer, pour justifier la mise à la retraite d'office M. X..., la possibilité de réduire ses charges financières au regard du nombre de ses agents, et retenu que cet objectif général global et constant ne permettait pas de considérer la mise à retraite de l'intéressé comme étant justifiée par un objectif légitime, au sens de l'article L. 1133-1 du code du travail, de sorte qu'elle était constitutive d'une discrimination fondée sur l'âge et qu'elle devait être annulée a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
Rejette le pourvoi ;
Condamne la SNCF aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SNCF et la condamne à payer 2 500 euros à M. X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Monod et Colin, avocat aux Conseils pour la société SNCF
MOYEN UNIQUE DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que l'admission à la retraite de M. X... prononcée d'office par la SNCF à compter du 15 juillet 2006 constitue une mesure individuelle discriminatoire contraire à l'article L. 1132-1 du code du travail et que cette décision est nulle de plein droit, et d'avoir, en conséquence, ordonné la réintégration de l'intéressé au sein de la SNCF avec effet rétroactif et condamné la SNCF à lui payer les sommes respectives de 130.137 € et 10.000 € au titre de ses préjudices financier et moral ;
AUX MOTIFS QUE la décision de mettre M. X... à la retraite d'office se référait aux dispositions du décret du 9 janvier 1954 permettant à la SNCF de prononcer l'admission à la retraite des agents remplissant la double condition d'âge et d'ancienneté de services prévue par le règlement des retraites, soit 55 ans pour les agents sédentaires comptant 25 années de services et pouvant bénéficier d'une pension de retraite normale ; que si ces dispositions réglementaires ne constituent pas, en elles-mêmes, une discrimination interdite, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat, les dispositions du statut SNCF se trouvent en contradiction avec les dispositions internationales et européennes ultérieures qui, s'imposant en droit interne, interdisent les mesures de discrimination, notamment au regard de l'âge, ainsi que de la jurisprudence de la CJCE ; que la SNCF a d'ailleurs remédié à cette situation lors de la réforme du régime spécial entrée en vigueur le 1er juillet 2008 qui a abrogé les dispositions de 1959 et repoussé à 65 ans l'âge limite de la retraite ; que le décret du 9 janvier 1954 n'ouvrait à la SNCF qu'une simple possibilité de retraite anticipée pour les agents remplissant la double condition d'âge et d'ancienneté, cette mise à la retraite n'étant ni obligatoire ni systématique et que M. X... n'est pas utilement contesté quand il affirme qu'une large proportion d'agents de sa catégorie cadre de plus de 55 ans, et donc dans une situation comparable à la sienne, ne se voit pas imposer une telle mesure ; que la décision individuelle de mettre M. X... à la retraite dès 55 ans, si elle s'adossait aux dispositions du décret de 1954, devait donc satisfaire aux exigences de l'article L. 1133-1 du code du travail et être justifiée par un objectif légitime ; qu'au moment où elle a été prise par l'employeur, cette décision n'a reçu aucune autre justification que la référence aux dispositions statutaires, mais que le simple fait qu'une telle possibilité soit ouverte par le statut ne saurait s'analyser comme un objectif légitime, alors que la SNCF n'applique pas cette mesure à l'ensemble des cadres de plus de 55 ans ; que l'explication initiale basée sur l'âge de l'intéressé était, dès lors, contraire au principe de non-discrimination posé par l'article L. 1132-1 et ne répondait pas aux exigences de l'article L. 1133-1 ; que si ultérieurement, la SNCF a invoqué comme objectif légitime la possibilité « de réduire les charges financières liées au nombre des agents », motif avancé lors de la rédaction du décret litigieux pour justifier ses dispositions, cet objectif général, global et constant, doit être servi par la décision individuelle qui doit être « objectivement et raisonnablement justifiée » au regard de l'objectif poursuivi, ce dont, en l'espèce, la SNCF ne rapporte aucune preuve ; qu'elle n'établit pas que la décision individuelle de mise à la retraite d'office de M. X... constituait un moyen approprié et nécessaire au regard de l'objectif de réduction des charges financières qu'elle invoque ; qu'au-delà, outre qu'un motif aussi large ne peut fonder de manière légitime la mise à la retraite personnelle de l'intéressé, ce motif de réduction des charges de l'entreprise, clairement financier et de gestion, ne saurait être assimilé, sans autre précision ni justification, à un « objectif à caractère social » ou « de politique sociale », ni même à un objectif de « politique de l'emploi » tels que l'exigent la directive communautaire 2000/78 et la jurisprudence de la CJCE pour considérer comme acceptable une discrimination fondée sur l'âge ; que le moyen selon lequel la mise à la retraite de M. X... s'inscrit dans l'objectif général d'adaptation de la masse salariale en fonction de l'évolution de son organisation et de son activité est dès lors inopérant ; qu'en conséquence, la SNCF ne rapporte pas la preuve d'un objectif légitime au regard des exigences ci-dessus rappelées, ni même, au-delà, de ce que la mise à la retraite individuelle de M. X... dès l'âge de 55 ans était nécessaire et appropriée pour la réalisation de l'objectif qu'elle avance ; que si la SNCF avait la possibilité de prendre une mesure liée à l'âge, l'absence d'objectif légitime confère à cette mesure individuelle un caractère de discrimination illicite ;
ALORS QUE si un texte règlementaire autorisant une entreprise à mettre à la retraite d'office tout salarié ayant atteint un certain âge et remplissant certaines conditions est licite comme ne constituant pas en lui-même une discrimination interdite par l'article L. 1132-1 du code du travail, il en résulte nécessairement, sauf à priver ce texte de toute portée, que cette entreprise est libre de le mettre en oeuvre en plaçant à la retraite d'office n'importe lequel de ses salariés répondant à toutes les conditions, sans avoir à justifier des raisons de cette mesure au niveau individuel ; qu'en examinant si l'application au cas de M. X... des dispositions du décret du 9 janvier 1954 ouvrant à la SNCF la possibilité de mettre d'office à la retraite tout agent âgé d'au moins 55 ans et qui remplit les conditions de durée de services définies par le règlement de retraites, était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et si les moyens mis en oeuvre pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires, cependant qu'elle admettait que lesdites dispositions du décret du 9 janvier 1954 ne constituaient pas, en elles-mêmes, une discrimination interdite par l'article L. 1132-1 du code et que l'intéressé remplissait lesdites conditions, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1133-2 du code du travail ;
ALORS au surplus QUE la nécessité de réduire les charges financières liées au nombre des agents de la SNCF ayant été et demeurant la justification légale des dispositions règlementaires litigieuses, il importe seulement, pour que chaque décision individuelle de mise à la retraite d'office soit le moyen approprié et nécessaire de répondre à un objectif légitime, qu'elle satisfasse effectivement, à la date à laquelle elle est prise, à cet objectif général, global et constant ; qu'en retenant que celui-ci ne peut être assimilé à l'objectif social ou à l'objectif de politique de l'emploi exigés par la directive communautaire 2000/78 et la jurisprudence de la CJCE pour justifier une discrimination fondée sur l'âge et en affirmant que le moyen selon lequel la mise à la retraite de M. X... s'inscrivait dans l'objectif général d'adaptation de la masse salariale de la SNCF en fonction de l'évolution de son organisation et de son activité était inopérant, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1133-2 du code du travail.