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16/11/2010 | FRANCE | N°09-66955

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 16 novembre 2010, 09-66955


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen relevé d'office, après avertissement délivré aux parties :
Vu l'article 5-1, b), du Règlement (CE) n 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I ;
Attendu qu'en matière contractuelle, lorsque le demandeur choisit de ne pas attraire le défendeur devant les juridictions de l'Etat membre où ce dernier est domicilié, ce n'est qu'en l'absence de contrat de vente

de marchandises ou de fourniture de services au sens de l'article 5-1, b),...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen relevé d'office, après avertissement délivré aux parties :
Vu l'article 5-1, b), du Règlement (CE) n 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I ;
Attendu qu'en matière contractuelle, lorsque le demandeur choisit de ne pas attraire le défendeur devant les juridictions de l'Etat membre où ce dernier est domicilié, ce n'est qu'en l'absence de contrat de vente de marchandises ou de fourniture de services au sens de l'article 5-1, b), qu'il y a lieu de se référer aux dispositions de l'article 5-1,a) pour désigner le tribunal territorialement compétent ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Sobraga ayant acheté une certaine quantité de malt en a confié le transport d'Anvers (Belgique) à Libreville (Gabon) à la société Bremen overseas chartering and shipping GmbH (la société BOCS), qui l'a chargée sur le navire "You king", lequel, en raison des conditions météorologiques, s'est dérouté vers le port du Havre où la marchandise, ayant subi des avaries, a été vendue en sauvetage ; que la société Sobraga et son assureur, la société Omnium gabonais d'assurances et de réassurances (la société OGAR), ont assigné en responsabilité la société BOCS et le capitaine du navire You king, pris en qualité de représentant des armateurs propriétaires, devant le tribunal de commerce de terre et de mer du Havre ;
Attendu que pour déclarer ce tribunal incompétent, l'arrêt retient que l'article 5-1, a) du règlement Bruxelles I prévoit qu'en matière contractuelle, le demandeur peut attraire une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre dans un autre Etat membre devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de fondement à la demande a été ou doit être exécutée et que l'obligation qui sert de base à la demande des sociétés OGAR et Sobraga est celle du transporteur qui s'oblige à transporter et livrer les marchandises qu'il a prises en charge au lieu de destination prévu au contrat de transport ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait au préalable de rechercher si les parties au contrat de transport étaient liées par un contrat de fourniture de services, au sens de l'article 5-1, b) du règlement Bruxelles I, la cour d'appel a violé le texte susvisé par refus d'application ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 février 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société BOCS et le capitaine commandant du navire You King, ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille dix.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Laugier et Caston, avocat aux Conseils pour les sociétés OGAR et Sobraga
PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR retenu son incompétence pour connaître des demandes formées par les Sociétés OGAR et SOBRAGA ;
AUX MOTIFS QU'il convient, pour déterminer la juridiction compétente, d'examiner d'abord, en fonction de la hiérarchie des normes, les dispositions du droit communautaire contenues dans le règlement 44/2001 qui est invoqué et qui a vocation à s'appliquer dès lors que les deux défendeurs à l'action des Sociétés OGAR et SOBRAGA sont domiciliés à BREME en ALLEMAGNE au lieu du principal établissement du transporteur et que le connaissement désigne comme juridiction compétente en cas de conflit la juridiction du lieu du principal établissement du transporteur ; que par exception à l'article 26-1 du règlement 44/2001, qui pose le principe de la compétence du tribunal de l'Etat membre où est domicilié le défendeur, l'article 5-1 a) prévoit qu'en matière contractuelle, le demandeur peut attraire une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre dans un autre Etat membre devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de fondement à la demande a été ou doit être exécutée ; que l'obligation qui sert de base à la demande des Sociétés OGAR et SOBRAGA est celle du transporteur qui s'oblige à transporter et livrer les marchandises qu'il a prises en charge au lieu de destination prévu au contrat de transport ; que la livraison est l'acte juridique fondamental par lequel le transporteur remplit son obligation en remettant au destinataire qui l'accepte la marchandise qu'il a déplacée à son intention ; qu'il faut retenir que le port de destination prévu au connaissement était celui de LIBREVILLE au GABON où réside le destinataire ou à défaut le port le plus proche en cas d'impossibilité de livrer au port de LIBREVILLE ; que les marchandises n'ont été déchargées au HAVRE qu'à la suite du détournement du navire en raison de conditions météorologiques défavorables ; que cette opération s'analyse en une interruption du voyage et non comme l'exécution du contrat ; qu'une telle interruption ne met pas fin en principe aux obligations du transporteur auquel il appartient le cas échéant de tout mettre en oeuvre pour opérer si possible un transbordement dans un autre navire afin de poursuivre l'acheminement des marchandises, ce qui n'a pas eu lieu en l'espèce compte tenu de leur état d'avarie ; que celles-ci n'ont au surplus pas été acceptées par le destinataire, la Société SOBRAGA ayant fait savoir qu'elle refusait les marchandises, dans une lettre du 2 novembre 2004 mentionnant que « nous ne pouvons en aucun cas accepter une marchandise dégradée », et l'expert relatant dans une lettre adressée à l'acheteur de la marchandise avariée que la Société SOBRAGA a fait abandon de la marchandise aux assureurs ; que la vente en sauvetage a donc été réalisée « pour le compte de qui il appartiendra » et non pour le compte du destinataire et le fait que la Société SOBRAGA, à laquelle la marchandise avait été vendue « free on board », ait dû donner son accord à la vente en sauvetage n'influe pas sur les conditions de réalisation de la livraison ; qu'il n'y a donc pas eu livraison de la marchandise à la Société SOBRAGA au port du HAVRE au sens du contrat de transport et partant les dispositions de l'article 5-1 a) du règlement 44/2001 ne peuvent trouver à s'appliquer ; que les Sociétés SOBRAGA et OGAR ne contestent pas, par ailleurs, que la loi applicable au contrat de transport est la Convention internationale de BRUXELLES de 1924 amendée ; que cette convention ne contenant aucune disposition relative à la compétence, les dispositions de la loi française du 31 décembre 1966 n'ont pas vocation à s'appliquer au litige, fut-ce de manière supplétive, s'agissant d'un contrat de transport régi par une convention internationale s'appliquant à un transport prévu de ANVERS à LIBREVILLE au GABON, réalisé par une société de transport de droit allemand et sans autre lien de rattachement avec la FRANCE que le lieu de déchargement des marchandises après l'avarie ; qu'il s'ensuit qu'il y a lieu de confirmer le jugement du tribunal de commerce du HAVRE en ce qu'il a dit qu'il n'était pas compétent pour juger du litige (arrêt, p. 5 à 6) ;
1°) ALORS QU' une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre, en matière contractuelle devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; que le lieu de l'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande doit être fixé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie ; qu'en droit français, les actions nées du contrat de transport de marchandises sont portées devant le tribunal du port de chargement ou devant le tribunal du port de déchargement, s'il est situé sur le territoire français, et si le transport n'est pas soumis à une convention internationale à laquelle la FRANCE est partie ; qu'en affirmant pour décider que la juridiction du HAVRE du lieu de déchargement des marchandises était incompétente, que les dispositions de la loi française du 31 décembre 1966 n'avaient pas vocation à s'appliquer au litige relatif à un transport international de marchandises déchargées au HAVRE, dès lors que la loi applicable au contrat de transport était la Convention de BRUXELLES du 25 août 1924, après avoir constaté que cette convention ne contenait aucune disposition relative à la compétence, ce qui impliquait nécessairement que le contrat de transport litigieux ne pouvait pas être soumis à cette convention pour ce qui était de la détermination de la juridiction compétente, la Cour d'appel a violé les articles 16 de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966, 54 du décret n° 66-1078 du 31 décembre 1966, et 5-1 a) du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
2°) ALORS QU' une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre, en matière contractuelle devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; que le lieu de l'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande doit être fixé au regard de l'exécution effective de l'obligation ; que par suite, le tribunal du lieu de déchargement de la marchandise est compétent pour connaître des litiges relatifs aux services dus en vertu du contrat de transport ; qu'en toute hypothèse, en décidant que la juridiction du HAVRE était incompétente, après avoir constaté que le déchargement avait eu lieu dans le port du HAVRE, la Cour d'appel a violé l'article 5-1 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
3°) ALORS QUE le tribunal du lieu de déchargement de la marchandise est compétent pour connaître des litiges relatifs aux services dus en vertu du contrat de transport de cette marchandise, peu important l'existence d'une clause contractuelle désignant un lieu de livraison dans un Etat non-membre ; qu'en affirmant également, pour retenir son incompétence, que la juridiction du HAVRE était incompétente dès lors qu'en vertu du connaissement le port de destination était situé à LIBREVILLE au GABON, la Cour d'appel a violé l'article 5-1 du règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
4°) ALORS QUE les juges ne sauraient dénaturer les documents de la cause ; qu'au demeurant, en retentant que la Société SOBRAGA avait fait savoir, par une lettre du 2 novembre 2004, qu'elle refusait les marchandises déchargées au port du HAVRE, pour en déduire que la livraison n'avait pas eu lieu au HAVRE, quand cette lettre mentionnait que « nous émettons auprès de vous (…) les plus pressantes réserves quant à l'issue qui sera donnée à ce dossier, en terme de coût de la marchandise perdue (nous ne pouvons en aucun cas accepter une marchandise dégradée) », ce qui caractérisait l'émission de réserves à la livraison, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
5°) ALORS QUE le tribunal du lieu de livraison est compétent pour connaître des litiges relatifs aux services dus en vertu du contrat de transport ; que la livraison s'entend de la remise matérielle de la marchandise au destinataire ou à son substitué qui l'accepte ; que le destinataire manifeste son acceptation de la marchandise présentée en étant en mesure d'en vérifier l'état et, le cas échéant, d'assortir son acceptation de réserves, puis de prendre effectivement possession de la chose livrée ; qu'au demeurant encore, pour finir, en affirmant que la livraison n'a pas eu lieu au port du HAVRE dès lors qu'il n'y avait pas eu remise matérielle des marchandises entre les mains du destinataire ou de son substitué qu'il l'avait acceptée, sans caractériser que la Société SOBRAGA n'avait pas été en mesure de prendre effectivement possession des marchandises et d'en vérifier l'état, la Cour d'appel a violé l'article 5-1 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit qu'était compétente pour connaître du litige une juridiction située en ALLEMAGNE et renvoyé à l'application des règles internes de compétence pour désigner la juridiction compétente, à moins que les parties ne conviennent de saisir la juridiction de BREME ;
AUX MOTIFS QU'il suffit de retenir que les deux défendeurs à l'action, la Société BREMEN OVERSEAS CHARTERING AND SHIPPING GMBH et le Capitaine du navire représentant les armateurs propriétaires, sont domiciliés dans un Etat membre qui est l'ALLEMAGNE et que cet Etat membre est donc compétent pour connaître du litige, sans qu'il y ait lieu davantage, au regard des règles internes de compétence applicables, de désigner la juridiction compétente en ALLEMAGNE, renvoyant les demanderesses à mieux se pourvoir sur ce point, sauf à ce qu'elles conviennent de saisir la juridiction de BREME (arrêt, p. 7) ;
ALORS QUE si le juge estime que l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive, arbitrale, administrative ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir ; qu'en disant qu'était compétente pour connaître du litige une juridiction située en ALLEMAGNE et en renvoyant à l'application des règles internes de compétence pour désigner la juridiction compétente, sauf à ce que les parties ne conviennent de saisir la juridiction de BREME, la Cour d'appel a violé l'article 96 du Code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 09-66955
Date de la décision : 16/11/2010
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

UNION EUROPEENNE - Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 - Article 5 § 1 - Compétence spéciale en matière contractuelle - Lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande - Définition - Applications diverses - Contrat de transport maritime de marchandises

CONFLIT DE JURIDICTIONS - Compétence internationale - Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 - Article 5 § 1 - Compétence spéciale en matière contractuelle - Lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande - Définition - Applications diverses - Contrat de transport maritime de marchandises

Il résulte de l'article 5 § 1 b du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit "Bruxelles I", qu'en matière contractuelle, lorsque le demandeur choisit de ne pas attraire le défendeur devant les juridictions de l'Etat membre où ce dernier est domicilié, ce n'est qu'en l'absence de contrat de vente de marchandises ou de fourniture de services au sens de l'article 5 § 1 b qu'il y a lieu de se référer aux dispositions de l'article 5 § 1 a pour désigner le tribunal territorialement compétent. A ce titre, viole l'article 5 § 1 b la cour d'appel, qui pour déclarer incompétent le tribunal du lieu de survenance des avaries subies par la marchandise transportée par un navire, retient que l'article 5 § 1 a du Règlement Bruxelles I prévoit qu'en matière contractuelle, le demandeur peut attraire une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre dans un autre Etat membre devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de fondement à la demande a été ou doit être exécutée et que l'obligation, qui sert de base à la demande de l'expéditeur et de son assureur, est celle du transporteur qui s'oblige à transporter et livrer les marchandises qu'il a prises en charge au lieu de destination prévu au contrat de transport, alors qu'il lui appartenait au préalable de rechercher si les parties au contrat de transport étaient liées par un contrat de fourniture de services, au sens de l'article 5 § 1 b du Règlement Bruxelles I


Références :

article 5 § 1 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000

Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen, 05 février 2009


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 16 nov. 2010, pourvoi n°09-66955, Bull. civ. 2010, IV, n° 181
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2010, IV, n° 181

Composition du Tribunal
Président : Mme Favre
Avocat général : Mme Batut
Rapporteur ?: M. Potocki
Avocat(s) : Me Balat, SCP Laugier et Caston

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2010:09.66955
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