LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :
Vu les articles L. 511-53 et L. 511-54 du code de commerce ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que le protêt doit se suffire à lui-même et ne peut être complété ou régularisé par des éléments extrinsèques ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à l'occasion d'un marché de travaux passé avec la société Profiltub-Profilmeca, devenue Profiltubmeca (la société Profiltubmeca), la société Boccard a émis et accepté au bénéfice de cette dernière deux lettres de change à échéance du 10 mai 2006, qui ont été escomptées par la société Profiltubmeca auprès de la société Crédit industriel d'Alsace et de Lorraine, aux droits de laquelle vient le CIC Est (la banque) puis retournées impayées à la société Profiltubmeca par la banque, qui a contrepassé leur montant au débit du compte de sa cliente ; que deux protêts, dressés par la SCP d'huissiers de justice Mamet-Rosenbaum (la SCP) à la demande de la société Profiltubmeca et de la banque, ont été signifiés le 28 décembre 2006 à la société Boccard qui, se prévalant de leur irrégularité, a demandé leur annulation et la réparation de son préjudice au juge de l'exécution ; que la société Profiltubmeca a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 5 février et 7 mai 2009, la société Gangloff-Nardi étant désignée en qualité de liquidateur ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Boccard, l'arrêt retient que s'il est patent que les protêts litigieux ont été établis à la demande conjointe et surabondante de deux requérants au lieu de la mention du seul porteur de la lettre de change, la société Boccard, qui avait accepté les effets au profit de la société Profiltubmeca, avait connaissance par la procédure antérieure de la qualité de tireur redevenu porteur de cette dernière de sorte qu'elle n'avait pu se méprendre lorsqu'elle avait exprimé son refus de paiement en sa qualité de débiteur cambiaire ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu, le 13 novembre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée;
Condamne la SELARL Gangloff-Nardi, ès qualités, la SCP Claudine Mamet - Gérard Rosenbaum et la société Banque CIC Est aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocat aux Conseils pour la société Boccard
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la Société BOCCARD de sa demande en nullité des deux protêts dressés à son encontre le 28 décembre 2006 pour défaut de paiement de deux lettres de change acceptées à échéance du 10 mai 2006 et en réparation du préjudice causé par la publicité de ces protêts au registre légal prévu à cet effet, ainsi qu'en radiation de ces inscriptions ;
AUX MOTIFS QUE « l'article L. 511-39 du Code de commerce exige la formalité du protêt sans désigner celui qui doit l'accomplir ; que l'article L. 511-43 le désigne indirectement en prévoyant la dispense du protêt en faveur du porteur ; qu'il en résulte que seul le porteur de la lettre de change a pouvoir de requérir le protêt, le porteur devant s'entendre du porteur légitime, c'est-à-dire celui qui est régulièrement détenteur de l'effet au moment où il s'agit de constater le défaut de paiement ; qu'en application de l'article 649 du Code de procédure civile, la nullité des actes d'huissier de justice est régie par les dispositions qui gouvernent les actes de procédure ; que l'article 114 du même Code dispose que la nullité des actes de procédure ne peut être déclarée, pour vice de forme, qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public ; qu'il appartient à la partie ; qu'en l'espèce, s'il est patent que les protêts signifiés par actes de la SCP MAMET-ROSENBAUM ont été établis à la demande conjointe et surabondante de deux requérants au lieu de la mention du seul porteur des lettres de change, la Société BOCCARD ne justifie d'aucun grief dès lors que, par la lecture des actes reproduisant intégralement le recto et le verso des lettres de change, elle a pu identifier sans erreur les lettres de change visées par les protêts comportant la mention d'un seul endos par la Banque CIAL dont elle connaissait la qualité de banquier escompteur et qu'ayant accepté les effets en cause au bénéfice de la Société PROFILTUBMECA, elle avait connaissance par la procédure antérieure de la qualité de tireur redevenu porteur de cette dernière de sorte qu'elle n'a pu se méprendre lorsqu'elle a exprimé son refus de paiement en sa qualité de débiteur cambiaire » ;
ALORS QUE, D'UNE PART, si l'article 649 du Code de procédure civile soumet la nullité des actes d'huissier de justice aux dispositions qui gouvernent les actes de procédure, ce texte ne concerne que les actes intervenant dans le cadre d'une procédure civile et non ceux que les huissiers peuvent effectuer dans le cadre des autres missions prévues par leur statut ; que le protêt d'une lettre de change n'est pas un acte de procédure, mais un acte authentique qui peut tout aussi bien être dressé par un notaire ; que son irrégularité n'est en conséquence pas soumise aux dispositions gouvernant les actes de procédure ni subordonnée par suite à la preuve d'un grief ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé par fausse application les articles 114 et 649 du Code de procédure civile et par refus d'application les articles L. 511-39 et L. 511-52 et suivants du Code de commerce ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART ET SUBSIDIAIREMENT, en refusant de constater que l'indication de deux requérants causait nécessairement un grief à la Société BOCCARD en ne lui permettant pas d'effectuer un paiement empêchant l'établissement d'un protêt et sa publication consécutive, la Cour d'appel a en tout état de cause violé les articles 114 et 649 du Code de procédure civile qu'elle a prétendu applicables ;
ALORS QU'ENFIN, acte formaliste par excellence, le protêt doit se suffire à lui-même et ne peut être complété ou régularisé par des éléments extrinsèques ; qu'en déduisant de tels éléments (« la procédure antérieure ») le défaut de grief causé par l'irrégularité, la Cour d'appel a violé les articles L. 511-52 et suivants du Code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la Société BOCCARD de sa demande en nullité des deux protêts dressés à son encontre le 28 décembre 2006 pour défaut de paiement de deux lettres de change acceptées à échéance du 10 mai 2006 et en réparation du préjudice causé par la publicité de ces protêts au registre légal prévu à cet effet, ainsi qu'en radiation de ces inscriptions ;
AU MOTIF QU' « en application de l'article L. 511-49-I du Code de commerce, la déchéance du porteur, en cas de présentation tardive d'une lettre de change, ne peut être invoquée par l'accepteur ; que le moyen tiré de la tardiveté de la signification des protêts invoqué par la Société BOCCARD, qui avait accepté de payer les lettres de change, n'est pas fondé » ;
ALORS QUE, D'UNE PART, si la déchéance du porteur qui n'a pas fait dresser protêt dans les délais légaux laisse subsister son action contre le tiré accepteur, il en résulte seulement que ce dernier ne peut prétendre se soustraire pour cette seule raison à l'action du porteur négligent ; qu'il demeure cependant en droit de faire constater l'irrégularité intrinsèque du protêt tardif pour en déduire sa radiation du registre des publications et la responsabilité des auteurs de cet acte irrégulier ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 511-49 du Code de commerce et par refus d'application l'article L. 511-39, alinéa 3, du même Code ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, en s'abstenant de rechercher si, comme il était soutenu, la Société PROFILTUBMECA n'avait pas agi de mauvaise foi et engagé sa responsabilité en faisant dresser les protêts litigieux tardivement et cependant que les parties étaient en procès sur la provision desdites traites, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil.