LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 février 2010), que la société CMA-CGM a opéré le transport de bobines de fil d'acier, expédiées par la société Michelin Italiana, de Gênes (Italie) à Dalian (Chine), sur le navire "CMA-CGM Normandie" qui s'est échoué sur un récif au large de Singapour ; que la marchandise, après avoir été chargée sur une barge, a été présentée au destinataire qui l'a refusée ; que la société Axa Corporate solutions assurance et six co-assureurs (les assureurs) ont demandé la condamnation de la société CMA-CGM à leur rembourser l'indemnisation versée par eux à la société Michelin Italiana ;
Attendu que la société CMA-CGM fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer aux assureurs la somme de 41 029 euros, alors, selon le moyen :
1°/ qu'aux termes du rapport d'expertise établi le 4 avril 2005 par l'expert judiciaire M. X... il était exposé : "le chargement des conteneurs en pontée dans son dernier port d'escale entraînait une zone aveugle sur l'avant du navire supérieure à ce qui était autorisé. Cette restriction préjudiciable pour l'observation de navires ou amers à proximité immédiate et sur l'avant du porte-conteneur n'a toutefois pas empêché l'observation du feu situé sur la balise "Helen Mar Real" visible à environ 13 miles (…) Le second capitaine qui était de quart au moment de l'événement disposait d'une formation et d'une expérience largement suffisantes pour faire face à la situation à laquelle il était confronté" ; qu'en énonçant que selon l'expert judiciaire le chargement en pontée constituait une restriction préjudiciable pour l'observation de navire ou amers à proximité immédiate qui avait contribué à l'échouement du navire alors même que l'expert excluait tout rôle causal du mode de chargement dans la survenance de l'échouement, la cour d'appel a dénaturé par omission le rapport d'expertise susvisé et a violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que ni le transporteur ni le navire ne sont responsables pour perte ou dommage résultant des actes, négligence ou défaut du capitaine, marin, pilote ou des préposés du transporteur dans la navigation ou dans l'administration du navire ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la faute nautique - fautes de navigation et dans l'administration du navire "Normandie CMA-CGM" - avait contribué à l'échouement du navire ; qu'en énonçant que cette faute était "neutralisée" par le fait que plusieurs fautes commerciales avaient contribué à la survenance du dommage pour en déduire que le transporteur devait être condamné à supporter l'entier préjudice invoqué par les assureurs alors même que la faute nautique est une cause exonératoire, totale ou partielle, de la responsabilité du transporteur, la cour d'appel a violé l'article 4 § 2 a) de la c Convention de Bruxelles du 25 août 1924 amendée ;
3°/ que le transporteur maritime, sous réserve des dispositions de l'article 4 de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, amendée, doit procéder de façon appropriée et soigneuse, au chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises transportées, qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la marchandise n'avait souffert aucun dommage lors de l'échouement et que la perte de la marchandise résultait du fait qu'au moment où elle avait été remise au destinataire, le 1er août 2001, elle ne pouvait plus être utilisée en raison d'un phénomène d'oxydation dû au seul écoulement du temps ; qu'en énonçant que l'absence de fermeture des portes étanches entre les cloisons des cales 3, 4 et 5 était constitutives d'une faute commerciale imputable au transporteur et engageant sa responsabilité, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 3 § 2 de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, amendée ;
4°/ que le transporteur, sous réserve des dispositions de l'article 4 de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, amendée, doit procéder de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises transportées ; que le seul fait pour le transporteur de ne pas pouvoir donner d'information sur le suivi du conteneur postérieurement à l'échouement du navire consécutif à une faute nautique et de ne pouvoir fournir de renseignement précis sur la date et les modalités d'acheminement de celle-ci jusqu'à son lieu de destination finale, ne caractérise pas en soi un manquement du transporteur à son obligation de diligence ; qu'en décidant du contraire la cour appel a violé l'article 3 § 2 de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, amendée ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant repris littéralement les observations de l'expert selon lesquelles le chargement entraînait une zone aveugle sur l'avant du navire, supérieure à ce qui était autorisé, ce dont il résultait une restriction préjudiciable pour l'observation de navires ou amers situés à proximité immédiate, la cour d'appel, qui n'était pas liée par les conclusions de ce technicien, a estimé, sans dénaturer son rapport, que cette circonstance avait contribué à l'échouement ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant retenu que la société CMA-CGM était en droit de se prévaloir du cas excepté tiré de l'article 4 § 2 a) de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 puis qu'elle avait manqué à son obligation d'acheminer la marchandise dans un délai normal ou raisonnable, même s'il peut être tenu compte de l'échouement du navire, la cour d'appel en a justement déduit que la société CMA-CGM devait être condamnée à payer l'intégralité de l'indemnité qui lui était demandée ;
Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt, qui ne mentionne l'absence d'information sur le suivi du conteneur et de renseignement précis sur son acheminement qu'à titre d'illustration, retient que le préjudice subi résulte du seul retard dans la livraison ; que la cour d'appel a pu en déduire que l'envahissement des cales du fait de la non-fermeture des panneaux d'étanchéité, qui a entraîné un allongement des opérations de renflouement du navire rendues plus compliquées, avait contribué à la réalisation du préjudice ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société CMA-CGM aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par de la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société CMA-CGM.
Il est fait grief à l‘arrêt attaqué d'avoir condamné la société CMA-CGM à porter et payer aux sociétés AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE, COMPAGNIE AVERO BELGIUM, COVEA FLEET intervenant volontairement aux droit des MUTUELLES DU MANS ASSURANCES, ALLIANZ GLOBAL CORPORATE AND SPECIALITY, GENERALI ASSURANCES, SIAT et BRITISH AND FOREIGN MARINE, la somme de 41 029 € avec les intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2002,
Aux motifs que la société CMA-CGM est en droit de se prévaloir du cas excepté tiré de l'article 4-2 a) de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, amendée, applicable au transport considéré, qui prévoit que « le transporteur ne sera pas responsable pour perte ou dommage résultant ou provenant des actes, négligences ou défaut du capitaine marin pilote ou des préposés du transporteur dans la navigation ou dans l'administration du navire » ; que le régime de responsabilité institué par cette Convention s'applique au préjudice matériel subi par les marchandises et résultant du seul retard dans la livraison ; que le transporteur maritime est tenu, selon l'article 3 de la même Convention, de procéder au transport « de façon appropriée et soigneuse » ; qu'en présentant le 1er août 2001 une marchandise qu'elle avait pris en charge le 5 mars 2001 pour le transporter de Gênes (Italie) à Dalian(Chine, la société CMA-CGM même non tenue contractuellement de réaliser le transport dans un certain délai, a manqué à son obligation de diligence normale et raisonnable eu égard à la durée (mois) du transport ; que le caractère d'ordre public des dispositions de la Convention touchant à la responsabilité « de droit commun » du transporteur maritime, lui interdit de se prévaloir de clauses insérées au connaissement l'exonérant de toute responsabilité pour retard dans la livraison ; qu'au surplus le chargeur n'avait pas approuvé la clause 8.4) insérée au connaissement excluant ou limitant la responsabilité du transporteur maritime ; que le cas excepté tiré de la faute nautique (fautes de navigation et dans l'administration du navire « Normandie CMA/CGM») qui a contribué à l'échouement du navire peut être «neutralisée» par la preuve apportée par le chargeur que la faute du transporteur maritime a également contribué à la survenance du dommage ou de la perte ; que le transporteur maritime ne peut se prévaloir de la faute nautique dès lors que le dommage provient totalement ou partiellement de sa faute dite «commerciale» ; que les co-assureurs invoquent à juste titre plusieurs fautes dites « commerciales » de la société CMA/CGM qui a arrimé de manière défectueuse des conteneurs en pontée dans le dernier port d'escale avant l'échouement de sorte que « le chargement entrainait une zone aveugle sur l'avant du navire supérieure à ce qui était autorisé », selon l'expert judiciaire X... qui conclut à «une restriction préjudiciable pour l'observation de navires ou amers à proximité immédiate », cette circonstance ayant contribué à l'échouement ; que les portes étanches entre les cloisons des cales 3, 4 et 5 étaient restées ouvertes ce qui a provoqué leur inondation ; que selon l'expert judiciaire X... «l'envahissement généralisé des espaces cargaisons a bien entendu compliqué la tâche des sauveteurs, a augmenté le coût du sauvetage et entraîné un accroissement des pertes marchandises» ; qu'il peut être ajouté que cet envahissement des cales du fait de la non-fermeture des panneaux d'étanchéité «duckkeel » a entraîné un allongement des opérations de renflouement du navire rendues plus « compliquées » ; qu'enfin la faute commerciale réside également comme l'ont fait observer les co-assureurs dans le retard pris dans la livraison « nonobstant l'échouement » ; que la société CMA/CGM a manqué à son obligation d'acheminer le conteneur dans un délai normal ou raisonnable même s'il peut être tenu compte de l'échouement du navire ; que celui-ci a été renfloué dès le 22 avril 2001, après le déchargement de 693 et 74 conteneurs et leur entreposage sur deux terminaux « T8 Pelepas et à Singapour » ; que la société CMA/CGM n'explique pas les raisons du retard pris pour la livraison du conteneur chargé rapidement sur des barges puis entreposé sur un terminal de la région qui n'avait souffert d'aucun dommage lors de l'échouement du navire ; que le manquement à l'obligation de procéder de façon appropriée et soigneuse au transport et au déchargement des marchandises transportées est illustré par le fait que la société CMA/CGM ne peut fournir aucune information précise sur le « suivi » du conteneur après l'échouement du navire et sur la date et les modalités d'arrivée du conteneur au port de Dalian ; qu'il convient de faire droit à la demande des co-assureurs à hauteur de la somme de 41 029 € correspondant au montant de l'indemnité réparant l'entier préjudice ;
Alors en premier lieu qu'aux termes du rapport d'expertise établi le 4 avril 2005 par l'expert judiciaire M. X... il était exposé : « le chargement des conteneurs en pontée dans son dernier port d'escale entraînait une zone aveugle sur l'avant du navire supérieure à ce qui était autorisé. Cette restriction préjudiciable pour l'observation de navires ou amers à proximité immédiate et sur l'avant du porte-conteneur n'a toutefois pas empêché l'observation du feu situé sur la balise « Helen Mar Real » visible à environ 13 miles (…) Le second capitaine qui était de quart au moment de l'événement disposait d'une formation et d'une expérience largement suffisantes pour faire face à la situation à laquelle il était confronté » ; qu'en énonçant que selon l'expert judiciaire le chargement en pontée constituait une restriction préjudiciable pour l'observation de navire ou amers à proximité immédiate qui avait contribué à l'échouement du navire alors même que l'expert excluait tout rôle causal du mode de chargement dans la survenance de l'échouement, la cour d'appel a dénaturé par omission le rapport d'expertise susvisé et a violé l'article 1134 du Code civil ;
Alors en deuxième lieu que ni le transporteur ni le navire ne sont responsables pour perte ou dommage résultant du capitaine, marin, pilote ou des préposés du transporteur dans la navigation ou dans l'administration du navire ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la faute nautique (fautes de navigation et dans l'administration du navire « Normandie CMA/CGM ») avait contribué à l'échouement du navire ; qu'en énonçant que cette faute était « neutralisée » par le fait que plusieurs fautes commerciales avaient contribué à la survenance du dommage pour en déduire que le transporteur devait être condamné à supporter l'entier préjudice invoqué par les assureurs alors même que la faute nautique est une cause exonératoire, totale ou partielle, de la responsabilité du transporteur, la Cour d'appel a violé l'article 4-2 a) de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 amendée,
Alors en troisième lieu que le transporteur maritime, sous réserve des dispositions de l'article 4 de la convention de Bruxelles du 25 août 1924, amendée, doit procéder de façon appropriée et soigneuse, au chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises transportées, qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la marchandise n'avait souffert aucun dommage lors de l'échouement et que la perte de la marchandise résultait du fait qu'au moment où elle avait été remise au destinataire, le 1er août 2001, elle ne pouvait plus être utilisée en raison d'un phénomène d'oxydation dû au seul écoulement du temps ; qu'en énonçant que l'absence de fermeture des portes étanches entre les cloisons des cales 3, 4 et 5 était constitutives d'une faute commerciale imputable au transporteur et engageant sa responsabilité, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 3-2 de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, amendée.
Alors enfin que le transporteur, sous réserve des dispositions de l'article 4 de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, amendée, doit procéder de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises transportées ; que le seul fait pour le transporteur de ne pas pouvoir donner d'information sur le suivi du conteneur postérieurement à l'échouement du navire consécutif à une faute nautique et de ne pouvoir fournir de renseignement précis sur la date et les modalités d'acheminement de celle-ci jusqu'à son lieu de destination finale, ne caractérise pas en soi un manquement du transporteur à son obligation de diligence ; qu'en décidant du contraire la cour appel a violé l'article 3-2 de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, amendée.