LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 mars 2008), que par ordonnance du 30 novembre 2000 le juge de l'expropriation du département du Val-d'Oise, se fondant sur un arrêté portant déclaration d'utilité publique du 10 août 1999 et sur un arrêté de cessibilité du 11 octobre 2000, a prononcé l'expropriation partielle, au profit du syndicat intercommunal pour l'aménagement hydraulique des vallées du Croult et du Petit Rosne (SIAH), d'une parcelle appartenant aux consorts X... ; que l'indemnité d'expropriation a été consignée par le SIAH qui n'avait pas pris possession de la parcelle lorsque, ces arrêtés préfectoraux ayant été annulés et l'ordonnance d'expropriation ayant été annulée par voie de conséquence, les consorts X... ont sollicité l'indemnisation des préjudices résultant de l'opération irrégulière ;
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 12-5, alinéa 2, et R. 12-5-4 du code de l'expropriation ;
Attendu qu'en cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge de l'expropriation que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale, que le juge détermine également les indemnités à restituer à l'expropriant et statue sur la demande de l'exproprié en réparation du préjudice causé par l'opération irrégulière ;
Attendu que pour dire que le juge de l'expropriation est incompétent pour statuer sur la demande d'indemnisation des consorts X..., l'arrêt retient que l'article R.12-5-4 prévoit certes la possibilité pour l'exproprié de demander en sus de la restitution, réparation du préjudice, de quelque nature qu'il soit causé par l'expropriation irrégulière, mais que cette faculté ne peut être exercée que dans l'hypothèse d'une prise de possession par l'expropriant et d'un lien avec elle, afin de replacer l'exproprié dans la situation qui aurait été la sienne en l'absence de dépossession, qu'entendre différemment cette disposition conduirait le juge de l'expropriation à se prononcer sur la faute de l'autorité administrative se trouvant à l'origine du manque de base légale de l'ordonnance d'expropriation ;
Qu'en statuant ainsi alors que l'indemnisation du préjudice causé par l'opération irrégulière n'est pas subordonnée à la prise de possession du bien par l'expropriant, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que le juge de l'expropriation était incompétent pour statuer sur la demande d'indemnisation des consorts X..., l'arrêt rendu le 11 mars 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris (chambre des expropriations) ;
Condamne le syndicat intercommunal pour l'aménagement hydraulique des vallées du Croult et du Petit Rosne (SIAH) aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du SIAH ; le condamne à payer aux consorts X..., ensemble, la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour les consorts X....
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir constaté que le juge de l'expropriation était incompétent pour statuer sur l'indemnisation des préjudices subis par des expropriés (M. et Mme X..., les exposants) à raison de l'annulation d'une opération d'expropriation engagée par l'autorité administrative (le SIAH) ;
AUX MOTIFS QUE les époux X... agissaient sur le fondement des articles L.12-5 et R.12-5-4 du Code de l'expropriation afin d'obtenir réparation des préjudices subis à raison de la perte de base légale de l'ordonnance d'expropriation tout en indiquant utiliser, par ailleurs, l'arrêt rendu le 5 juin 2007 par la Cour de cassation, annulant cette ordonnance, pour procéder aux formalités de publicité foncière sur leur bien ; que cette annulation rendait sans objet leur demande tendant à la constatation de la perte de base légale de ladite ordonnance, en sorte que ne subsistait que leur demande d'indemnisation du fait de l'indisponibilité de leur parcelle jusqu'à l'arrêt de la Cour de cassation et du préjudice moral dont ils se prévalaient ; que le SIAH n'avait jamais pris possession de l'emprise expropriée et que l'indemnité de dépossession allouée à M. et Mme X... par arrêt de cette cour du 2 avril 2002 était demeurée consignée ; qu'il n'y avait donc pas lieu à restitution du bien en cause autrement que par publicité foncière ; qu'en application de l'article R.12-5-5 du Code de l'expropriation, les frais de publicité foncière étaient de plein droit à la charge de l'expropriant ; que le SIAH déduisait avec pertinence des termes de l'article R.12-5-4 que celui-ci avait un objet limité aux conséquences de la prise de possession du bien exproprié ; que ce texte régissait en effet l'indemnisation des suites dommageables de celle-ci en prévoyant soit la restitution, lorsqu'elle était possible, soit l'octroi de dommages-intérêts, lorsqu'elle ne l'était pas, ainsi que le sort des ouvrages ou plantations réalisés par l'expropriant sur le bien restitué, lesquels pouvaient être soit enlevés soit maintenus sous condition de leur remboursement ; qu'il prévoyait, certes, la possibilité pour l'exproprié de demander, en sus, réparation du préjudice, de quelque nature qu'il fût, causé par l'expropriation irrégulière mais que cette faculté ne pouvait être exercée que dans l'hypothèse d'une prise de possession par l'expropriant et d'un lien avec elle, afin de replacer l'exproprié dans la situation qui aurait été la sienne en l'absence de dépossession ; qu'entendre différemment cette disposition conduirait le juge de l'expropriation à se prononcer sur la faute de l'autorité administrative se trouvant à l'origine du manque de base légale de l'ordonnance d'expropriation ; que force était de constater qu'en l'espèce le premier juge avait admis sa compétence «sur le fondement de la responsabilité délictuelle », ce qu'il ne pouvait faire au regard des règles d'ordre public déterminant la compétence des ordres de juridiction, en dépit des termes de la circulaire du 3 octobre 2005 dont se prévalaient M. et Mme X... ; qu'en définitive, leur demande d'indemnisation ne pouvait être examinée que par la juridiction administrative ; qu'il convenait de les renvoyer à mieux se pourvoir (arrêt attaqué, p. 5, 2ème et 3ème considérants, et p. 6) ;
ALORS QUE, d'une part, en cas de perte de base légale ou d'annulation de l'ordonnance d'expropriation, l'exproprié peut former devant le juge foncier une demande en réparation du préjudice causé par l'opération irrégulière, résultant notamment de l'indisponibilité de son bien, et ce, indépendamment d'une éventuelle prise de possession préalable par l'expropriant ; qu'en retenant que la compétence du juge foncier pour statuer sur la demande d'indemnisation des expropriés s'exerçait nécessairement dans le cadre d'une prise de possession du bien par l'expropriant et d'un lien entre celle-ci et ladite demande, la cour d'appel, ajoutant à l'article R.12-5-4 du Code de l'expropriation une condition qu'il ne prévoit pas, a violé ce texte ;
ALORS QUE, d'autre part et en toute hypothèse, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable ; qu'en interdisant aux expropriés de former devant le juge foncier une demande d'indemnisation de leur préjudice pourtant causé par l'opération d'expropriation irrégulière, et en les contraignant de la sorte à recommencer toute la procédure devant un ordre de juridiction différent pour obtenir réparation du même préjudice, ce qui ne peut manquer de prolonger considérablement le délai d'indemnisation, la cour d'appel a méconnu l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde et l'article R.12-5-4 du Code de l'expropriation.