LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. Maurice X... et Mme Andrée X... ainsi que Mme Y..., que sur le pourvoi incident relevé par la caisse de crédit mutuel Ernée bocage ;
Donne acte à Mme Y... du désistement de son pourvoi à l'égard de la caisse de crédit mutuel Ernée bocage ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la caisse de crédit mutuel Ernée bocage (la caisse) a consenti à M. Denis X... et son épouse, Mme Y..., un prêt de 20 000 euros, en vue de l'activité professionnelle de M. X... ; que M. Maurice X... et son épouse Mme Andrée X... se sont rendus cautions solidaires de ce prêt ; qu'après la mise en redressement judiciaire de M. Denis X..., la caisse a poursuivi Mme Y... et les cautions en exécution de leur engagement ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que la caisse fait grief à l'arrêt d'avoir fait droit en son principe à la demande reconventionnelle de Mme Y..., de l'avoir condamnée à lui payer une somme de 15 800 euros à titre de dommages intérêts et d'avoir ordonné la compensation entre la créance de la caisse à l'égard de Mme Y... et la créance de Mme Y... à l'égard de la caisse, alors, selon le moyen :
1° / que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que le devoir de conseil et de mise en garde de la banque n'est dû à l'emprunteur que si ce dernier n'est pas averti ; qu'il appartient à l'emprunteur de démontrer l'existence d'une obligation à la charge de la banque, et donc de démontrer sa qualité d'emprunteur non averti ; qu'au cas d'espèce, en faisant peser sur la caisse charge de prouver le caractère averti de Mme Y... quand il appartenait au contraire à cette dernière de démontrer qu'elle était un emprunteur non averti et que c'est seulement dans un second temps que la banque était alors tenue de prouver qu'elle avait exécuté son obligation, les juges du fond, qui ont renversé la charge de la preuve, ont violé l'article 1315 du code civil ;
2° / que si le banquier est tenu d'un devoir de mise en garde envers l'emprunteur non averti, la qualité de l'emprunteur doit s'apprécier en considération de toutes les caractéristiques du prêt ; qu'au cas d'espèce, la caisse faisait valoir que le prêt avait été consenti à Mme Y... et à son mari pour permettre le financement de l'activité professionnelle de ce dernier et que Mme Y..., épouse commune en biens qui bénéficiait à ce titre des revenus tirés de l'entreprise de son mari, ne pouvait être considérée comme non avertie dès lors qu'elle connaissait parfaitement les caractéristiques, en particulier financières, de l'entreprise ; qu'en se bornant à énoncer, pour conclure à son caractère non averti, que Mme Y..., qui exerçait la profession d'agent d'entretien, n'avait aucune expérience dans la gestion d'une entreprise et ne disposait d'aucune compétence pour apprécier la pertinence du montage financier et les perspectives d'avenir de l'entreprise de transport routier exploitée par M. Denis X..., son mari, les juges du fond n'ont pas donné de base légale à leur décision au regard de l'article 1147 du code civil ;
3° / que le préjudice résultant d'une perte de chance doit être mesuré à hauteur de la chance perdue et sa réparation ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'au cas d'espèce, en condamnant la caisse à verser à Mme Y... une somme de 15 800 euros, soit une somme supérieure à celle sollicitée par la banque au titre du remboursement du prêt, quand seule une fraction du préjudice résultant de l'octroi du prêt pouvait être indemnisé, les juges du fond ont en toute hypothèse violé l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que le banquier auquel il appartient de démontrer qu'il a rempli son obligation de mise en garde, est dispensé de cette obligation s'il établit que son client a la qualité d'emprunteur averti ; que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que la cour d'appel, sans inverser la charge de la preuve, a retenu que Mme Y..., qui était employée en qualité d'agent d'entretien et n'avait aucune expérience dans la gestion d'entreprise, ne disposait d'aucune compétence pour apprécier elle-même la pertinence du montage financier et les perspectives d'avenir de l'entreprise de transports routiers de son mari, était une emprunteuse non avertie ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel n'a pas évalué le préjudice de Mme Y... à une somme supérieure à celle réclamée par la banque au titre du remboursement du prêt ;
D'où il suit que le moyen qui manque en fait en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal :
Vu les articles 1234 et 1294, alinéa 1 du code civil ;
Attendu que pour condamner M. Maurice X... et Mme Andrée X... à payer solidairement à la caisse la somme de 15 174, 30 euros, l'arrêt relève que la caisse poursuit M. Maurice X... et Mme X... en leur qualité de caution de M. Denis X..., et que la créance telle qu'admise au passif de la procédure collective de M. Denis X... n'est compensée par aucune créance établie de M. X... contre la caisse ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que les cautions avaient garanti le remboursement du prêt consenti à M. Denis X... et Mme Y..., ce dont il résultait qu'elles pouvaient se prévaloir de l'extinction totale ou partielle, par compensation, de la dette garantie, la cour d'appel, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que confirmant le jugement, il a fait droit à la demande en paiement de la caisse de crédit mutuel Ernée bocage contre M. Maurice X... et contre Mme Andrée X..., l'arrêt rendu le 1er juillet 2008, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne la caisse de crédit mutuel Ernée bocage aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Bachellier et Potier de la Varde, avocat aux Conseils, pour les consorts X...
Monsieur Maurice X... et madame Andrée Z... font grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement déféré en ce qu'il les avait condamnés solidairement à payer à la caisse de Crédit Mutuel Ernée Bocage la somme de 15 174, 30 euros avec intérêts au taux contractuel sur 13 364, 03 euros et au taux légal sur le surplus à compter du 6 juillet 2005 ;
AUX MOTIFS QUE, par acte sous seing privé du 30 octobre 2003, madame Laurence Y... a souscrit un emprunt de 20 000 euros auprès de la caisse de Crédit Mutuel Ernée Bocage en qualité de co-emprunteuse en autorisant, aux termes des conditions générales annexées au contrat, la caisse de Crédit Mutuel Ernée Bocage à affecter les fonds directement à l'objet qui leur est destiné par la convention, savoir, fonds de roulement supplémentaires liés à l'accroissement de l'activité professionnelle de monsieur Denis X... ; qu'elle ne prétend ni ne justifie que la caisse de Crédit Mutuel Ernée Bocage n'aurait pas respecté cette affectation de sorte que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu qu'elle se trouvait débitrice des sommes dues à la banque en exécution du prêt ; (...) que madame Laurence Y... présente une demande reconventionnelle contre la caisse de Crédit Mutuel Ernée Bocage fondée sur la responsabilité de celle-ci, à laquelle elle reproche d'avoir manqué envers elle à son devoir d'information et de mise en garde ; (...) que la caisse de Crédit Mutuel Ernée Bocage ne verse au débat aucune élément démontrant qu'elle a satisfait à son devoir de mise en garde ; qu'elle a ainsi commis une faute qui a pour conséquence directe de placer madame Laurence Y... dans l'obligation de faire face seule au remboursement de l'emprunt ainsi contracté ; que le préjudice qui en résulte consiste en la perte de chance de n'avoir pas contracté cet engagement et doit être estimé à la somme de 15 800 euros ;
ET QUE la créance de la caisse de Crédit Mutuel Ernée Bocage à l'encontre des cautions est déterminée par le montant de l'admission de la créance au passif de la procédure collective de monsieur Denis X... par une décision définitive du 6 novembre 2006 pour la somme de 15 174, 30 euros ; qu'au soutien de leur appel, monsieur Maurice X... et madame Andrée Z... font valoir que, dès lors que, par compensation, la créance de la caisse de Crédit Mutuel Ernée Bocage est éteinte, la banque est mal fondée à en réclamer paiement aux cautions, l'extinction de la créance constituant une exception opposable par la caution au créancier ; que l'article 1294 du code civil, invoqué par monsieur Maurice X... et madame Andrée Z..., énonce que la caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur ; mais que la caisse de Crédit Mutuel Ernée Bocage poursuit monsieur Maurice X... et madame Andrée Z... en leur qualité de caution de monsieur Denis X... ; que la créance de la caisse de Crédit Mutuel Ernée Bocage, telle qu'admise au passif de la procédure collective de monsieur Denis X... n'est compensée par aucune créance établie de monsieur Denis X... contre la caisse de Crédit Mutuel Ernée Bocage ; que le moyen est mal fondé et doit être rejeté ;
ALORS QUE la compensation valablement opposée par l'un des codébiteurs libérant à due concurrence l'ensemble des codébiteurs solidaires, la caution solidaire peut se prévaloir de l'extinction totale ou partielle, par compensation, de la dette garantie ; que la cour d'appel qui, après avoir condamné madame Laurence Y..., en sa qualité de co-débitrice du prêt contracté le 30 octobre 2003, à payer à la caisse de Crédit Mutuel Ernée Bocage la somme de 15 535, 72 euros avec intérêts et avoir condamné cet organisme, en raison de la faute commise à l'encontre de madame Y..., à lui verser la somme de 15 800 euros à titre de dommages et intérêts, puis ordonné la compensation entre ces créances à concurrence de la plus faible, a néanmoins jugé que monsieur et madame Maurice X..., cautions solidaires du prêt contracté le 30 octobre 2003, ne pouvaient se prévaloir de la compensation ainsi ordonnée dès lors que la banque agissait contre eux en leur qualité de cautions d'un autre co-débiteur, lequel ne pourrait se prévaloir lui-même d'aucune compensation, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, partant, violé les articles 1200, 1234 et 2036 du code civil.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi incident, par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour la caisse de crédit mutuel Ernee bocage
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a confirmé le jugement en ce qu'il a fait droit en son principe à la demande reconventionnelle de Mme Laurence Y... contre la CAISSE DE CREDIT MUTUEL ERNEE BOCAGE, condamné la CAISSE DE CREDIT MUTUEL ERNEE BOCAGE à payer à Mme Laurence Y... une somme de 15. 800 à titre de dommages et intérêts et ordonné la compensation entre la créance de la CAISSE DE CREDIT MUTUEL ERNEE BOCAGE à l'égard de Mme Laurence Y... et la créance de Mme Laurence Y... à l'égard de la CAISSE DE CREDIT MUTUEL ERNEE BOCAGE à concurrence de la plus faible ;
AUX MOTIFS QUE « s'agissant de la somme due par Mme Laurence Y... en sa qualité de co-emprunteuse, le montant doit en être déterminé au regard des obligations qu'elle a contractées dans le contrat de prêt et non par rapport au montant admis au passif de son co-débiteur ; qu'il ressort du décompte de créance arrêté au 9 février 2006 que la somme due par Mme Laurence Y... en exécution du contrat de prêt s'élève à 15. 535, 72 qui portera intérêts au taux contractuellement prévu sur 13. 364, 03 et au taux légal sur le surplus à compter de l'assignation ; que Mme Laurence Y... présente une demande reconventionnelle contre la CAISSE DE CREDIT MUTUEL ERNEE BOCAGE, fondée sur la responsabilité de celle-ci, à laquelle elle reproche d'avoir manqué envers elle à son devoir d'information et de mise en garde ; qu'elle fait valoir que, compte tenu des prêts précédemment consentis par la CAISSE DE CREDIT MUTUEL ERNEE BOCAGE, la charge mentionnée de remboursement du prêt considéré, d'un montant de 460, 13 était disproportionnée par rapport à son revenu professionnel s'élevant à 711, 85 par mois ; que la banque, sur qui repose la charge de rapporter la preuve que l'emprunteur auquel elle a consenti un prêt est un emprunteur averti, se borne à affirmer que Mme Laurence Y..., épouse commune en biens de M. Denis X..., doit être considérée comme un emprunteur averti ; que, ce faisant, elle n'en administre pas la preuve ; que Mme Laurence Y..., employée en qualité d'agent d'entretient, n'ayant aucune expérience dans la gestion d'une entreprise, ne dispose en réalité d'aucune compétence pour apprécier par elle-même la pertinence du montage financier et les perspectives d'avenir de l'entreprise de transports routiers de M Denis X..., son mari ; qu'elle est une emprunteuse profane ; que la CAISSE DE CREDIT MUTUEL ERNEE BOCAGE a envers Mme Laurence Y... un devoir de mise en garde consistant à attirer son attention sur le risque que lui fait encourir l'engagement de remboursement qu'elle contracte personnellement alors que ses ressources personnelles, justifiées pour un montant mensuel de 735, se trouvaient déjà engagées à concurrence de 636, 71 par ses précédents'engagements et que le prêt considéré correspondait à un engagement global de 1. 079, 28 e, que la CAISSE DE CREDIT MUTUEL ERNEE BOCAGE ne verse au débat aucun élément démontrant qu'elle a satisfait à son devoir de mise en garde ; qu'elle a ainsi commis une faute qui a pour conséquence directe de placer Mme Laurence Y... dans l'obligation de faire face seule au remboursement de l'emprunt ainsi contracté ; que le préjudice qui en résulte consiste en la perte de chance de n'avoir pas contracté cet engagement et doit être estimé à la somme de 15. 800 (...) » (arrêt, p. 4 et 5) ;
ALORS QUE, premièrement, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que le devoir de conseil et de mise en garde de la banque n'est dû à l'emprunteur que si ce dernier n'est pas averti ; qu'il appartient à l'emprunteur de démontrer l'existence d'une obligation à la charge de la banque, et donc de démontrer sa qualité d'emprunteur non averti ; qu'au cas d'espèce, en faisant peser sur la CAISSE DE CREDIT MUTUEL ERNEE BOCAGE la charge de prouver le caractère averti de Mme Laurence Y..., quand il appartenait au contraire à cette dernière de démontrer qu'elle était un emprunteur non averti et que c'est seulement dans un second temps que la banque était alors tenue de prouver qu'elle avait exécuté son obligation, les juges du fond, qui ont renversé la charge de la preuve, ont violé l'article 1315 du Code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, si le banquier est tenu d'un devoir de mise en garde envers l'emprunteur non averti, la qualité de l'emprunteur doit s'apprécier en considération de toutes les caractéristiques du prêt ; qu'au cas d'espèce, la CAISSE DE CREDIT MUTUEL ERNEE BOCAGE faisait valoir que le prêt avait été consenti à Mme Laurence Y... et à son mari pour permettre le financement de l'activité professionnelle de ce dernier et que Mme Y..., épouse commune en biens qui bénéficiait à ce titre des revenus tirés de l'entreprise de son mari, ne pouvait être considérée comme non avertie dès lors qu'elle connaissait parfaitement les caractéristiques, en particulier financières, de l'entreprise (conclusions de la CAISSE DE CREDIT MUTUEL ERNEE BOCAGE du 1 er avril 2008, p. 7, 8, 9 et 10) ; qu'en se bornant à énoncer, pour conclure à son caractère non averti, que Mme Y..., qui exerçait la profession d'agent d'entretien, n'avait aucune expérience dans la gestion d'une entreprise et ne disposait d'aucune compétence pour apprécier la pertinence du montage financier et les perspectives d'avenir de l'entreprise de transport routier exploitée par M. Denis X..., son mari, les juges du fond n'ont pas donné de base légale à leur décision au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Et ALORS QUE, troisièmement et en tout cas, le préjudice résultant d'une perte de chance doit être mesuré à hauteur de la chance perdue et sa réparation ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'au cas d'espèce, en condamnant la CAISSE DE CREDIT MUTUEL ERNEE BOCAGE à verser à Mme Y... une somme de 15. 800, soit une somme supérieure à celle sollicitée par la banque au titre du remboursement du prêt, quand seule une fraction du préjudice résultant de l'octroi du prêt pouvait être indemnisé, les juges du fond ont en toute hypothèse violé l'article 1147 du Code civil.