LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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L'association Communauté des béatitudes, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 24 juin 2010, qui, dans la procédure suivie contre MM. Paul X..., Gérard Y..., Nicolas Z..., Gérard A..., la société journal de l'Est Républicain édition d'Epinal, et la société journal de l'Est Républicain édition de Nancy, du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des
articles 23, 29, alinéa 1er, 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite du chef de diffamation publique envers un particulier au bénéfice de la bonne foi ;
"aux motifs que, sur le caractère diffamatoire des propos extraits du premier article reprochés aux directeurs de publication et au journaliste, les accusations dont se fait l'écho le journaliste M. X..., à savoir celle de manipuler les jeunes élèves par des pratiques d'exorcisme délirantes et celle d'être de nouveau mise en cause dans une affaire d'attouchements sexuels sur des élèves auxquels se serait livré un de ses dirigeants, sont contraires à l'honneur et à la considération de la partie civile qui, nommément citée pour "abriter" les cours privés dans lesquels se produiraient les faits dénoncés, est ainsi directement visée pour être responsable de méthodes éducatives néfastes et pour, s'agissant des atteintes sexuelles, à tout le moins, manquer de vigilance ; que, sur le caractère diffamatoire des propos extraits du second article reprochés aux directeurs de publication et à M. Z... , Mme Z... ne conteste pas avoir tenu les propos reproduits dans cet article qui, même s'ils procèdent d'une appréciation subjective de son expérience personnelle, n'en tendent pas moins, d'une part, à conforter, en les illustrant, les pratiques de manipulation précédemment évoquées et, d'autre part, à confirmer "les attouchements" dont le journaliste a fait état dans le premier article en précisant que M. Z... avait désigné "le dirigeant de la communauté appelé" le "berger" pour en être l'auteur ; que ces propos présentent donc également un caractère diffamatoire envers l'association, partie civile ; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner le sursis à statuer demandé par M. Z..., celui-ci, même s'il n'est pas journaliste, devant disposer au moment où il formule des imputations diffamatoires des éléments propres à établir sa bonne foi ;
que, sur l'offre de preuve du journaliste, la communication par les parents de David B... de sa "lettre posthume" évoquant des scènes d'attouchements, les témoignages recueillis de plusieurs anciens élèves ou membres de la communauté sur la manipulation et l'infantilisation dont ils estiment avoir été victimes, la procédure d'information à la suite des faits dénoncés par M. Z... ne peuvent suffire, ainsi que l'a estimé le tribunal, à rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires, dans les conditions exigées par la loi ; que, sur la bonne foi, s'agissant du journaliste, il était légitime que celui-ci, auquel venait d'être communiquée une lettre faisant état d'attouchements sexuels susceptibles d'avoir été commis sur des enfants scolarisés dans une institution dirigée par la partie civile, y consacre un article d'autant qu'une récente procédure venait de mettre en lumière des faits de même nature commis par un religieux de la communauté dans une autre institution située dans l'Aveyron et que les faits évoqués dans la lettre lui étaient confirmés par un ancien élève, M. Z... ; qu'il n'est pas allégué par la partie civile que le journaliste aurait été mû par une animosité de nature personnelle à l'encontre de la partie civile et non par celle d'informer le public ; que, sur les éléments d'enquête, le journaliste disposait, en premier lieu, de "la lettre posthume" de David B..., remise par ses parents et dont l'authenticité, au regard des éléments recueillis auprès de ces derniers et de l'oncle du jeune homme, qui est venu témoigner sous serment devant le tribunal, pouvait lui apparaître certaine ; qu'à la lecture, cette lettre, quelles qu'en soient les qualités littéraires ou le caractère éventuellement "romanesque", permettait au journaliste de rapporter que le jeune homme y racontait "de manière circonstanciée les gestes de son père spirituel et les manipulations mentales" dont il se disait victime ; qu'il disposait du témoignage tout aussi circonstancié de M. Z..., qui ne conteste pas que ses propos ont été fidèlement rapportés et de l'ordonnance de non-lieu confirmant, à tout le moins, l'existence des accusations portées par les deux anciens élèves ou membres de la communauté se trouvaient confortés par les informations, non démenties, parues dans la presse, faisant état des réserves émises non seulement par des praticiens mais également par le Vatican sur certaines pratiques, dites "psycho spirituelles" auquel a recours la communauté ; qu'il ne saurait être reproché au journaliste de ne pas avoir rendu compte de la position de la partie civile alors qu'il est bien précisé dans le sous-titre que : "L'institution dément" puis, dans le corps de l'article, que les griefs émis par plusieurs anciens élèves ne sont, selon l'actuel directeur des lieux, "que des fantasmes", ainsi qu'‘un tissu de mensonges, une calomnie ; qu'enfin, le journaliste, en insistant sur le "mystère" entourant cette affaire s'est gardé de procéder par affirmation et a fait preuve de mesure dans l'expression ; que le bénéfice de la bonne foi lui a été, en conséquence, accordé à juste titre par le tribunal ; que M. Z..., qui n'est pas journaliste, a livré un témoignage sur son expérience personnelle d'ancien élève d'Autrey, dont le lecteur ne peut que comprendre qu'il est subjectif ; que ce témoignage, qu'il est venu confirmer à l'audience, est étayé par ceux d'anciens élèves ou membres de la communauté et, s'agissant du retentissement en ayant résulté sur son équilibre psychique, par les témoignages de sa famille et du psychiatre l'ayant suivi ; qu'enfin, ses propos ainsi que ceux de David B... ont été estimés suffisamment constants et cohérents par l'UNAFDI pour que celle-ci fasse un signalement ayant déclenché des investigations qui, certes, ont abouti dans un premier temps, en 2004, à une ordonnance de non-lieu mais qui, ainsi que l'indique le journaliste à la fin de l'article, se poursuivent actuellement ;
"1) alors que la cour d'appel ne pouvait accorder le bénéfice de la bonne foi au journaliste, lorsqu'il résultait des termes mêmes de l'arrêt attaqué que celui-ci avait « manqué de vigilance » et qu'il ressortait des pièces du dossier qu'il était l'auteur d'un article dépourvu de nuances dont les termes suggéraient aux lecteurs la commission d'infractions graves à l'encontre des élèves dépendant de l'institution partie civile et sans caractériser la moindre prudence et mesure de l'expression du journaliste qui n'avait pas fait preuve d'objectivité, la seule mention dans le journal de ce que « l'institution dément », accompagné des commentaires de l'actuel directeur des lieux, étant insuffisante à rendre objective l'information ainsi délivrée ;
"2) alors que la bonne foi suppose que l'information ait été délivrée dans un but d'information, laquelle doit être légitime ; que la cour d'appel, qui s'est bornée, pour retenir la bonne foi, à constater qu'il n'était pas démontré que « le journaliste ait été mu par une animosité personnelle à l'encontre de la partie civile et non par celle d'informer le public » a privé sa décision de toute base légale ;
"3) alors que, la cour d'appel ne pouvait se contenter, pour retenir l'existence d'une enquête sérieuse, d'une lettre aux caractères littéraires, voire romanesques et des déclarations d'un prétendu témoin lorsque les passages incriminés qui formulent des accusations d'agressions sexuelles aggravées qu'aucun élément objectif ne vient corroborer dépassent les limites de la liberté d'expression ;
"4) alors que, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, faire profiter à M. Z... de l'excuse de bonne foi au prétexte que, non journaliste, « il a livré un témoignage sur son expérience personnelle d'ancien élève d'Autrey, dont le lecteur ne peut que comprendre qu'il est subjectif » lorsqu'il résultait de ses propres constatations que ces propos que « le prévenu ne contestait pas avoir tenu, (…) même s'ils procèdent d'une appréciation subjective de son expérience personnelle, n'en tendent pas moins, d'une part, à conforter, en les illustrant, les pratiques de manipulation précédemment évoquées et, d'autre part, à confirmer "les attouchements" dont le journaliste a fait état dans le premier article en précisant que M. Z... avait désigné le dirigeant de la communauté appelé le "berger" pour en être l'auteur (et) que ces propos présentent donc également un caractère diffamatoire envers l'association partie civile";
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs répondant aux conclusions dont elle était saisie, a, sans insuffisance ni contradiction, exposé les circonstances particulières invoquées par les prévenus et énoncé les faits sur lesquels elle s'est fondée pour justifier l'admission à leur profit du bénéfice de la bonne foi ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Monfort conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;