LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu qu'aux termes d'un contrat, dit Bravo, du 31 août 1991, la société China Shipbuilding Corporation - aux droits de laquelle après diverses cessions se trouve la Marine de la République de Chine (ROCN) - s'est engagée à acquérir six navires de type frégate auprès de la société Thomson CSF - aux droits de laquelle se trouvent les sociétés Thalès et Thalès Naval SA (Thales) ; que le contrat comportait une clause compromissoire ; que, se plaignant que Thalès ait versé des commissions en dépit de l'interdiction figurant à l'article 18 du contrat, ROCN a mis en oeuvre la procédure d'arbitrage, demandant des dommages-intérêts ; que Thalès a invoqué l'inarbitrabilité du litige couvert par le secret défense ;
Attendu que, pour rejeter le recours en annulation, l'arrêt décide que c'est à bon droit que le tribunal arbitral a estimé que les demandes dans leur objet étaient arbitrables et susceptibles d'être tranchées au terme d'un procès équitable ;
Qu'en se prononçant ainsi, par une clause de style, dépourvue de toute motivation précise et de toute référence explicite aux motifs des arbitres dont elle estimait le raisonnement pertinent, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et, partant, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 juin 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Laisse les dépens au Trésor public ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette toutes les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze février deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour les sociétés Thalès et Thalès Naval.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté le recours en annulation déposé par les Sociétés THALES et THALES NAVAL ;
AUX MOTIFS QUE «THALES fait valoir que le litige n'est pas arbitrable en raison du classement secret défense de son objet ou des éléments de preuve qui, sauf à violer l'ordre public international, s'impose à elle, n'est pas compatible avec le principe de la contradiction, la prive ainsi du droit au procès équitable et rend sans effet la convention d'arbitrage ; que c'est à bon droit que le Tribunal arbitral a estimé que les demandes dans leur objet étaient arbitrables e` susceptibles d'être tranchées au terme d'un procès équitable ; qu'il ne s'est pas prononcé au-delà ; qu'en conséquence ces moyens d'annulation sont rejetés et partant le recours» ;
ALORS, D'UNE PART, QUE toute décision doit être motivée ; qu'en l'espèce, en répondant aux moyens des Sociétés THALES sur l'inarbitrabilité du litige et sur le non respect des exigences du procès équitable par la simple affirmation péremptoire que «les demandes étaient arbitrables et susceptibles d'être tranchées au terme d'un procès équitable», la Cour a violé l'article 455 du Nouveau Code de procédure civile et l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE l'instance sur le recours en annulation d'une sentence n'a pas le même objet que l'instance arbitrale de telle sorte que, sauf à méconnaître ses pouvoirs, la Cour saisie d'un tel recours ne peut se déterminer par simple voie de référence aux motifs de cette sentence ; qu'en l'espèce, en se bornant à retenir «que c'est à bon droit que le Tribunal arbitral a estimé que les demandes dans leur objet étaient arbitrales et susceptibles d'être tranchées au terme d'un procès équitable» pour rejeter le recours en annulation, la Cour a violé, outre l'article 455 du Nouveau Code de procédure civile, l'article 1502 du même code.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est reproché à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté le recours en annulation déposé par les sociétés THALES et THALES NAVAL ;
AUX MOTIFS QUE «THALES fait valoir que le litige n'est pas arbitrable en raison du classement secret défense de son objet ou des éléments de preuve qui, sauf à violer l'ordre public international, s'impose à elle, n'est pas compatible avec le principe de la contradiction, la prive ainsi du droit au procès équitable et rend sans effet la convention d'arbitrage ; que c'est à bon droit que le Tribunal arbitral a estimé que les demandes dans leur objet étaient arbitrables et susceptibles d'être tranchées au terme d'un procès équitable ; qu'il ne s'est pas prononcé au-delà ; qu'en conséquence ces moyens d'annulation sont rejetés et partant le recours» ;
ALORS QUE la Commission Consultative du Secret de la Défense Nationale avait justifié son refus d'une déclassification des informations concernant l'exécution du contrat en cause et l'éventuel versement de commissions par le fait que cette déclassification serait « de nature à nuire de la façon la plus grave aux intérêts fondamentaux de la nation ainsi qu''au respect des engagements extérieurs du pays» ; que le Ministère Public soulignait que les seules commissions alléguées qui avaient été mises à jour étaient censées avoir «rémunéré des diligences accomplies auprès des autorités de la République Populaire de Chine pour les amener à lever les objections politiques formulées par celles-ci auprès du gouvernement français quant à la vente d'armements à TAIWAN» ; qu'il en déduisait, de même que les sociétés. THALES, que le litige était inarbitrable en raison de sa matière même touchant aux relations diplomatiques interétatiques ; que la Cour d'appel qui, par référence aux motifs de la sentence, se borne à examiner le moyen tiré de l'inarbitrabilité uniquement en considération des difficultés de preuve résultant du classement «secret défense» des informations afférentes à l'exécution du contrat, et qui s'abstient de répondre au moyen tiré de l'impossibilité faite aux arbitres de se prononcer sur l'éventualité de commissions dont le versement pouvait trouver sa cause dans le domaine de la diplomatie entre Etats en sorte que leur révélation était susceptible de nuire aux intérêts de la nation et au respect des engagements de la France, prive sa décision de base légale au regard des articles 1502-1° du Code de Procédure Civile et 2060 du Code Civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté le recours en annulation déposé par les Sociétés THALES et THALES NAVAL ;
AUX MOTIFS QUE «THALES fait valoir que le litige n'est pas arbitrable en raison du classement secret défense de son objet ou des éléments de preuve qui, sauf à violer l'ordre public international, s'impose à elle, n'est pas compatible avec le principe de la contradiction, la prive ainsi du droit au procès équitable et rend sans effet la convention d'arbitrage ; que c'est à bon droit que le Tribunal arbitral a estimé que les demandes dans leur objet étaient arbitrables et susceptibles d'être tranchées au terme d'un procès équitable ; qu'il ne s'est pas prononcé au-delà ; qu'en conséquence ces moyens d'annulation sont rejetés et partant le recours» ;
1°) ALORS, D'UNE PART, QUE l'indisponibilité de la matière litigieuse prive d'efficacité la convention d'arbitrage ; que tel est le cas lorsque les demandes soumises aux arbitres portent sur des questions qui relèvent du secret de la défense nationale ; qu'en l'espèce, le ROCN sollicitait le bénéfice des stipulations de l'article 18 du contrat conclu avec la Société THOMSON l'autorisant à demander à cette dernière la restitution partielle du montant du prix ayant été reversé à des tiers sous forme de commissions occultes ; qu'à propos du versement de ces commissions une procédure pénale a été diligentée et qu'il est apparu que toutes les informations concernant les conditions de commercialisation des frégates et l'éventuel versement de commissions occultes à cette occasion avaient été classées secret défense ; qu'aux différentes demandes de mainlevée du juge d'instruction, le Ministre compétent a systématiquement fait connaître son refus après avis de la Commission compétente, laquelle a estimé que la déclassification demandée serait de nature à nuire gravement aux intérêts fondamentaux de la Nation ainsi qu'au respect des engagements extérieurs du pays ; qu'en conséquence, il y avait identité d'objet entre les demandes de ROCN et les demandes des juges d'instruction de telle sorte que, sauf à méconnaître l'article 413-9 du Code Pénal et l'article 1502.1° du Nouveau Code de Procédure Civile, la Cour ne pouvait reconnaître le caractère arbitrable du litige ;
2°) ALORS, D'AUTRE PART, QUE le «secret défense» s'impose aux arbitres eux-mêmes et expose ces derniers aux sanctions pénales prévues en cas de violation du secret ; qu'en l'espèce, à supposer que les parties aient été admises à faire la preuve du versement de commissions, des circonstances de ces versements ou de l'identité de leurs bénéficiaires, la sentence elle-même, en dévoilant nécessairement, et par voie de conséquence, tout ou partie de faits notoirement couverts par le secret de la défense nationale aurait été l'instrument d'une violation du secret défense, en sorte qu'en décidant que la procédure d'arbitrage devait se poursuivre sans que le secret défense puisse y faire obstacle, la Cour d'appel a violé les articles 413-9 et suivants du Code Pénal ;
3°) ALORS DE TROISIEME PART, QUE le secret défense s'attache à l'information protégée quel que soit le support susceptible de la véhiculer ; qu'il n'était donc pas possible d'admettre l'arbitrabilité du litige en retenant que la preuve des éléments de la matière litigieuse pourrait être rapportée aux moyens de documents non spécialement marqués «secret défense» ; qu'en décidant le contraire, la Cour a derechef violé les articles 413-9 du Code Pénal et 1502.1° du Nouveau Code de Procédure Civile ;
4°) ALORS DE QUATRIEME PART, QU'est contraire à l'ordre public international la sentence qui méconnaît le principe de l'égalité des armes ; qu'à supposer que le ROCN ait pu être en mesure d'établir le versement de commissions occultes, la Société THALES n'était quant à elle pas en mesure de se défendre à cet égard en produisant des documents couverts par ce secret défense ; qu'en admettant malgré tout la validité de la sentencearbitrale, la Cour a violé l'article 6.1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et l'article 1502.5° du Nouveau Code de Procédure Civile ;
5°) ALORS, EN OUTRE ET DE CINQUIEME PART, QU'en l'état de demandes de levée du secret défense, toutes refusées par l'autorité compétente, qui étaient relatives «à des commissions versées à l'étranger et liées au contrat (BRAVO), en particulier à des intermédiaires étrangers qui à ce jour ont disparu», toutes informations de quelque nature, susceptible d'établir la preuve du versement de commissions, des circonstances de ce versement, ou révéler leur bénéficiaire, étaient réputées couvertes par le secret défense ; en sorte que l'arrêt attaqué qui, par motifs adoptés de la sentence, retient que les sociétés THALES ne prouvaient pas qu'étaient classés secret défense l'ensemble des informations et documents nécessaires à l'organisation de leur défense, viole l'article 413-9 du Code Pénal ;
6°) ALORS, DE SIXIEME PART, QU'en tout état de cause la preuve de l'existence d'une information couverte par le secret de la défense ne peut être établie que par une décision de refus de l'autorité de tutelle de lever le secret sur les documents contenant ladite information ; que la preuve, par d'autres moyens, de la classification secret défense emporterait nécessairement une violation dudit secret ; de sorte qu'en exigeant des Sociétés THALES qu'elles rapportent la preuve autrement que par la production des décisions de refus de mainlevée de ce que les informations dont elles entendaient se prévaloir étaient frappées du secret de la défense nationale, la Cour a violé, outre l'article L.413-9 du Code Pénal, l'article 9 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
7°) ALORS, ENFIN, QU'on ne saurait invoquer la prohibition du déni de justice pour interdire aux Sociétés THALES d'invoquer les règles du secret de la défense nationale ; qu'en effet, dans l'hypothèse où, du fait de l'application de ces règles, le ROCN aurait estimé être victime d'un déni de justice, elle disposait d'un recours contre l'Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice qu'en interdisant aux Société THALES d'invoquer les règles du secret défense, la Cour a violé l'article L.141-1 du Code de l'Organisation Judiciaire,