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15/03/2011 | FRANCE | N°10-81216

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 mars 2011, 10-81216


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
M. Christian X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, en date du 21 janvier 2010, qui, dans la procédure suivie contre M. Georges Y..., du chef d'injure envers la mémoire d'un mort, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 2, 33, alinéa 2, et 34, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et des articles 591 et 593

du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a di...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
M. Christian X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, en date du 21 janvier 2010, qui, dans la procédure suivie contre M. Georges Y..., du chef d'injure envers la mémoire d'un mort, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 2, 33, alinéa 2, et 34, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a dit que les propos poursuivis ne constituent pas le délit d'injure envers la mémoire de Mme X... commis au préjudice de son fils M. X... et débouté ce dernier de ses demandes d'indemnisation ;
"aux motifs que les injures proférées contre des collectivités n'ayant pas de personnalité morale ne peuvent être poursuivies, sauf si le groupe est suffisamment restreint pour que chacun de ses membres puisse se sentir atteint, chacun d'entre eux ayant alors qualité pour demander réparation de son préjudice ; qu'il n'est pas nécessaire que la personne décédée soit nommément désignée dès lors que son identification est rendue possible par des conditions extrinsèques qui éclairent ou confirment cette désignation de manière à la rendre évidente, au moins, pour un cercle restreint de personnes ; qu'en l'espèce, M. Y... a expressément visé les femmes tondues qui avaient couché avec des allemands pendant l'occupation ; que les femmes tondues représentent, selon les études historiques, un groupe de vingt mille personnes et seules dix mille d'entre elles auraient eu des relations intimes avec des allemands, comme Mme X... ; que même à retenir le chiffre de dix mille femmes, cumulant les conditions d'avoir été et d'avoir eu des relations avec un allemand, un groupe d'une telle importance ne peut être considéré comme restreint ; que, de plus, la taille du groupe, dont au surplus la deuxième condition suppose de la part des tiers la connaissance d'éléments appartenant à la vie privée des intéressées, s'oppose à ce que chacun de ses membres et en l'espèce, Mme X..., puisse être identifiée par des conditions extrinsèques qui éclaireraient ou confirmeraient son éventuelle désignation par M. Y..., de manière à la rendre évidente au moins pour un cercle restreint de personnes ; que, de plus, l'article 34 de la loi sur la presse n'est pas applicable au cas où l'écrit incriminé n'a pas désigné l'héritier poursuivant et n'a même fait aucune allusion directe ou indirecte à sa personne, or, tel est le cas en l'espèce ; qu'enfin, pour que le délit soit constitué, la seule conscience de causer un préjudice est insuffisante, la volonté d'attenter à l'honneur ou à la considération des héritiers vivants doit être établie ; que la nécessité de prouver l'intention de nuire ne viole pas l'article 6 pour être dans un rapport raisonnable de proportionnalité avec le but recherché ; qu'en l'espèce, si les propos tenus par M. Y..., personnalité politique et universitaire reconnue au plan national, peuvent être symboliquement entendus comme l'autorisation de discriminer des sous-groupes et inciter ainsi à la division et à la violence contrairement à l'idéal républicain dont M. Y..., en sa qualité d'élu, se doit d'être le garant, il ne peut être déduit des propos tenus par lui, en l'espèce, et rapportés dans l'article du Midi libre, une volonté spéciale de porter atteinte aux enfants des femmes tondues, seules visées ;
"1) alors que l'injure envers un groupe de personnes décédées est constituée dès lors qu'elle vise les membres d'un groupe suffisamment restreint pour que chacune d'entre elles puisse être considérée comme individuellement atteinte dans son honneur ou sa considération ; qu'un groupe restreint est constitué d'un ensemble de personnes suffisamment identifié et homogène, déterminé à partir d'éléments non seulement quantitatifs mais également qualitatifs ; que, dès lors, eu égard au châtiment corporel qu'elles ont subi, à la vindicte populaire dont elles ont fait l'objet et à leur nombre peu important, les dix mille femmes tondues à la Libération pour avoir eu des relations intimes avec des allemands durant l'occupation constituent un ensemble suffisamment homogène et individualisé pour constituer un groupe restreint ; qu'en se référant au seul critère numérique pour dénier à cet ensemble de personnes la qualification de groupe restreint, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"2) alors qu'en exigeant la connaissance d'éléments de la vie privée de la personne injuriée pour permettre l'identification de Mme X... par les tiers quand les propos incriminés étaient relatifs non directement à la conduite privée des femmes tondues, mais à la vindicte populaire qui les avait frappées et à la nature du châtiment qui aurait pu leur être infligé, circonstances nécessairement publiques, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"3) alors que l'injure envers la mémoire des morts est consommée sans qu'il soit nécessaire que l'injure soit dirigée en outre contre les héritiers ; qu'en affirmant, cependant, que le délit d'injure n'était pas caractérisé, faute pour les propos incriminés de désigner ou de faire une allusion directe ou indirecte à la partie civile, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"4) alors que l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants, peut résulter de la conscience de l'auteur des propos de causer un préjudice à ces personnes au travers de la diffamation ou de l'injure dirigée contre le défunt ; que, M. Y..., en déclarant que les femmes ayant eu des relations sexuelles avec des soldats allemands durant l'occupation auraient pu être fusillées, en légitimant les exactions qu'elles ont subies et en ajoutant qu'elles ne méritaient pas la réhabilitation dont elle font parfois, par effet de « mode », l'objet, avait nécessairement conscience du préjudice qu'il pouvait causer aux enfants issus de ces relations ; qu'en effet, au travers de ces propos, ces enfants apparaissent comme le fruit d'une relation honteuse et qui n'aurait jamais dû exister ; qu'en estimant que l'élément intentionnel du délit poursuivi n'était pas caractérisé, quand il résulte de la teneur des propos incriminés que le prévenu avait nécessairement conscience du préjudice qu'il causait aux enfants des femmes tondues, au nombre desquels figure la partie civile, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision";
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X... a fait citer directement M. Y... devant le tribunal correctionnel, du chef d'injure envers la mémoire d'un mort, à la suite d'un discours tenu par ce dernier, qui comportait le passage suivant : « Il existe aujourd'hui une mode qui consiste à protester contre les résistants qui tondaient les femmes qui avaient couché avec les allemands pendant l'occupation. Elles ne pouvaient pas coucher avec des résistants ! Vous croyez que je vais pleurnicher parce qu'on leur a coupé les cheveux ? Mais c'est gentil ! On aurait pu les fusiller. Mon père était officier de la Résistance. Jusqu'à ma mort, je serai de ce côté... » ;
Que M.Trabé, né de l'union de Mme X... et d'un soldat allemand, a soutenu que la phrase "Mais c'est gentil ! On aurait pu les fusiller" constituait une injure envers la mémoire de sa mère ;
Attendu que les juges du premier degré ont relaxé le prévenu et débouté la partie civile ; que celle-ci a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, en ses dispositions civiles, l'arrêt retient que le propos incriminé vise l'ensemble des femmes tondues pour avoir eu des relations avec les allemands pendant l'Occupation, et que la taille de ce groupe s'oppose à ce que chacun de ses membres, et en l'espèce Mme X..., puisse être identifié ; que les juges ajoutent que l'héritier poursuivant n'est pas désigné, qu'aucune allusion n'est faite à sa personne et que la preuve d'une volonté de l'auteur du propos de porter atteinte aux enfants des femmes tondues, et spécialement à M. X..., n'est pas rapportée ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors que les propos en cause ne visaient pas des personnes formant un groupe suffisamment restreint pour que l'attaque rejaillisse sur chacun de ses membres et que l'intention de l'auteur de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants, exigée par l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881, n'était pas établie ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application au profit de M. X... de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Monfort conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 10-81216
Date de la décision : 15/03/2011
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier, 21 janvier 2010


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 15 mar. 2011, pourvoi n°10-81216


Composition du Tribunal
Président : M. Louvel (président)
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2011:10.81216
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