LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur les deux moyens réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 19 novembre 2007), que M. X..., après une intervention chirurgicale sous anesthésie générale pratiquée à la suite d'une artérite, a subi en salle de réveil un arrêt cardiaque avec fibrillation ventriculaire qui lui a laissé des séquelles neurologiques ; qu'après expertise ordonnée en référé, il a assigné en responsabilité et réparation la société Clinique d'Occitanie et son assureur, la société Axa assurances (l'assureur), ainsi que M. Y..., médecin anesthésiste remplaçant ayant assisté le chirurgien lors de l'opération, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute Garonne (la caisse) et de la société Mutuelle du Grand Sud Ouest ; que M. Y... a appelé en garantie la société Assurances générales de France IART, assureur de M. A..., médecin anesthésiste qu'il avait remplacé lors de l'opération ;
Attendu que la caisse fait grief à l'arrêt de dire qu'elle n'avait aucun droit au titre des pertes de gains professionnels actuels, l'intégralité de la réparation étant allouée à la victime, de rejeter sa demande au titre des gains professionnels futurs, et de limiter en conséquence la condamnation des défendeurs à son profit à la somme de 15 231,56 euros, alors, selon le moyen :
1°/ qu'il est de principe que la victime ne peut obtenir une indemnité supérieure aux dommages réparables ; qu'en cas de partage de responsabilité, elle ne peut dès lors obtenir une indemnité excédant la fraction du dommage qu'elle a personnellement éprouvé et qui peut donner lieu à réparation ; qu'en pareil cas, la fraction de l'indemnité allouée excédant le préjudice susceptible d'être réparé à l'égard de la victime doit revenir à la caisse ; qu'en l'espèce, et dès lors que la victime ne pouvait prétendre qu'à la réparation de la moitié de son dommage, l'indemnité allouée au titre de la perte de gains professionnels actuels devait être attribuée à la caisse ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 376 1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi n° 2006 1640 du 21 décembre 2006 ;
2°/ qu'il est de principe que la victime ne peut obtenir une indemnité supérieure aux dommages réparables ;qu'en cas de partage de responsabilité, elle ne peut dès lors obtenir une indemnité excédant la fraction du dommage qu'elle a personnellement éprouvé et qui peut donner lieu à réparation ; qu'en pareil cas, la fraction de l'indemnité allouée excédant le préjudice susceptible d'être réparé à l'égard de la victime doit revenir à la caisse ; qu'en l'espèce, et dès lors que la victime ne pouvait prétendre qu'à la réparation de la moitié de son dommage, l'indemnité allouée au titre de la perte de gains professionnels futurs devait être attribuée à la caisse ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 376 1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi n° 2006 1640 du 21 décembre 2006 ;
Mais attendu que selon l'article L. 376 1 du code de la sécurité sociale et l'article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dans leur rédaction issue de l'article 25 de la loi n° 2006 1640 du 21 décembre 2006, les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel et que, conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n‘a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; qu'en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée ; qu'il en résulte que dans le cas d'une limitation du droit à indemnisation de la victime, le droit de préférence de celle ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l'indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat ;
Et attendu que l'arrêt retient que le tribunal a décidé à bon escient que si la cause du préjudice subi par M. X... était l'accident cardiaque lui même, la rapidité insuffisante des soins consécutive au défaut de surveillance avait occasionné une perte de chance d'éviter le préjudice ; que cette perte de chance dont les implications sur l'état de santé de M. X... ne peuvent être déterminées avec précision ont été justement évaluées à la moitié du préjudice résultant de la complication postopératoire survenue ; que M. Y... et la société Clinique d'Occitanie, dont les fautes conjuguées ont concouru de façon indissociable à la production du dommage, sont responsables de cette perte de chance et tenus in solidum d'indemniser le préjudice à concurrence de moitié ; sur la perte de gains professionnels actuels, que selon la déclaration de revenus 1995 versée aux débats, M. X... a perçu des salaires d'un montant de 10.786,53 euros pour 6 mois d'activité, soit un montant prévisible total de 21 573,06 euros pour l'année ; que la perte de salaires pendant les trois années d'incapacité s'établit donc à 64 719,18 euros ; que la caisse a versé des indemnités journalières d'un montant de 31 741,57 euros ; que, compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu, les responsables et leurs assureurs doivent 32 359,60 euros ; que la perte de gains effective de M. X... est de 64 719,18 euros - 31 741,57 euros = 32 977,61 euros ; que M. X... a un droit de préférence sur l'intégralité de la somme due par les responsables et leurs assureurs, soit 32 359,60 euros, et la caisse ne recevra donc aucun remboursement à ce titre ; sur la perte de gains professionnels futurs, qu'avant l'intervention, M. X... travaillait comme ajusteur dans l'industrie aérospatiale par le biais d'une agence d'interim ; que les séquelles de l'accident l'empêchent d'exercer cet emploi qualifié ; que depuis le 1er juillet 1998, il perçoit de la caisse une pension d'invalidité de 1re catégorie de 419,23 euros par mois ; que, classé par la Cotorep comme travailleur handicapé de catégorie B, avec possibilité d'intégration d'un atelier protégé, il a pu trouver à compter du 1er juin 1999, après un an d'inscription à l'Assédic un emploi d'agent d'entretien polyvalent au Sivom de Rieux Volvestre à temps partiel avec des aménagements ; qu'il bénéficie d'un salaire de l'ordre de 660 euros par mois ; que la perte moyenne de revenus doit donc être évaluée, compte tenu du salaire mensuel de 1797,76 euros retenu, à 718,53 euros par mois ; que la capitalisation de cette somme doit être faite selon le barème à 3,20 % de 2004 ; que compte tenu de l'âge de M. X... lors de la consolidation, l'indemnité sera fixée à la somme de 718,53 x 12 x 21,527= 185 613,54 euros ; que la pension d'invalidité versée par la caisse qui a vocation à compenser une perte de revenus doit être prise en compte au titre des préjudices à caractère patrimonial ; que les arrérages échus au 31 mars 2005 et le capital à échoir de la pension d'invalidité versée par la caisse s'élèvent à la somme totale de 94 864,95 euros ; que le préjudice global s'établit à 185 613,54 + 94 864,95 = 280 478,50 euros ; que M. Y..., la société Clinique d'Occitanie et leurs assureurs doivent la moitié de cette somme, soit 140.239,25 euros ; que M. X... a droit à l'intégralité de cette somme par préférence à la caisse, qui ne peut donc prétendre à aucun remboursement à ce titre ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, d'où il résultait que la perte de la fraction des gains professionnels actuels subie par la victime et non compensée par les prestations d'indemnités journalières servies par la caisse, et la perte de la fraction des gains professionnels futurs non compensée par la pension d'invalidité en arrérages et capital servie par la caisse étaient supérieures à la dette d'indemnisation incombant sur chacun de ces postes, après application du partage de responsabilité, aux tiers responsables et à leurs assureurs, la cour d'appel, faisant une exacte application de l'article L. 376 1 modifié du code de la sécurité sociale, en a déduit à bon droit que les indemnités réparant ces postes de préjudice devaient être attribuées par préférence à la victime et que la caisse subrogée ne pouvait prétendre à aucun remboursement de sa créance sur l'un et l'autre de ces postes ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de La Haute Garonne aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute Garonne, la condamne à payer à la société Axa France IARD, aux consorts X... et à la société AGF IART la somme de 2 500 euros, chacun ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt quatre septembre deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Foussard, avocat aux Conseils pour la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute Garonne
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a décidé que la CPAM de la HAUTE-GARONNE n'avait aucun droit en ce qui concerne les pertes de gains professionnels actuels, l'intégralité de la réparation étant allouée à la victime, et limité en conséquence la condamnation des défendeurs à l'égard de la CPAM de la HAUTE-GARONNE à la somme de 15.231,56 ;
AUX MOTIFS QUE «selon la déclaration de revenus 1995 versée aux débats, M. X... a perçu des salaires d'un montant de 10.786,53 euros pour mois d'activité, soit un montant total prévisible de 21.573,06 euros pour l'année ; que sa perte de salaires pendant les trois années d'incapacité s'établit donc à 54.719,18 euros ; que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE a versé des indemnités journalières d'un montant de 31.741,57 euros ; que compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu, les responsables et leurs assureurs doivent 50 % de cette somme, soit 32.359,60 euros ; que la perte de gains effective de M. X... est de 64.719,18 – 31.741,57 = 32.977,61 euros ; que M. X... a un droit de préférence sur l'intégralité de la somme due par les responsables et leurs assureurs, soit 32.359,60 euros, et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE ne recevra donc aucun remboursement à ce titre (…) » (arrêt, p. 12,
ALORS QU'il est de principe que la victime ne peut obtenir une indemnité supérieure aux dommages réparables ; qu'en cas de partage de responsabilité, elle ne peut dès lors obtenir une indemnité excédant la fraction du dommage qu'elle a personnellement éprouvé et qui peut donner lieu à réparation ; qu'en pareil cas, la fraction de l'indemnité allouée excédant le préjudice susceptible d'être réparé à l'égard de la victime doit revenir à la caisse ; qu'en l'espèce, et dès lors que la victime ne pouvait prétendre qu'à la réparation de la moitié de son dommage, l'indemnité allouée au titre de la perte de gains professionnels actuels devait être attribuée à la Caisse ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article L.376-1 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté la demande de la Caisse générale de la HAUTE-GARONNE s'agissant des gains professionnels futurs et limité en conséquence la condamnation des défendeurs au profit de la Caisse à la somme de 15.239,56 ;
AUX MOTIFS QU'«avant l'intervention, M. X... travaillait comme ajusteur dans l'industrie aérospatiale par le biais d'une agence d'intérim ; que les séquelles de l'accident, notamment les difficultés à exercer des travaux de précision, l'empêchent d'exercer cet emploi qualifié ; que depuis le 1er juillet 1998, il perçoit de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE une pension d'invalidité de 1ère catégorie de 419,23 euros par mois ; que, classé par la COTOREP comme travail handicapé de catégorie B, avec possibilité d'intégration d'un atelier protégé, il a pu trouver à compter du 1er juin 1999, après un an d'inscription à l'ASSEDIC, un emploi d'agent d'entretien polyvalent au SIVOM de RIEUX-VOLVESTRE à temps partiel avec des aménagements ; qu'il bénéficie d'un salaire de l'ordre de 660 euros par mois ; que la perte moyenne de revenu doit donc être évaluée, comte tenu du salaire mensuel de 1.797,76 euros retenu, à 718,53 euros par mois ; que la capitalisation de cette somme doit être faite selon le barème à 3,20 % de 2004 ; que compte tenu de l'âge de M. X... lors de la consolidation, l'indemnité sera fixée à la somme de 718,53 x 12 x 21,527 = 185.613,54 euros ; que la pension d'invalidité versée par l'organisme social, qui a vocation à compenser une perte de revenus, doit être prise en compte au titre des préjudices à caractère patrimonial ; que les arrérages échus au 31 mars 2005 et le capital à échoir de la pension d'invalidité versée par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE s'élèvent à la somme totale de 94.864,95 euros ; que le préjudice global s'établit à 185.613,54 + 94.864,95 = 280.478,50 euros ; que le Docteur Y..., la CLINIQUE D'OCCITANIE et leurs assureurs doivent la moitié de cette somme, soit 140.239,25 euros ; que M. X... a droit à l'ntégralité de cette somme par préférence à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE quine peut donc prétendre à aucun remboursement à ce titre (…) » (arrêt, p. 12 et 13) ;
ALORS QU'il est de principe que la victime ne peut obtenir une indemnité supérieure aux dommages réparables ; qu'en cas de partage de responsabilité, elle ne peut dès lors obtenir une indemnité excédant la fraction du dommage qu'elle a personnellement éprouvé et qui peut donner lieu à réparation ; qu'en pareil cas, la fraction de l'indemnité allouée excédant le préjudice susceptible d'être réparé à l'égard de la victime doit revenir à la caisse ; qu'en l'espèce, et dès lors que la victime ne pouvait prétendre qu'à la réparation de la moitié de son dommage, l'indemnité allouée au titre de la perte de gains professionnels futurs devait être attribuée à la Caisse ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article L.376-1 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006.