LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 19 juin 2008), que la société Mexx Boutiques (la société Mexx) a, par l'intermédiaire de la société Trois fois Trois, signé le 26 novembre 2001 un contrat de bail commercial avec la SCI Rivierette (la SCI), portant sur des locaux situés dans un centre commercial à construire, le local devant être livré au plus tard en janvier 2004; que l'adjudication forcée du bien immobilier propriété de la SCI a été ordonnée et le permis de construire délivré pour l'édification du centre commercial est devenu caduc ; que le 12 septembre 2003, en présence des créanciers inscrits, la SCI a vendu amiablement le terrain à la société Foruminvest Immobilier France (la société Foruminvest), qui a obtenu un nouveau permis de construire et édifié un centre commercial différent de celui projeté par la SCI ; que la société Mexx à laquelle la caducité du bail du 26 novembre 2001 a été opposée, a demandé la résiliation du bail du 26 novembre 2001 aux torts exclusifs de la société Foruminvest et subsidiairement l'allocation de dommages-intérêts par la SCI ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que le bail du 26 novembre 2001 était indéfectiblement lié à la configuration virtuelle objet du permis de construire obtenu par la SCI et devenu caduc le 19 février 2003, que l'arrêt du 28 octobre 2002 de la cour d'appel de Douai ayant décidé de l'adjudication du bien immobilier avait mis un terme au projet de construction d'un espace commercial par la SCI qui s'était trouvée contrainte de vendre le bien à l'amiable, et que la société Foruminvest, qui avait acquis le bien après la péremption du permis de construire, avait obtenu un nouveau permis prévoyant une configuration largement nouvelle sans les mêmes emplacements ni les mêmes prix, la cour d'appel a pu en déduire que le contrat de bail commercial conclu entre la SCI et la société Mexx était caduc et que cette dernière ne pouvait utilement agir contre la société Foruminvest mais seulement en responsabilité contre la SCI, dont l'inertie était à l'origine de la péremption du permis de construire ;
Sur le troisième moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la société Trois fois trois avait accompli la négociation qui lui était confiée, que le contrat de bail du 26 novembre 2001, devenu caduc le 19 février 2003, avait bien été conclu au sens de la loi Hoguet, que la société Trois fois trois n'avait pas commis de faute qui la priverait de rémunération et n'avait pris aucune part à l'échec de l'opération immobilière sur laquelle spéculait le bail litigieux, la cour d'appel en a exactement déduit que l'inexécution postérieure de la convention ne pouvait remettre en cause le bien-fondé de la commission perçue ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article 4 du Code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande subsidiaire en dommages-intérêts formée par la société Mexx à l'encontre de la SCI, la cour d'appel retient que la faute de la SCI a conduit la société Mexx à ne pas rechercher d'autre emplacement d'hyper-centre pendant les trois années séparant le bail de 2001 et la date prévue de livraison du magasin en janvier 2004, que le préjudice d'un locataire qui est privé de la jouissance d'un local est égal à la perte du bénéfice qu'il pouvait espérer réaliser pendant le temps où il a attendu effectivement, que le premier juge a exactement qualifié la nature de ce préjudice, en évoquant la "perte d'une chance d'obtenir un bénéfice escompté", mais qu'il ne peut en revanche être suivi dans son arbitrage, dès lors que, malgré une invite à approfondir son dossier et à éclairer la cour d'appel, la société Mexx ne fournit toujours aucun élément sinon une pièce unique émanée d'elle-même et qu'une expertise ordonnée d'office n'aurait pour objet que de pallier la carence de la demanderesse dans l'administration de sa preuve ;
Qu'en refusant ainsi d'évaluer le dommage dont elle avait constaté l'existence en son principe, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté la société Mexx Boutiques de sa demande de dommages-intérêts dirigée contre la SCI La Rivierette, l'arrêt rendu le 19 juin 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne, ensemble, la société Mexx Boutiques et la SCI La Rivierette aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Mexx Boutiques à payer la somme de 2 500 euros à la société Foruminvest et la somme de 2 500 euros à la société Trois Fois Trois ; condamne la société La Rivierette à payer à la société Mexx Boutiques la somme de 2 500 euros et rejette les demandes plus amples ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour la société Mexx Boutiques.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR constaté la caducité du bail conclu le 26 novembre 2001 et D'AVOIR en conséquence débouté la société Mexx Boutiques de sa demande de résiliation du bail aux torts exclusifs de la société Foruminvest ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE cette caducité, qui découle principalement de la péremption du permis de construire, a été acquise le 19 février 2003, la vente du tènement à Foruminvest n'ayant eu lieu que le 12 septembre 2003 ; que la SCI n'avait dans ce contexte aucun droit ni aucune obligation de céder à son acquéreur des baux ou des promesses de baux indéfectiblement liés à la configuration virtuelle objet du permis de construire ; que la clause abusivement baptisée de «préférence» dans les écritures de certaines parties, n'était qu'une recommandation, n'était nullement soumise à l'article 1743 du Code civil, et s'est de toute façon trouvée vidée de sens et de portée dès lors que la caducité affectait le bail qu'elle visait ; que lorsque Foruminvest, ayant finalement pu remonter une autre opération, a voulu démarcher les anciens titulaires de bail ou promesse de bail, tel Mexx, elle n'a proposé, dans une configuration largement nouvelle, ni les mêmes emplacements, ni les mêmes prix, qui sont des éléments déterminants pour concrétiser un bail commercial ;
- ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Douai, devenu définitif, statuant en matière de saisie immobilière, a fixé une date d'adjudication sur le terrain de la SCI La Rivierette ; qu'il a mis un terme au projet de construction d'un espace commercial par la SCI La Rivierette dans la mesure où le terrain devait faire l'objet d'une saisie immobilière par les créanciers de la SCI ce qui constituait une circonstance nouvelle remettant l'efficacité du contrat de bail en cause ;
qu'il est expressément indiqué par la SCI La Rivierette, que compte tenu de la décision de la Cour d'appel de Douai, elle s'est trouvée contrainte de procéder à la vente amiable du terrain de sorte qu'elle avait nécessairement abandonné son projet de construction ; que l'abandon du projet de construction d'un espace commercial est vérifié par le fait que la SCI la Rieverette n'a pas entrepris de travaux sur ce terrain et n'a pas demandé la prorogation du permis de construire de sorte que celui-ci a atteint sa date de péremption le 19 février 2003 conformément à l'article R 421-32 du Code de l'urbanisme ; que la caducité du permis de construire le 19 février 2003 a également entraîné la caducité de l'ensemble du projet immobilier de la SCI La Rivierette et des contrats de baux associés à la réalisation de ce projet ; qu'il en résulte que la société Foruminvest, qui n'a commis aucune faute, s'est trouvée dans l'impossibilité définitive et absolue en raison d'un événement indépendant de sa volonté d'exécuter ledit bail que la caducité avait éteint antérieurement à l'acte de vente du 12 septembre 2003 ; que la société Foruminvest, qui a construit un projet radicalement différent de celui de la SCI La Rivierette est dans l'impossibilité de proposer à la société Mexx Boutiques, un local à bail identique à celui figurant expressément dans le contrat de bail du 26 novembre 2001 ; que si la caducité du contrat de bail est la conséquence de l'arrivée du terme du permis de construire intervenu le 19 février 2003 cela résulte d'une inertie de la SCI La Rivierette qui a décidé d'abandonner le projet de construction d'un centre commercial et qui n'a pas entrepris les travaux de réalisation du centre commercial ;
ALORS QU'un acte ne devient caduc que s'il perd un élément essentiel à sa validité du fait de la survenance d'un événement indépendant de la volonté des parties ; que pour constater que le bail conclu entre la société Mexx Boutiques et la SCI La Rivierette était caduc et le déclarer inopposable à la société Foruminvest, l'arrêt attaqué retient, par motifs propres et adoptés, que cette caducité découlait de la péremption du permis de construire du fait de l'inertie de la SCI La Rivierette qui avait décidé d'abandonner son projet de construction d'un centre commercial ; qu'en statuant ainsi, bien qu'il ressorte de ses constatations que l'impossibilité d'exécuter le bail provient non pas d'un événement indépendant de la volonté de la bailleresse mais de l'inexécution fautive de ses obligations, la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1134 du Code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR débouté la société Mexx Boutiques de sa demande de dommages et intérêts formée à titre subsidiaire contre la société La Rivierette ;
AUX MOTIFS, PROPRES ET ADOPTES, QUE l'article 11-4 du bail caduc ne prévoit pas que le bailleur doive indemniser le preneur au cas où la mise à disposition des locaux s'avèrerait impossible ; que la caducité du bail, conséquence de l'arrivée du terme du permis de construire intervenu le 19 février 2003, résulte d'une inertie de la SCI La Rivierette qui a décidé d'abandonner son projet de construction d'un centre commercial et qui n'a pas entrepris de travaux de réalisation d'un centre commercial ; que la SCI La Rivierette n'a pas agi en toute bonne foi avec son cocontractant lui ayant dissimulé ses déboires financiers et judiciaires alors même qu'elle était interrogée sur ce point par la Société Mexx Boutiques ; que la faute de la SCI La Rivierette a conduit la société Mexx Boutiques à ne pas rechercher d'autre emplacement d'hyper-centre pendant les trois années qui ont séparé le bail de 2001 et la date prévue de livraison du magasin, en janvier 2004 ; que cette date butoir, bien que plus tardive d'un an que celle de la caducité, est la date à laquelle la société Mexx Boutiques a pu réaliser que le montage de 2001 était devenu obsolète ; que Mexx estime son préjudice à la différence entre le loyer qu'elle avait promis à la SCI La Rivierette dans l'acte de 2001 (env. 610.000euros par an), et le loyer que Foruminvest lui a demandé pour une prestation comparable en 2004 (env. 860 000 euros par an), le tout sur les douze années d'un bail normal en la matière ; que la Cour ne peut pas suivre ce raisonnement qui se fonde sur le postulat, exactement démenti par les autres points des écritures de Mexx, selon lequel Mexx aurait pu ou bien voulu accepter l'offre de Forum Invest ; que le préjudice d'un locataire qui est privé de la jouissance d'un local est égal à la perte du bénéfice qu'il pouvait espérer réaliser pendant le temps où il a attendu effectivement ; que le premier juge a exactement qualifié la nature de ce préjudice, en évoquant la perte d'une chance d'obtenir un bénéfice escompté ; que ce premier juge ne peut en revanche être suivi dans son arbitrage, ex aequo et bono, à hauteur d'un million et demi d'euros ; que malgré cette invite à approfondir son dossier et à éclairer la Cour, et malgré les justes protestations de ses adversaires, Mexx ne fournit toujours rien sinon une pièce unique (n° 15) émanée d'elle-même ; qu'une expertise ordonnée d'office par la Cour n'aurait que pour objet de pallier la carence de Mexx dans l'administration de sa preuve ;
ALORS QU'en refusant ainsi d'évaluer le montant du préjudice dont elle a constaté l'existence dans son principe, la Cour d'appel a violé les articles 4 et 1147 du Code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté la société Mexx Boutiques de sa demande de condamnation de la société Trois fois Trois à lui payer la somme de 182 329, 02 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au montant de la commission versée et D'AVOIR mis hors de cause la société Trois fois Trois ;
AUX MOTIFS QUE l'article 6 de la loi Hoguet du 2 janvier 1970 dispose qu'«aucune … somme d'argent représentative de commissions … n'est due … avant qu'une opération … ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l'engagement des parties» ; que le contrat de bail du 26 novembre 2001 a été effectivement conclu au sens de la loi Hoguet ; que la société Trois fois Trois a accompli la négociation qui lui était confiée, n'a pas commis de faute qui la priverait de rémunération, aussi volumineuse soit celleci, et n'a pris aucune part à l'échec de l'opération immobilière sur laquelle spéculait le bail litigieux ; que l'inexécution postérieure à cette convention ne peut remettre en cause le bien fondé de la commission perçue par la société Trois fois Trois ;
ALORS QU'aucune commission ni somme d'argent quelconque ne peut être exigée, ni même acceptée, par l'intermédiaire professionnel ayant concouru à une opération qui ne s'est pas effectivement réalisée ; que l'article 5 du bail conclu entre la société Mexx Boutiques et la SCI La Rivierette stipulait que le bail devait commencer à courir à compter de la prise effective de possession des locaux par le preneur suivant procès-verbal de livraison ; que pour rejeter la demande de restitution de la commission versée par la société Mexx Boutiques suite au prononcé de la caducité du bail, l'arrêt attaqué retient que la société Trois fois Trois avait accompli la négociation du bail et n'avait pris aucune part à l'échec de l'opération immobilière ; qu'en statuant par des motifs impropres à justifier la rémunération de la société Trois fois Trois dès lors qu'à défaut de réalisation effective de l'opération par la livraison du local objet du bail, et par la prise de possession marquant la réalisation effective de l'opération, l'agent immobilier n'a pas droit au paiement de la commission contractuellement prévue, la Cour d'appel a violé les articles 6, alinéa 3, de la loi du 2 janvier 1970 et 74 du décret du 20 juillet 1972.