LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Albert,- LA SOCIÉTÉ X... ET FILS, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 4 juin 2008, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie, sur leur plainte, contre Anne Y..., du chef de diffamation publique envers des particuliers, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 32, alinéa 1er, 53, de la loi du 29 juillet 1881 et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a relaxé Anne Y... du chef de diffamation publique envers un particulier ;
"aux motifs propres qu'Albert X... et la société Albert X... et Fils, prétendent qu'ils ont été accusés de délit de favoritisme, sans préciser en quoi l'article incriminé portait une telle accusation ; que le tribunal a relevé à juste titre que les propos contenus dans l'article du 27 janvier 2005 n'articulait pas de faits précis de nature à porter atteinte à l'honneur d'Albert X... et de la société Albert X... et Fils ; que l'article "Patron têtu" ne fait état que d'une entreprise de BTP sans désigner la société Albert X... ; qu'abstraction faite du motif erroné du tribunal qui a énoncé qu'il ne saurait apprécier le bien fondé d'une allégation supposée diffamatoire sur la seule base d'une interprétation discutable et ne lui permettant pas de trancher sur une imputation de faits délictueux, le tribunal a justifié sa décision ;
"et aux motifs adoptés qu'en l'espèce sur l'imputation du délit de favoritisme, le tribunal constate que les plaignants ne reproduisent aucun passage ni au terme de l'article paru le 27 janvier 2005 et se bornent à présenter une interprétation de cet article qui s'apparente plus à un commentaire des propos tenus qu'à une analyse fidèle de ceux-ci (…) ; que, dans les limites de la plainte dont il est saisi et des références littérales aux écrits incriminés, le tribunal est en mesure de statuer ainsi qu'il suit ; que les phrases et termes : "Malheur à celui qui ose s'exprimer" "Mépris, vexations, humiliations, ‘‘Patrons qui usent et abusent" ne contiennent l'imputation d'aucun fait précis attentatoire à l'honneur des plaignants, s'agissant de termes généraux s'adressant à tous les patrons et pour vexatoires qu'ils soient pour Albert X... et sa société, ils ne contiennent aucun fait susceptible de preuve et contre-preuve et ne sont donc pas diffamatoires au sens de la loi de 1881 ; que les termes "Tout est fait pour pousser à la faute ceux que l'on veut virer" ; "ils écoeurent leurs salariés", "volonté systématique de casser ou d'humilier" ne contiennent aucun fait précis constitutif de l'infraction de harcèlement moral invoquée par les plaignants ; qu'il n'est allégué ni quelle faute le salarié est poussé à commettre ni par quel moyen l'employeur est censé l'y pousser et en l'absence de tout fait précis susceptible de preuve et contre-preuve, l'infraction de diffamation n'est pas caractérisée pour ce motif ; que la phrase "M. X... a encore procédé à une de ces séances d'humiliation publique" contient l'expression du sentiment d'humiliation ressenti par les salariés", lors de séance dont il n'est pas précisé par quel moyen le plaignant aurait humilié les salariés ; qu'il ne s'agit pas de faits précis de nature à porter atteinte à l'honneur d'Albert X... ; que les termes "Entreprise connue des inspecteurs du travail et des conseillers du conseil des prud'hommes" et "personnel sous payé" ne permettent pas de relever de faits précis constitutifs d'une infraction au code du travail, l'imputation par voie d'insinuation de celle-ci ne relevant que de l'extrapolation qu'en font les plaignants ; que la phrase "Ils ne trouvent plus personne même dans la communauté portugaise" est tout au plus vexatoire si la nationalité d'Albert X... est connue du lecteur et l'article ne le précisant pas, il n'y a aucun fait attentatoire à l'honneur des plaignants ; que l'article titré "Un salarié poussé à bout" s'inscrit dans le cadre d'un droit de suite et rend compte du climat social dans l'entreprise depuis la parution du premier article ; que cet article ne contient aucun fait diffamatoire mais des considérations qui relèvent de la liberté d'expression du journaliste ; que les termes "Epidémies de démissions", échanges "particulièrement lourds et procéduriers", réponse qualifiée de "n'importe quoi", "patron têtu", "humiliations constantes", "accusations mensongères" ne contiennent aucun fait susceptible de preuve et contre-preuve et relèvent de la liberté d'expression du journaliste ;
"1°) alors que le juge est saisi des incriminations diffamatoires qui sont désignées dans l'acte de poursuite avec une précision suffisante pour permettre l'exercice des droits de la défense ; que la reproduction littérale des propos poursuivis n'est en revanche pas exigée ; qu'Albert X..., en sa double qualité de personne physique et de représentant de sa société, précisait dans sa plainte que dans l'article publié le 27 janvier 2005 par le journal La Feuille, « je suis accusé du délit de favoritisme, qu'il s'agit d'une insinuation… si mon épouse, Hélène X..., fonctionnaire, a un moment assumé la gestion de l'entreprise, c'était, de ma part, selon Anne-Marie Y... – dans le but de me voir octroyer des marchés publics » (plainte, p.2) ; que cette précision renvoyait donc nécessairement au passage de l'article incriminé affirmant : « il M. X... est très sûr de lui et de ses relations. Il connaît tout le monde. Sans doute est-ce vrai puisqu'il est l'époux d'Hélène Z...-X..., employée municipale responsable des archives et du musée de Gajac, fille d'un très estimé ancien sous-préfet. On n'en parlerait pas si l'entreprise ne s'était pas appuyée sur cette relation pour asseoir son activité. En effet Hélène X... a été gérante de l'entreprise de son mari…. Tout en étant fonctionnaire. Sans être salariée, dit-elle, et « avec l'autorisation du maire », ajoute son mari. C'était juste pour mettre en forme les appels d'offre ». Ben tiens donc ! » ; que ce passage, contenu dans le bref article du 27 janvier 2005, était la seule séquence qui n'était pas consacrée aux relations sociales exécrables régnant dans l'entreprise X... ; qu'ainsi, contrairement à l'affirmation de l'arrêt, les parties civiles avaient suffisamment précisé en quoi l'article incriminé comportait une imputation de favoritisme à leur encontre pour permettre à la directrice de publication de se défendre ; que les juges du fond avaient donc l'obligation de statuer sur ce chef de la plainte ;
"2°) alors que la loi réprime les diffamations faites sous forme d'insinuation ; qu'est diffamatoire le passage incriminé affirmant qu'« il M. X... est très sûr de lui et de ses relations. Il connaît tout le monde. Sans doute est-ce vrai puisqu'il est l'époux d'Hélène Z...-X..., employée municipale responsable des archives et du musée de Gajac, fille d'un très estimé ancien sous-préfet. On n'en parlerait pas si l'entreprise ne s'était pas appuyée sur cette relation pour asseoir son activité. En effet Hélène X... a été gérante de l'entreprise de son mari…. Tout en étant fonctionnaire. Sans être salariée, dit-elle, et « avec l'autorisation du maire », ajoute son mari. C'était juste pour mettre en forme les appels d'offre ». Ben tiens donc ! » ; qu'un tel passage insinue, notamment par les doutes mis sur la probité des intentions d'Albert X... (points de suspension, « Ben tiens donc ») que celui-ci se serait appuyé sur les relations de son épouse, fonctionnaire territorial et fille d'un ancien souspréfet, qui aurait participé à des soumissions d'appel d'offres pour son entreprise, afin d'obtenir des marchés publics en méconnaissance du principe d'égalité des candidats prévu à l'article 432-14 du code pénal ;
"3°) alors que les allégations visant les parties civiles contenues dans l'article du 27 janvier 2005 et l'article de début février 2005 selon lesquelles elles feraient preuve de « mépris, vexations, humiliations » envers leurs salariés, elles « useraient et abuseraient » de leurs salariés notamment en supprimant arbitrairement les primes, en les « faisant bosser une à deux heures de plus par jour », en les « sous-payant », « tout est fait pour pousser à la faute ceux que l'on veut virer », il y aurait une « volonté systématique de casser ou d'humilier », il y aurait dans leur entreprise neuf salariés « harcelés », notamment par le biais de « privation de repas comme des gosses », elles seraient connues des inspecteurs du travail, des délégués syndicaux et conseillers prud'homaux sont suffisamment précises pour constituer le délit de diffamation ; qu'en effet, les parties civiles se voient ainsi imputer des comportements indignes à l'égard de leurs salariés (rabaissement au rang d'enfant, humiliation et attitude méprisante), la violation grave et consciente de leurs droits sociaux et de la réglementation du travail (pousser à la faute pour procéder à des licenciements ; avoir une réputation acquise auprès des inspecteurs du travail, des syndicats et des conseillers de prud'homme), sinon de les harceler moralement ; que ces imputations étant susceptibles de la preuve contraire, la cour d'appel ne pouvait légalement juger que le délit de diffamation poursuivi n'était pas constitué ;
"4°) alors que les allégations contenues dans le troisième article incriminé, paru dans la Feuille le 10 février 2005, selon lesquelles le droit de réponse exercé par les parties civiles à la suite de la parution du premier article incriminé serait du « n'importe quoi », revient à mettre en cause la probité et l'honnêteté de la réponse des parties civiles affirmant notamment l'absence de discrimination à l'embauche, le respect du temps de travail et des horaires de repas, le nombre et la cause des démissions de ses salariés ; qu'une telle allégation de mensonge est suffisamment précise pour constituer le délit de diffamation, dès lors que les termes du droit de réponse sont susceptibles d'un débat sur leur véracité ; qu'en affirmant l'inverse, la cour d'appel n'a pas légalement justifié son arrêt ;
"5°) alors que le fait d'accuser une entreprise d'avoir poussé à bout un salarié par des humiliations constantes et des accusations mensongères au point de le placer en congé maladie, puis de le harceler par des lettres recommandées est suffisamment précis pour faire l'objet d'une preuve contraire ; qu'en affirmant qu'un tel propos contenu dans le quatrième article incriminé ne comporte aucun fait diffamatoire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"6°) alors qu'il importe peu que la personne visée par un article diffamatoire ne soit pas nommément désignée dès lors qu'elle est reconnaissable ; qu'en se bornant à affirmer que le quatrième article incriminé « patron têtu » ne fait état que d'une entreprise de BTP sans désigner la société X..., sans s'expliquer sur la circonstance que l'article intitulé « droit de suite » revenait expressément sur les articles précédents de l'hebdomadaire parus dans les numéros du même mois, tous consacrés à l'entreprise X..., nommément désignée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a relaxé Anne Y... du chef de diffamation au bénéfice de la bonne foi ;
"aux motifs qu'aucun texte n'oblige un journaliste à interroger les personnes concernées comme le soutiennent les parties civiles et qu'Anne Y... justifie du sérieux de son enquête ;
"1°) alors que les juges du fond doivent mettre la Cour de cassation en mesure d'apprécier l'existence d'éléments suffisants à caractériser les éléments constitutifs de la bonne foi ; qu'en se bornant à affirmer que la journaliste justifie du sérieux de son enquête, sans préciser sur quelles pièces elle se serait appuyée pour diffamer légitimement les parties civiles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"2°) alors que l'animosité personnelle de l'auteur des propos envers la personne diffamée est exclusive de toute bonne foi ; qu'en ne répondant pas au moyen des conclusions des parties civiles qui relevaient le parti pris personnel de la journaliste au profit d'un des salariés avec lequel les parties civiles seraient en conflit, la cour d'appel a privé sa décision de motifs ;
3°) alors qu'en ne s'expliquant aucunement sur la condition de prudence dans l'expression de la pensée sans laquelle il n'est pas de bonne foi admissible et dont l'absence de respect avait été relevée par les parties civiles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux conclusions dont elle était saisie, a exactement apprécié le sens et la portée des propos litigieux et a, à bon droit, estimé qu'ils ne constituaient pas les faits de diffamation publique envers des particuliers ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit des parties civiles, de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Beauvais conseiller rapporteur, Mme Anzani conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Villar ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;