LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu que Mme X... et M. Y..., de nationalité libanaise, mariés au Liban en 1994, ont eu quatre enfants ; qu'en janvier 2009, Mme X... a rejoint son mari en France avec ses enfants ; que M. Y... a introduit une requête en divorce le 29 avril 2009, devant le tribunal chiite du Mont Liban, requête pendante devant le tribunal légal de Baabda ; que Mme X... a présenté une requête en divorce le 3 juin 2009 devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Douai qui a fait droit à l'exception de litispendance soulevée par le mari au profit des tribunaux libanais ;
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué (Douai, 17 décembre 2009) d'avoir jugé recevable et bien fondé le contredit formé par Anissa X... au profit des tribunaux français, alors, selon le moyen :
1°/ que l'aptitude d'une décision étrangère à intervenir à être reconnue en France, dont dépend l'accueil de l'exception de litispendance, ne doit s'apprécier qu'au regard de la compétence du juge étranger ; qu'en écartant l'exception de litispendance soulevée par M. Y... en relevant que la décision libanaise à intervenir ne pourrait pas être reconnue en France car elle serait contraire à l'ordre public international, la cour d'appel a violé l'article 100 du code de procédure civile, ensemble les principes régissant la litispendance internationale ;
2°/ qu'en toute hypothèse la contrariété d'une décision étrangère à l'ordre public international doit s'apprécier in concreto ; qu'en écartant l'exception de litispendance soulevée par M. Y... parce que la décision libanaise à intervenir serait contraire à l'ordre public international, quand elle constatait elle-même que l'issue de la procédure libanaise était encore inconnue, ce dont il résultait qu'il lui était impossible de déterminer, in concreto, si la décision à intervenir serait contraire à la conception française de l'ordre public international et, en particulier, au principe d'égalité des époux, la cour d'appel a violé l'article 100 du code de procédure civile, ensemble les principes régissant la litispendance internationale ;
3°/ qu'en toute hypothèse la conception française de l'ordre public international exige seulement que chacun des époux ait disposé du temps nécessaire pour organiser sa défense, sans imposer le respect de règles procédurales précises ; qu'en jugeant la décision libanaise à intervenir contraire à l'ordre public international, en raison de la brièveté du délai séparant la requête déposée par l'époux et la première audience, quand elle avait par ailleurs relevé que le tribunal légal Jaafarit de Baabda, par décision du 28 octobre 2009, avait accepté de reporter l'examen de l'affaire à une date ultérieure, après avoir entendu le conseil de l'épouse, ce dont il résultait que cette dernière avait disposé du temps et des facilités nécessaires pour organiser sa défense, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 100 du code de procédure civile, ensemble les principes régissant la litispendance internationale ;
Mais attendu que l'exception de litispendance en raison d'une instance engagée devant un tribunal étranger également compétent ne peut être accueillie si la décision à intervenir n'est pas susceptible d'être reconnue en France ; que la cour d'appel ayant relevé que la procédure intentée au Liban par le mari était une répudiation unilatérale, et que l'épouse n'avait eu qu'un délai de quinze jours entre la requête et la première audience, alors qu'elle résidait en France, en a justement déduit que la décision à intervenir qui heurtait des principes d'égalité entre époux et de respect des droits de la défense ne pourrait pas être reconnue en France de sorte que l'exception de litispendance internationale ne pouvait qu'être écartée ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... et le condamne à payer à la SCP Monod et Colin la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois février deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour M. Y...
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR jugé recevable et bien fondé le contredit formé par Anissa X... à l'encontre du jugement rendu le 10 août 2009 par le Tribunal de grande instance de DOUAI, d'AVOIR fait droit à ce contredit et jugé que le Tribunal de grande instance de DOUAI était territorialement compétent pour connaître de la requête en divorce présentée par Anissa X... et d'AVOIR renvoyé la cause et les parties devant le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de DOUAI pour être statué au fond sur le mérite de la requête en divorce d'Anissa X... ;
AUX MOTIFS QU'il ressort des éléments versés aux débats que Anissa X... et Ghassan se sont mariés devant le Juge du Tribunal Jaafarite religieux de NABATIEH au LIBAN ; que les quatre enfants issus de cette union sont nés au LIBAN ; que depuis le mois de janvier 2009, les parties ont établi leur résidence habituelle sur le ressort du Tribunal de grande instance de DOUAI ; qu'en effet, il n'est pas contesté que Ghassan Y... résidait déjà sur le territoire français depuis plusieurs années et y travaillait en qualité de médecin salarié lorsque son épouse et leurs quatre enfants, qui étaient demeurés au LIBAN, sont venus le rejoindre en janvier 2009 et que d'un commun accord les époux ont fixé leur résidence à SIN-LE-NOBLE, dans un immeuble acquis en janvier 2008 par le mari ; qu'Anissa X... a saisi le Juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de DOUAI d'une requête aux fins de divorce le 3 juin 2009 ; que les parties ont toutes deux leur résidence habituelle en France, Etat membre de l'Union européenne ; que depuis leur séparation l'un et l'autre y résident encore, l'épouse à SIN-LE-NOBLE et le mari à LILLE ; qu'en conséquence, et bien qu'ils soient tous deux de nationalité libanaise, en l'absence de convention bilatérale entre ces deux pays en matière de divorce, les réglements communautaires en matière de compétence juridictionnelle leur sont applicables ; qu'aux termes de l'article 3 du règlement communautaire 2201/ 2003 dit « Bruxelles II bis », du 27 novembre 2003, déterminant la compétence en matière de divorce, les tribunaux français sont compétents notamment quand les époux résident habituellement en France ; que cependant, la compétence des juridictions françaises fondée sur la résidence habituelle des époux, énoncée à l'article 3 susvisé, n'a pas un caractère universel excluant toute autre compétence internationale ; qu'en effet, Ghassan Y... justifie avoir saisi le Tribunal Jaafarite religieux de MONT LIBAN, par requête aux fins de divorce enregistrée le 29 avril 2009 ; que l'époux a fait acter son divorce d'avec Anissa X..., à deux reprises, le 10 mai 2009, puis le 22 mai 2009, par défaut ainsi que le précise l'acte établi le 27 mai 2009 par le Cheikh Hussein Z..., autorité religieuse chargée des mariages et des divorces ; qu'il a ensuite saisi le Tribunal légal de BAABDA aux fins d'obtenir une décision légale de confirmation de ce divorce ; que le Tribunal légal Jaafarit de BAABDA, par décision du 28 octobre 2009, a accepté la demande mais reporté l'examen de l'affaire à une date ultérieure, après avoir entendu le Conseil de l'épouse ; que l'issue de celle-ci n'est pas connue des parties à l'heure où la Cour statue ; que le Tribunal libanais s'est donc déclaré compétent, faisant application de la loi nationale des époux ; qu'en effet, la célébration religieuse du mariage effectuée au LIBAN rend obligatoirement compétente la loi religieuse libanaise quant aux effets du mariage et à sa dissolution (CA MONT LIBAN, mai 1966 – Cass. Ass. Plen. 13 nov. 1986) ; qu'il existe donc en l'espèce un conflit positif débouchant sur un cas de litispendance devant être réglé au regard des règles du droit commun ; qu'aux termes de l'article 100 du Code de procédure civile, « si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande » ; que la juridiction libanaise, saisie le 29 avril 2009, l'a incontestablement été avant le Juge aux affaires familiales de DOUAI ; que toutefois l'exception de litispendance ne peut être accueillie si la décision à intervenir à l'étranger n'est pas susceptible d'être reconnue en France ; qu'il résulte des éléments relatifs à la procédure engagée par l'époux au Liban que le Tribunal libanais ne fait que constater la répudiation unilatérale par le mari, sans laisser à l'épouse la possibilité de faire valoir ses arguments pour s'y opposer ; qu'une telle décision est contraire au principe d'égalité des époux, principes consacré par la Constitution et la Convention européenne des droits de l'Homme ; que par ailleurs, Anissa X... fait valoir qu'elle n'a nullement été convoquée aux audiences des 10 et 22 mai 2009 ; qu'il ne résulte pas des pièces produites qu'elle ait en effet été citée ou convoquée avant le mois d'octobre 2009 ; qu'au demeurant, le délai écoulé entre la requête déposée par l'époux et la première audience, d'une dizaine de jours à peine, alors que l'épouse demeurait en France, est très insuffisant pour lui permettre de comparaître devant la juridiction libanaise et d'organiser sa défense ; que cette incompatibilité à la conception française de l'ordre public international tant de fond que procédurale, doit conduire à rejeter l'exception de litispendance soulevée par l'époux, et ce malgré la jurisprudence libanaise refusant la réception sur son territoire des jugements étrangers de divorce dès lors que le statut matrimonial des époux relève de l'autorité religieuse libanaise ayant célébré l'union des époux ; qu'il convient donc de déclarer le Juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de DOUAI compétent pour statuer sur la requête en divorce présentée par l'appelante ; qu'il y a lieu d'informer en ce sens l'ordonnance déférée ; qu'enfin il sera rappelé que la règle de conflit posée par l'article du Code civil est susceptible de conduire à l'application de la loi française en matière de divorce dès lors que les époux ont l'un et l'autre leur domicile sur le territoire français ; qu'il convient de condamner Ghassan Y... aux entiers dépens en application de l'article 88 du Code de procédure civile ; que Ghassan Y... sera en conséquence débouté de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
1) ALORS QUE l'aptitude d'une décision étrangère à intervenir à être reconnue en France, dont dépend l'accueil de l'exception de litispendance, ne doit s'apprécier qu'au regard de la compétence du juge étranger ; qu'en écartant l'exception de litispendance soulevée par Monsieur Y... en relevant que la décision libanaise à intervenir ne pourrait pas être reconnue en France car elle serait contraire à l'ordre public international, la Cour d'appel a violé l'article 100 du Code de procédure civile, ensemble les principes régissant la litispendance internationale ;
2) ALORS QU'en toute hypothèse la contrariété d'une décision étrangère à l'ordre public international doit s'apprécier in concreto ; qu'en écartant l'exception de litispendance soulevée par Monsieur Y... parce que la décision libanaise à intervenir serait contraire à l'ordre public international, quand elle constatait elle-même que l'issue de la procédure libanaise était encore inconnue (arrêt p. 4, § 2), ce dont il résultait qu'il lui était impossible de déterminer, in concreto, si la décision à intervenir serait contraire à la conception française de l'ordre public international et, en particulier, au principe d'égalité des époux, la Cour d'appel a violé l'article 100 du Code de procédure civile, ensemble les principes régissant la litispendance internationale ;
3) ALORS QU'en toute hypothèse la conception française de l'ordre public international exige seulement que chacun des époux ait disposé du temps nécessaire pour organiser sa défense, sans imposer le respect de règles procédurales précises ; qu'en jugeant la décision libanaise à intervenir contraire à l'ordre public international, en raison de la brièveté du délai séparant la requête déposée par l'époux et la première audience, quand elle avait par ailleurs relevé que le tribunal légal Jaafarit de BAABDA, par décision du 28 octobre 2009, avait accepté de reporter l'examen de l'affaire à une date ultérieure, après avoir entendu le Conseil de l'épouse (arrêt p. 4, § 2), ce dont il résultait que cette dernière avait disposé du temps et des facilités nécessaires pour organiser sa défense, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 100 du Code de procédure civile, ensemble les principes régissant la litispendance internationale.