LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que Mme Jeanine X... et Mme Suzanne X... font grief à l'arrêt attaqué (Amiens, 7 juin 2007), de fixer à une certaine somme le montant de l'indemnité leur revenant à la suite de l'expropriation au profit de la Société d'économie mixte d'aménagement et de construction de la ville des Lilas (SEMALILAS) d'une parcelle bâtie leur appartenant, comprise dans une zone d'aménagement concerté soumise au droit de préemption urbain, alors selon le moyen, que la date de référence prévue à l'article L. 13-15 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien ; qu'il en résulte que, lorque la commune ne comporte qu'un plan d'occupation unique, comme en l'espèce, et non des plans d'occupation des sols sectoriels, la date de modification du plan d'occupation des sols unique constitue nécessairement la date de référence au sens de la disposition susvisée ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 13-15 du code de l'expropriation et L. 213-4a du code de l'urbanisme ;
Mais attendu qu'ayant retenu que les changements apportés au plan d'occupation des sols le 29 juin 1998 ne touchaient pas la zone dans laquelle étaient situés les immeubles ayant appartenu aux consorts X... et que ces derniers, qui demeuraient en zone UA, restaient affectés d'un coefficient d'occupation des sols de 1,6 ainsi qu'il résultait du plan d'occupation des sols dont la dernière modification de cette zone, opposable aux tiers, était intervenue le 27 novembre 1991, la cour d'appel a exactement fixé à cette date la date de référence ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les autres moyens du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi incident, qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
DECLARE non admis le pourvoi incident ;
REJETTE le pourvoi principal ;
Condamne, ensemble, Mme Jeanine X... et Mme Suzanne X... aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme Jeanine X... et de Mme Suzanne X... ; les condamne, ensemble, à payer à la société Semalilas, à M. Y..., ès qualités, et à la commune des Lilas, ensemble, la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit janvier deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour Mmes Jeanine et Suzanne X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir fixé l'indemnité principale due par la commune des Lilas aux consorts X... à la somme de 3 235 360 et l'indemnité de remploi à la somme de 33 053,60 ,
AUX MOTIFS QU'il n'est pas contesté que la commune des Lilas, dotée d'un plan d'occupation des sols dont la dernière modification est devenue· opposable aux tiers le 27 novembre 1991 et ayant institué un droit de préemption urbain sur son territoire, a, en 1991, créé une zone d'aménagement concerté dont elle a confié la réalisation à la société Semalilas ; QUE l'acte portant approbation d'un plan d'aménagement de zone a été publié le 6 octobre 1992 ; QUE, par ordonnance du 20 juillet 1998, le juge de l'expropriation a transféré à la société Semalilas la propriété de divers biens situés à l'intérieur de la zone d'aménagement concerté appartenant à plusieurs propriétaires et, notamment aux consorts X... ; QUE, selon l'article L. 13-15 du code de l'expropriation, pour l'estimation des biens, il est tenu compte de leur nature à la date de référence fixée par ce texte ; QU'en vertu de l'article L. 213-4, a) du code de l'urbanisme, lorsque des biens sont soumis au droit de préemption urbain, "la date de référence prévue à l'article 1. 13-15 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien" ; QUE les pièces relatives à la modification du plan d'occupation des sols en date du 29 juin 1998 font apparaître que les changements apportés ne touchent aucunement la zone dans laquelle sont situés les immeubles ayant appartenu aux consorts X... et que ces biens, qui demeurent en zone UA, restent affectés d'un coefficient d'occupation des sols de 1,6 ainsi qu'il résulte du plan d'occupation des sols dont la dernière modification opposable aux tiers est intervenue le 27 novembre 1991 ; QU'il convient donc de fixer au 27 novembre 1991 la date de référence visée par l'article L. 13-15 du code de l'expropriation ;
ALORS QUE la date de référence prévue à l'article L. 13-15 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien ; qu'il en résulte que, lorsque la commune ne comporte qu'un plan d'occupation unique, comme en l'espèce, et non des plans d'occupation des sols « sectoriels » la date de modification du plan d'occupation des sols unique constitue nécessairement la date de référence au sens de la disposition susvisée ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 13-15 du code de l'expropriation et L. 213-4 a) du code de l'urbanisme.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir fixé l'indemnité principale due aux consorts X... par la commune à la somme de 3 235 360 et l'indemnité de remploi à la somme de 33 053,60 ,
AUX MOTIFS QU'il résulte des dispositions des articles L. 13-23, R. 13-7, R. 13-32, R. 13-28 et R. 13-52 du code de l'expropriation, pris dans leur rédaction résultant du décret n° 2005-467 du 13 mai applicable le 1er août 2005 à toutes les instances en cours, que le commissaire du Gouvernement qui ne doit pas être l'agent ayant pour le compte de l'autorité expropriante donné l'avis d'estimation préalable aux offres d'indemnités et qui est soumis au principe de la contradiction ne dispose plus d'une position dominante ; QU'il ne bénéficie pas, par rapport à l'exproprié, d'avantages dans l'accès aux informations permanentes publiées au fichier immobilier puisque, d'une part, la juridiction de l'expropriation, tant en première instance qu'en cause d'appel, peut recourir à une mesure d'expertise en cas de difficulté d'évaluation, et que, d'autre part, l'exproprié peut répondre jusqu'au jour de l'audience aux conclusions du commissaire du gouvernement qui est tenu d'indiquer les références des éléments de comparaison qu'il retient ; QU'en outre, les dispositions de l'article 2196 du code civil obligent le conservateur des hypothèques à délivrer à tous ceux qui le requièrent une copie ou un extrait des documents déposés à leur bureau, le commissaire du gouvernement ne bénéficiant pas d'une procédure particulière ou simplifiée pour obtenir ces documents ; QUE, partant, les termes de référence proposés par le commissaire du gouvernement ne sauraient être écartés ni au motif que les dispositions des articles R. 13-32, R. 13-35 et R. 13-47 du code de l'expropriation seraient génératrices d'un déséquilibre incompatible avec le principe de l'égalité des armes et contraires à l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni au seul motif qu'en l'espèce, le commissaire du gouvernement reprend des actes de mutation qu'il avait déjà invoqués devant les cours d'appel de Paris et de Versailles ;
ALORS QUE le commissaire du Gouvernement, expert et partie à cette procédure, occupe une position dominante dans l'instance en fixation de l'indemnité d'expropriation et bénéficie, par rapport à l'exproprié, d'avantages dans l'accès aux informations pertinentes qu'il sélectionne avant de les soumettre à la juridiction de l'expropriation ; qu'en statuant conformément aux propositions du commissaire du Gouvernement, la cour d'appel, qui a appliqué des dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique qui sont incompatibles avec le principe de l'égalité des armes, a violé l'article 6, § 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est encore reproché à l'arrêt attaqué d'avoir fixé l'indemnité principale due par la commune des Lilas aux consorts X... à la somme de 3 235 360 et l'indemnité de remploi à la somme de 33 053,60 ;
AUX MOTIFS QU'en vertu des articles L. 13-13, L. 13-14 et L. 13-15 du code de l'expropriation, les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation, que le montant des indemnités est fixé, à la 'date de la décision de première instance, d'après la consistance matérielle et juridique du bien à la date de l'ordonnance d'expropriation emportant transfert de propriété et de la qualité de terrain à bâtir du bien et, dans ce cas, de ses possibilités légales et effectives de construction ou à défaut de son usage effectif, à la date de référence ; QU'en l'espèce, la superficie des biens situés ... et ... aux Lilas (Seine-Saint-Denis), est de 6 786 m² ; QU'ils comprennent une double façade sur rue et qu'ils sont constitués de boutiques, de bâtiments servant de réserves, d'un grand garage de trois étages et des bâtiments anciennement à usage d'habitation ; qu'une partie des terrains est encombrée de gravats ; QUE les biens dont il s'agit sont situés en centre ville à proximité du métro, de la mairie et des commerces ; QU'il convient d'écarter les termes de comparaison proposés par les consorts X... dès lors qu'il s'agit de ventes conclues entre la société Semalilas et la société civile immobilière et que ces ventes portent, non pas sur des terrains à bâtir, mais sur des droits immobiliers comprenant notamment les droits de construire et la surface hors oeuvre nette des constructions ; QUE, des mutations citées par les parties et notamment par la commune des Lilas, les plus pertinentes, eu égard à la situation et à la configuration des lieux, consistent en une vente datée du 30 juin 1998 qui fait ressortir un prix du terrain de 2 319 francs (353,53 ) le m² et en une vente du 2 juillet 1992 consentie moyennant un prix de 2 500 francs (381,12 ) du m² ; QUE, toutefois, il est démontré que la ville des Lilas, proche de Paris, et notamment son centre ville, est en plein essor immobilier; qu'il convient, toutefois, de relever que le terrain dont il s'agit est étiré sur sa longueur et que cette circonstance ne lui confère aucune plus-value ; QU'en conséquence, il convient de retenir une valeur de 400 le mètre carré de sorte que, compte tenu d'une superficie de 6.786 mètres carrés" l'indemnité correspondant à la valeur du terrain doit être arrêtée à 2 714 400 ;
1) ALORS QUE la cour d'appel a refusé de prendre en considération des cessions entre la société Semalilas et d'autres sociétés, portant sur des terrains situés dans la ZAC litigieuse, au motif qu'il s'agissait de ventes de droits à construire et non de terrains à bâtir, sans s'expliquer sur les aménagements ou les transformations qui pouvaient justifier la différence entre les « droits à construire » et les terrains à bâtir appartenant aux consorts X... ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 13-16 du code de l'expropriation ;
2) ALORS QUE les arrêts doivent être motivés ; qu'en retenant comme termes de comparaison les plus pertinents, deux ventes « eu égard à la situation et à la configuration des lieux », sans préciser en quoi consistaient cette situation et cette configuration, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour la société Semalilas, M. Y... ès qualités et la commune des Lilas.
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR fixé l'indemnité principale due par la commune des Lilas aux consorts X... à la somme de 3.235.360 Euros et l'indemnité de remploi à la somme de 33.053,60 Euros ;
AUX MOTIFS QUE « Sur l'application des dispositions de l'article L. 13-17 du Code de l'expropriation : qu'aux termes de ce texte, "le montant de l'indemnité principale ne peut excéder l'estimation faite par le service des domaines… si une mutation à titre gratuit ou onéreux, antérieure de moins de cinq ans à la date de la décision portant transfert de propriété, a donné lieu à une évaluation administrative rendue définitive en vertu des lois fiscales ou à une déclaration d'un montant inférieur à ladite estimation" ; qu'il s'infère de ce texte que, dans le cas d'une estimation faite par l'administration des domaines à une valeur inférieure ou égale à l'évaluation donnée au bien dans le dernier acte de mutation, la limitation prévue par l'article L. 13-17 du Code de l'expropriation n'est pas applicable de sorte que le juge conserve son pouvoir d'appréciation pour arrêter le montant de l'indemnité due par l'expropriant ; qu'en l'occurrence, il ressort de l'estimation domaniale effectuée le 7 juillet 1998 par le directeur des services fiscaux de la Seine-Saint-Denis que les biens dont il s'agit ont été évalués à 18.036.800 francs, arrondi à 18.000.000 francs ; que cette estimation, qui n'a pas été contestée, est devenue définitive ; qu'il y a donc lieu de retenir que l'évaluation administrative est égale à l'évaluation administrative appliquée lors du règlement de la succession de Jacqueline X..., sa soeur, décédée le 1er avril 1996, dont Jeanine X... était la légataire universelle » ;
ALORS QU'il résulte des dispositions d'ordre public de l'article L 13-17 du Code de l'expropriation que le montant de l'indemnité principale ne peut excéder l'estimation faite par l'administration des Domaines lorsqu'une mutation, antérieure de moins de cinq ans à la date de la décision portant transfert de propriété, a donné lieu à une évaluation administrative définitive d'un montant inférieur à ladite estimation ; que les pièces versées au dossier font apparaître que le terrain litigieux a fait l'objet d'une taxation d'office définitive à hauteur de 18.000.000 de francs au cours de l'année 2000 au titre des droits de succession et que l'évaluation domaniale de ce terrain a été fixée à la somme de 18.036.800 francs, d'où il suit qu'en énonçant qu'« il y a donc lieu de retenir que l'évaluation administrative est égale à l'évaluation administrative appliquée lors du règlement de la succession de Jacqueline X..., sa soeur, décédée le 1er avril 1996, dont Jeanine X... était la légataire universelle » , la Cour a dénaturé ladite estimation, violant ainsi l'article 1134 du Code civil.