LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Pascaline, épouse Y..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légal de son enfant mineur Mickaël Y..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS DE LA RÉUNION, chambre correctionnelle, en date du 4 septembre 2008, qui, dans la procédure suivie contre Jean-Marc Z... du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'au cours de la nuit du 15 au 16 avril 2005, Jean-Marc Z..., maréchal des logis chef de permanence à la brigade territoriale de Saint-Benoît, qui avait ingéré de l'alcool et des anxyolitiques avant sa prise de service, a poursuivi sur plusieurs kilomètres un véhicule signalé volé ; que, lorsque le véhicule en fuite s'est trouvé bloqué, Jean-Marc Z... s'est rendu au niveau de sa portière avant droite et, passant à l'intérieur sa main armée de son pistolet de service, a ordonné au passager de rester en place ; qu'un coup de feu est parti provoquant la mort de Jean-Brice Y... ; qu'à l'issue de l'information judiciaire, l'intéressé a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Saint-Denis de la Réunion pour homicide involontaire ; qu'il a été condamné ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-1 et 111-2, 222-7, 222-8, 7° et 10°, du code pénal, 459, 469, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation de la loi, défaut de motifs, excès de pouvoir ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré Pascaline X..., veuve Y..., en partie mal fondée en son appel, déclaré irrecevable en cause d'appel l'exception d'incompétence soulevée par les parties civiles, rejeté le moyen visant à ce que l'incident constitué par cette exception de compétence ne soit pas joint au fond et confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la partie civile sur le fondement de l'article 469 du code de procédure pénale, joint cet incident au fond en application de l'article 459 du même code et a confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré Jean-Marc Z... coupable des faits d'homicide involontaire ;
"aux motifs que les parties ont soulevé in limine litis l'incompétence de la présente juridiction au motif que les faits reprochés au prévenu sont intentionnels et constituent en réalité le crime de violences volontaires ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner par une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de sa mission avec l'usage d'une arme prévu et réprimé par les articles 222-7, 222-8, 7° et 10°, puis 132-23 du code pénal, demandent à la cour de statuer par décision immédiate et non après jonction au fond de cet incident ; mais que, hors le cas d'impossibilité absolue ou lorsqu'une décision immédiate sur l'incident ou sur l'exception est commandée par une disposition d'ordre public, la juridiction saisie de conclusions régulièrement déposées doit, conformément à l'article 459 du code de procédure pénale, joindre au fond tout incident ou exception dont elle est saisie et y statuer par une seule et même décision en se prononçant en premier lieu sur l'exception et ensuite sur le fond ; que n'étant dans aucune des hypothèses envisagées par le dernier alinéa de l'article 459 précité et telle que retenue par la juridiction comme l'immunité diplomatique parlementaire ou ministérielle, le tribunal, dont la cour adopte les motifs, a justement joint au fond l'exception soulevée ; que, de même, la cour joint, pour les mêmes motifs adoptés, la présente exception soulevée à nouveau devant elle avant tout débat au fond ; qu'il convient de confirmer la décision entreprise de ce chef ;
"alors que les règles de qualification des infractions et de compétence des juridictions pénales sont d'ordre public ; que, si les faits contenus dans l'ordonnance de renvoi sont susceptibles d'une qualification criminelle, le juge correctionnel doit se déclarer incompétent ; qu'en l'espèce, l'incident ayant trait à l'incompétence de la juridiction correctionnelle pour connaitre de faits criminels caractérisant l'infraction de violences ayant entrainé la mort sans intention de la donner, la cour d'appel ne pouvait, sans violer les textes précités, juger qu'elle n'était pas saisie d'une question d'application d'une règle d'ordre public ;
Attendu que, pour joindre l'incident au fond, en écartant les conclusions déposées par l'avocat des parties civiles en cause d'appel, avant toute défense au fond, demandant à la cour de statuer par arrêt séparé sur sa compétence, l'arrêt énonce que ne sont pas réunies les conditions posées par le dernier alinéa de l'article 459 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application dudit article ;
Qu'en effet, n'impose pas une décision immédiate commandée par une disposition qui touche à l'ordre public, au sens du dernier alinéa de ce texte, une exception prise de l'incompétence de la juridiction correctionnelle au profit de la cour d'assises ;
Que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 222-7, 222-8, 7° et 10°, 222-9, 222-10 du code pénal, 469, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation de la loi, défaut de motifs, défaut de base légale ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré Pascaline X..., veuve Y..., en partie mal fondée en son appel, déclaré irrecevable en cause d'appel l'exception d'incompétence soulevée par les parties civiles, rejeté le moyen visant à ce que l'incident constitué par cette exception de compétence ne soit pas joint au fond et confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la partie civile sur le fondement de l'article 469 du code de procédure pénale, joint cet incident au fond en application de l'article 459 du même code, et a confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré Jean-Marc Z... coupable des faits d'homicide involontaire ;
"aux motifs que le tribunal conserve la possibilité de renvoyer le ministère public à se pourvoir ainsi qu'il avisera pour un délit intentionnel quand il résulte des débats que les faits sont de nature à entraîner une peine criminelle parce qu'ils ont été commis de façon intentionnelle, cette circonstance n'était pas réunie en l'espèce, ce qui justifie de relever l'irrecevabilité de ladite exception d'incompétence ; qu'en cause d'appel, si la cour dispose aussi de la même faculté en cas de poursuites pour un délit non intentionnel lorsqu'il résulte du dossier et des débats que les faits présentent un caractère intentionnel de retenir une qualification criminelle, il sera constaté à l'instar de ce qui a déjà été retenu par le tribunal que l'audience devant elle n'a pas révélé des éléments nouveaux propres à fonder la qualification criminelle alors que chacun des acteurs de ce procès, parties civiles, prévenu et ministère public ont fondé leur point de vue sur les faits et leur qualification sur les mêmes moyens et arguments que lors de l'information et de l'audience de première instance ; qu'il convient de confirmer la décision entreprise de ce chef sur la base des motifs des premiers juges et de ceux ci-après relatifs à la culpabilité ; que les premiers juges ont, par des motifs exacts que la cour adopte, après avoir exposé les éléments de fait du délit visé à la prévention, déduit des circonstances de la cause les conséquences juridiques qui s'imposaient en retenant la culpabilité du prévenu pour le délit d'homicide involontaire ; qu'en tout état de cause, alors qu'il est acquis aux débats et admis par les parties que l'arme du prévenu ne dispose d'aucun cran de sûreté, il est aussi observé qu'en sortant son arme, le prévenu s'est conformé aux dispositions réglementaires applicables aux militaires de gendarme qui imposent qu'une cartouche soit dans la chambre de l'arme de service ; que, dans ce contexte, il apparaît, en l'absence d'anomalie de l'arme elle-même, et selon les propres déclarations du prévenu, que, pour sortir l'arme de son étui, il l'a prise de la main droite par la crosse et son index sur le pontet, sans avoir alors le doigt sur la queue de détente ; qu'après avoir écarté la simple affirmation du prévenu selon laquelle la victime aurait elle-même actionné la queue de détente en tentant de s'emparer de l'arme, ce qui n'est corroboré par aucun témoignage ni élément matériel, il sera rappelé que le coup de feu nécessitant au préalable une pression sur la queue de détente et que le prévenu a admis l'éventualité de l'enquête que son doigt soit venu se placer sur la queue de détente ; que l'usage de l'arme au moment du tir, seul geste qui soit de nature à révéler le caractère intentionnel ou non de l'acte de pression sur la détente de l'arme, est involontaire de la part du prévenu alors que :- sortant son arme de service, lors de sa descente du véhicule de service, d'une part, il n'a pas pris pleinement conscience, dans l'action, qu'une balle est engagée dans le canon, d'autre part, qu'il n'a pas mesuré le risque en cas de contact direct avec le passager de la Citroën AX de se faire prendre son arme, - il est persuadé alors que le mode d'intervention qu'il a adopté pour cet interpellation est conforme : « Pour moi, j'ai pensé que cela allait se régler comme d'habitude, c'est-à-dire que lorsque l'individu voit l'arme, il se rend tout de suite. C'est peut-être la façon que l'on a habituellement d'interpeller les gens qui m'a fait réagir aux conséquences que pourrait avoir un contact direct avec l'individu- si le prévenu a commis une imprudence insigne en s'approchant du véhicule et en allant au contact avec le passager avant droit qui, selon les témoins n'était pas menaçant et ne tentait pas de s'enfuir, puis en plongeant son bras droit armé en ayant le doigt sur le pontet, avec le risque qui en résulte, et ce à l'intérieur de la voiture, il n'est pas démontré que la pression faite alors sur la queue de détente résulte d'un geste volontaire et délibéré du prévenu ; qu'ainsi, l'élément intentionnel fait défaut et le tribunal a pu exactement considérer que les faits devaient être qualifiés d'homicide involontaire, étant observé comme en première instance qu'il n'est pas démontré ni avéré que la victime défunte ait participé de quelque manière que ce soit, même y compris partiellement, dans la réalisation du dommage ;
"et aux motifs adoptés que l'alcoolémie au moment des faits peut donc, à raison d'une élimination de l'alcool, à hauteur de 0,10 mg par heure en moyenne, être évaluée à environ 0,50 mg, soit 1 gramme d'alcool par litre de sang ; que l'ingestion d'alcool aurait eu lieu au plus tard à 21 heures 30 avant de partir en patrouille de nuit jusqu'à 23 heures, service que le prévenu était encore moins en mesure d'assurer ; que le prévenu savait qu'il était d'astreinte après la patrouille de nuit et qu'il pouvait de ce fait être sollicité pour intervenir sur une urgence ; qu'il a néanmoins pris vers 23 heures, et pour la troisième fois de la journée, un cachet d'Alprazolam Biogaran, médicament anxyolitique prescrit à son épouse et qu'il avait commencé à prendre sans prescription médicale depuis un mois ; que c'est dans ces conditions qu'il a été amené à exercer son service vers minuit et participer à une course poursuite mouvementée d'un véhicule volé alors qu'il n'était pas dans son état normal du fait de la consommation à haute dose d'alcool et d'anxyolitiques dont le mélange ne peut de surcroît qu'altérer les réflexes, la perception, la maîtrise de soi et le jugement ; que ce comportement, s'il revêt à l'évidence une qualification disciplinaire, a participé directement au décès de la victime ; que le prévenu ne peut même pas, en raison de son état au moment des faits, préciser s'il s'est dirigé vers le véhicule fugitif stoppé avec son arme de service en simple action (chien levé) ou en double action (chien baissé), ce qui ne présente pas les mêmes conséquences en termes de facilité de tir par pression sur la détente ; que Jean-Marc Z... ne peut davantage préciser exactement pourquoi, après avoir intimé l'ordre à Jean-Brice Y..., passager avant droit du véhicule, de lever les mains, il s'est dirigé vers l'habitacle avec l'arme toujours à la main alors que le passager n'était ni armé ni menaçant ; que, si la force armée a été déployée conformément aux dispositions de l'article L. 2338-3 du code de la défense nationale, elle doit également l'être dans les conditions de sécurité fixées par la gendarmerie et telles qu'elles sont enseignées aux gendarmes et notamment au prévenu ; qu'ainsi, il est patent que le prévenu a commis une imprudence en allant l'arme au poing et règlementairement chargée, en contact d'une personne qu'il devait interpeller, qui n'était par ailleurs pas menaçante et ne tentait pas de s'enfuir, imprudence fautive que le prévenu reconnaît lui-même et qui n'a pas été commise par les autres gendarmes intervenants ; qu'en l'espèce, le comportement du prévenu s'explique manifestement par la prise d'alcool et d'anxyolitiques ainsi que par le stress causé par la poursuite d'une durée de trois quarts d'heure, comme il l'a reconnu à l'audience ; que, néanmoins, il n'est pas établi que le prévenu a voulu délibérément faire usage de son arme sur la victime ; que l'élément intentionnel faisant défaut, c'est à bon droit que les faits ont été qualifiés d'homicide involontaire ;
1°) alors que les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner sont d'ordre criminel, quel que soit le mobile qui ait provoqué l'acte et alors même que son auteur n'aurait pas voulu la mort qui en est résultée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a constaté que le gendarme Z... s'était approché du véhicule en allant au contact avec le passager avant droit, qui n'était ni menaçant ni fuyant, a plongé son bras droit armé en ayant le doigt sur le pontet de son pistolet, qui ne possédait pas de cran de sûreté et avait une balle engagée dans le canon et qui a pressé sur la détente, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en qualifiant d'homicide involontaire les faits reprochés à Jean-Marc Z... ;
"2°) alors que, lorsqu'un gendarme fait usage de son arme de service sans nécessité absolue en l'état des circonstances de l'espèce et que cet usage a entraîné la mort de la victime, il se rend coupable de l'infraction criminelle de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner ; qu'en jugeant le contraire en l'espèce, tout en constatant que l'usage de son arme de service par Jean-Marc Z... n'était pas absolument nécessaire, la cour d'appel a derechef violé les textes précités ;
"3°) alors que l'auteur d'un homicide est responsable des conséquences qu'il avait prévues ou voulues, mais aussi de toutes celles qui ont pu se produire ; qu'en l'espèce, Pascaline X..., veuve Y..., ayant fait valoir que le gendarme Z... avait volontairement absorbé de l'alcool, ingéré des anxyolitiques non prescrits par un médecin, avant sa prise de service, intentionnellement usé de son arme, ôté le cran de sûreté et armé son pistolet, volontairement décidé d'aller au contact du passager avant droit, qui était calme et non menaçant, puis volontairement choisi d'entrer dans l'habitacle avec son pistolet chargé et pointé à quelques centimètres du thorax de la victime, lui a intentionnellement crié de lever les mains en l'air, a décidé de caler ses bras et, après avoir placé son doigt sur la queue de détente de l'arme, a pressé celle-ci, la cour d'appel devait rechercher si la succession de ces faits volontaires ayant entraîné la mort de Mickaël Y... ne caractérisait pas nécessairement le crime de violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner" ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'homicide involontaire, l'arrêt, qui prononce par les motifs propres et adoptés repris au moyen, retient qu'il n'a été démontré, ni au cours de l'information judiciaire ni pendant les débats devant les juridictions de jugement, que la pression sur la queue de détente de l'arme au moment du tir résultait d'un geste volontaire et délibéré du prévenu ; que les juges en déduisent que l'élément intentionnel du crime de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner fait défaut ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit des parties civiles, de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Farge conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Chaumont conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;