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12/05/2011 | FRANCE | N°10-16366

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 12 mai 2011, 10-16366


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu qu'à la suite de la condamnation, en première instance, le 18 septembre 2006, de M. X..., médecin-anesthésiste, pour homicide involontaire, du fait du décès, en 2001, d'une enfant de six ans après une intervention à laquelle il avait participé, l'association Clinique Saint-Jean-de-Dieu (la clinique) a résilié, le 24 novembre 2006, le contrat d'exercice à durée indéterminée qui la liait à ce praticien depuis 1984 ; que ce dernier a assigné la clinique aux fins d'obtenir une indemnité de

préavis et des dommages et intérêts ;
Sur le premier moyen :
Attendu que...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu qu'à la suite de la condamnation, en première instance, le 18 septembre 2006, de M. X..., médecin-anesthésiste, pour homicide involontaire, du fait du décès, en 2001, d'une enfant de six ans après une intervention à laquelle il avait participé, l'association Clinique Saint-Jean-de-Dieu (la clinique) a résilié, le 24 novembre 2006, le contrat d'exercice à durée indéterminée qui la liait à ce praticien depuis 1984 ; que ce dernier a assigné la clinique aux fins d'obtenir une indemnité de préavis et des dommages et intérêts ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 15 janvier 2010) d'avoir rejeté ses demandes, alors, selon le moyen, qu'en cas de rupture unilatérale d'un contrat d'exercice médical, l'absence de préavis n'est justifiée que par l'impossibilité de maintenir le contrat et l'urgence qu'il y a, ainsi, à voir le praticien quitter effectivement l'établissement de soins ; qu'au cas présent, les faits reprochés à M. X..., qualifiés de fautes lourdes par les juges du fond, dataient du 10 juillet 2001, avaient fait l'objet d'une instruction pénale depuis le 29 août 2001, et d'une ordonnance de renvoi le 21 octobre 2005 ; qu'il s'agissait donc, à la date de la rupture sans préavis par la clinique, de faits anciens et connus, dont l'existence n'avait pas empêché les parties de poursuivre des liens contractuels ; qu'en considérant néanmoins que la gravité des faits reprochés à M. X... suffirait à le priver de tout droit à un préavis, sans expliquer en quoi la simple survenance d'une condamnation pénale visant ces faits anciens et dont il avait interjeté appel justifierait de manière impérieuse le départ immédiat du praticien, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1184 du code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a retenu, par motifs propres et adoptés, que les éléments résultant des avis concordants des experts au cours du procès pénal, dont elle avait eu connaissance par la communication du jugement de condamnation, et dont il résultait que M. X... avait au minimum sous-estimé la gravité de la situation par manque de connaissances médicales et au maximum commis une succession de négligences et d'erreurs de jugement dans la prise en charge de l'enfant, constituaient à eux seuls un facteur démontré des risques que la clinique faisait courir à ses patients quand ils étaient confiés à M. X... ; qu'elle a ainsi caractérisé une faute grave justifiant la rupture du contrat sans préavis ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour condamner M. X... à payer 5 000 euros à la clinique à titre de dommages et intérêts pour appel abusif, la cour d'appel a énoncé que ce dernier avait soutenu son appel avec des moyens peu sérieux auxquels les premiers juges avaient répondu de manière satisfaisante, qu'il avait créé de nombreux incidents au sein de l'établissement et menacé de venir y exercer de force alors que la clinique avait fait preuve de patience et de prudence à son égard et qu'en outre, il avait essayé d'accréditer des faits inexacts en interprétant faussement des pièces par ailleurs régulières, notamment en produisant une attestation d'assurance étrangère à la période en cause ;
Qu'en statuant par de tels motifs, alors que la relaxe de M. X... intervenue en appel depuis l'instance devant les premiers juges constituait un élément nouveau dont il pouvait utilement se prévaloir devant la juridiction du second degré, et que ni son attitude à l'égard de l'établissement, ni l'interprétation de documents régulièrement produits n'étaient de nature à caractériser un abus du droit d'exercer une voie de recours, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné M. X... à payer la somme de 5 000 euros à l'association Clinique Saint-Jean-de-Dieu à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 15 janvier 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne l'association Clinique Saint-Jean-de-Dieu aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'association Clinique Saint-Jean-de-Dieu, la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille onze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

.
Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour M. X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur X... de ses demandes d'indemnité de préavis et de dommages-intérêts ;
Aux motifs propres que « Monsieur X... ne critique pas la suspension du 29 septembre 2006 au sujet de laquelle il a été débouté de sa demande de mainlevée par ordonnance du 17 novembre mais relève le caractère abusif de la décision du 24 novembre 2006 mettant fin à son activité à la clinique SAINT-JEAN DE DIEU ; que cette dernière décision se fonde expressément sur les éléments de l'expertise et de la contre-expertise diligentées dans la procédure pénale ainsi que sur l'avis de l'équipe médicale de l'établissement ; que les premiers experts ont retenu la responsabilité de Monsieur X... d'abord dans la prescription excessive de soluté de glucose à 5% sans électrolyte (2725) (contrairement aux recommandations de la société française d'anesthésie réanimation objet de publication mettant en garde contre une telle pratique) ayant entraîné l'hyponatrémie, ensuite dans le transfert tardif de l'enfant par moyen non-médicalisé, alors que les symptômes qu'elle présentait imposaient un transfert sans délai vers un service de réanimation pédiatrique par ambulance type SAMU, permettant une assistance respiratoire, l'hypoxémie aggravant l'oedème cérébrale (pièce n° 23 de l'appelant p. 6) ; que les seconds experts, désignés à la suite de la demande de l'appelant, ont confirmé que pour la période post-opératoire, les prescriptions de volumes liquidiens n'avaient pas été faites selon les recommandations habituelles en anesthésie pédiatrique (absence de précision du volume en ml/kg/heure et défaut d'indication de l'horaire de la fin de la prescription) exposant l'enfant au risque, qui s'est réalisé, d'une administration excessive de volume liquidien ; qu'ils ont également relevé une absence de prescription d'électrolytes dans le volume perfusé, ce qui est contraire aux pratiques recommandées et l'absence d'une contre-visite systématique le soir de l'intervention d'autant qu'aucun système de suppléance n'était assuré par Monsieur X... ; que par ailleurs, ils ont confirmé l'inadaptation de la prise en charge, contraire aux bonnes pratiques, de l'enfant le lendemain de l'intervention (l'urgence étant au transfert immédiat et en ambulance adaptée et non au scanner (idem p. 7)) ; que c'est donc avec justesse que les premiers juges, relevant que l'appelant avait « au minimum sous-estimé la gravité de la situation par manque de connaissances médicales et au maximum commis une succession de négligences et d'erreurs de jugement dans la prise en charge » de l'enfant « dès les prescriptions post-opératoires jusqu'à la prise en charge de l'état de mal convulsif », ont retenu, sans qu'il y ait lieu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que ces éléments justifient au regard de leur gravité la rupture des relations contractuelles ; que la spécificité de la motivation de la relaxe prononcée par la cour comme précédemment relatée, ne remet pas en cause l'existence de fautes commises le 10 juillet 2001 relevées par les experts et le bien fondé de la rupture » (arrêt attaqué, p. 5 et 6) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « ce n'est pas la suspension du 29 septembre 2006 qui est critiquée puisque le juge des référés, dans une ordonnance particulièrement motivée, a dit n'y avoir lieu à référé, en relevant que, par sa décision de suspendre provisoirement les activités de Monsieur X... prise par la clinique SAINT JEAN DE DIEU, elle n'avait pas agi de façon légère et blâmable ou vexatoire et que sa démarche témoignait tout au contraire d'une particulière prudence et du souci tant de respecter les droits du médecin, que d'assurer à ses patients les garanties auxquelles ils ont droit ; qu'en revanche, Monsieur X... allègue le caractère abusif de la décision du 24 novembre 2006 par laquelle il lui a été confirmé que « la prudence et le souci de respecter les garanties auxquelles ont légitimement droit les patients s'opposent à la poursuite de votre activité au sein de l'établissement » ; que cette décision faisait suite à la réunion du CME du 23 novembre 2006 dont le compte-rendu est versé aux débats ainsi que les attestations des médecins certifiant y avoir été convoqués ; que dans ce compte-rendu, il est fait état des conclusions des rapports d'expertise mettant en avant la négligence et les fautes lourdes commises par Monsieur Jérôme X... et la persévérance dans l'erreur, de l'avis favorable des praticiens de la clinique SAINT JEAN DE DIEU pour une éviction définitive de monsieur Jérôme X... (seul un praticien acceptant encore de travailler avec Monsieur Jérôme X..., et un autre praticien ayant retenu l'effet suspensif de l'appel du jugement correctionnel), l'absence de confraternité de Monsieur X..., de ses qualités professionnelles jugées insuffisantes par ses collègues anesthésistes, l'éviction du système de garde par l'ensemble des praticiens à la quasi-unanimité, du harcèlement dont faisait l'objet le docteur Jean-François Y... de la part de Jérôme X... concernant son éventuel remplacement ; qu'il résulte de l'ensemble des pièces versées aux débats et des faits relevés ci-avant que la décision de la clinique SAINT JEAN DE DIEU repose indéniablement sur un ensemble de griefs sérieux et la nécessité de veiller au respect de son image auprès des patients qui lisent la presse, à la cohésion de son équipe médicale et en la confiance que ses membres s'accordent dans l'intérêt et le respect des soins éclairés qui doivent être prodigués aux patients ; or, ainsi que l'a relevé avec pertinence le juge des référés, la clinique a un intérêt évident, tant en ce qui concerne sa responsabilité que sa notoriété à connaître les causes du décès de la victime lesquelles avaient été mises en évidence par les expertises et contre-expertises ; que ces expertises relevaient une administration excessive de produit, l'absence de contre visite le soir de l'intervention, des négligences graves, une sous-estimation totale de la gravité de la situation par manque de connaissances médicales et une succession de négligences et d'erreurs de jugement dans la prise en charge de l'enfant décédé ; que les avis concordants des deux expertises constituaient à eux seuls un facteur démontré des risques que la clinique SAINT JEAN DE DIEU faisait courir à ses patients lorsqu'ils étaient confiés au Docteur X... et une cause grave, sérieuse et légitime de rupture des relations justifiant l'absence de préavis, ce d'autant plus qu'elle s'ajoutait à d'autres erreurs commises par Monsieur Jérôme X... ayant donné lieu à condamnation, le fait que Monsieur Jérôme X... ait interjeté appel du jugement correctionnel ne changeant rien aux conclusions des experts médicaux et aux risques de voir mettre en oeuvre la responsabilité de la clinique si de tels faits se renouvelaient, l'équipe médicale de la clinique s'accordant sur les qualités de Monsieur Jérôme X... jugées insuffisantes par l'équipe médicale de la clinique SAINT JEAN DE DIEU ; qu'il s'ensuit que, s'agissant de fautes qui peuvent être qualifiées de lourdes, l'absence de préavis ne peut être reprochée à la clinique SAINT JEAN DE DIEU et que Monsieur Jérôme X... sera débouté de l'ensemble de ses demandes » ;
Alors que en cas de rupture unilatérale d'un contrat d'exercice médical, l'absence de préavis n'est justifiée que par l'impossibilité de maintenir le contrat et l'urgence qu'il y a, ainsi, à voir le praticien quitter effectivement l'établissement de soins ; qu'au cas présent, les faits reprochés au docteur X..., qualifiés de fautes lourdes par les juges du fond, dataient du 10 juillet 2001, avaient fait l'objet d'une instruction pénale depuis le 29 août 2001, et d'une ordonnance de renvoi le 21 octobre 2005 ; qu'il s'agissait donc, à la date de la rupture sans préavis par la clinique, de faits anciens et connus, dont l'existence n'avait pas empêché les parties de poursuivre des liens contractuels ; qu'en considérant néanmoins que la gravité des faits reprochés au Docteur X... suffirait à le priver de tout droit à un préavis, sans expliquer en quoi la simple survenance d'une condamnation pénale visant ces faits anciens et dont l'exposant avait interjeté appel justifierait de manière impérieuse le départ immédiat du praticien, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1184 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Monsieur Jérôme X... à verser à la clinique la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts ;
Aux motifs que « l'appel est un droit qui ne peut donner lieu à des dommage-intérêts que si son exercice a dégénéré en abus ; que tel est le cas en l'espèce dès lors que Monsieur X... a soutenu son appel avec des moyens peu sérieux auxquels les premiers juges avaient répondu de manière satisfaisante ; qu'il n'est pas contesté qu'il a créé de nombreux incidents au sein de l'établissement et menacé de venir y exercer de force alors que l'intimée avait fait preuve de patience et de prudence à son égard comme l'a souligné l'ordonnance de référé du 17 novembre 2006 ; qu'en outre, il a essayé d'accréditer des faits inexacts en interprétant faussement des pièces par ailleurs régulières, notamment en produisant une attestation d'assurance étrangère à la période en cause ; qu'il en est résulté pour l'intimé un préjudice spécifique, notamment des pertes de temps inutiles et soucis divers qui sera réparé par l'octroi d'une somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts » (arrêt attaqué, p. 6) ;
Alors que l'appel est un droit garanti à tout plaideur qui ne peut donner lieu à dommage-intérêts qu'en cas de faute ayant fait dégénérer ce droit en abus ; que tel ne peut être le cas lorsque l'une des décisions sur laquelle est fondée la décision de première instance a été par la suite infirmée, rendant ainsi la motivation du jugement si ce n'est erronée, tout du moins discutable ; qu'au cas présent, pour caractériser un prétendu abus dans le droit d'exercer une voie de recours, la cour d'appel a retenu que Monsieur X... avait soutenu des moyens peu sérieux auxquels les premiers juges avaient répondu de manière satisfaisante ; qu'il n'est pour autant pas contesté que, postérieurement à l'audience de première instance, est intervenue la relaxe de Monsieur X... du chef d'homicide involontaire, par la cour d'appel de Paris, élément nouveau rendant la motivation du jugement de première instance discutable ; que la présence de cet élément nouveau chassait toute possibilité d'un abus ; qu'en décidant néanmoins que Monsieur X... avait commis un abus en exerçant une voie de recours, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 10-16366
Date de la décision : 12/05/2011
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 15 janvier 2010


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 12 mai. 2011, pourvoi n°10-16366


Composition du Tribunal
Président : M. Charruault (président)
Avocat(s) : SCP Baraduc et Duhamel, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2011:10.16366
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