LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 mars 2007), que le 21 novembre 2003 la société Gramont a, sur le fondement de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975, notifié à ses locataires une offre de vente de leur appartement et donné mandat à la société Feau commercialisation d'organiser la mise en vente des lots ; que l'offre précisait que le prix serait payable le jour de la signature de l'acte authentique, en ce compris les honoraires de négociation ; que Mme X..., M. Y..., M. et Mme Z... et M. et Mme A... ont assigné la société Gramont en nullité de l'offre de vente ;
Attendu que la société Gramont fait grief à l'arrêt d'accueillir ces demandes, alors, selon le moyen :
1° / qu'aucune des parties au litige ne soutenait dans ses conclusions d'appel qu'aux termes de la clause litigieuse, les honoraires de négociation viendraient s'ajouter au prix de vente ; qu'au contraire, les consorts X..., Y..., Z..., A... reconnaissaient eux-mêmes à plusieurs reprises que ces honoraires étaient inclus dans le prix de vente ; qu'en retenant cependant, pour prononcer la nullité de l'offre de vente, que les termes de la clause relative au prix ne pouvaient en aucun cas signifier que les locataires n'auraient rien à régler en sus du prix au titre de la commission et ainsi que les honoraires de négociation venaient s'ajouter au prix de vente, sans provoquer les observations préalables des parties sur ce point, la cour d'appel s'est déterminée par un moyen non soumis au débat contradictoire en violation de l'article 16 du code de procédure civile ;
2° / qu'aucune des parties ne faisaient davantage valoir que la société Gramont aurait induit en erreur les locataires sur la formulation soit-disant erronée de la clause de l'offre de vente relative au prix, les conclusions des consorts X..., Y..., Z..., A... étant parfaitement muettes sur ce point ; qu'en retenant cependant que " la société Gramont Sas a donc induit en erreur par une formulation erronée justifiant l'annulation de l'offre ", sans provoquer les observations préalables des parties sur ce point, la cour d'appel s'est déterminée par un moyen non soumis au débat contradictoire en violation de l'article 16 du code de procédure civile ;
3° / que l'offre de vente indique que le prix est payable au comptant le jour de la signature de l'acte authentique de vente en ce compris les honoraires de négociation auquel il y a lieu d'ajouter le paiement de frais, droits et émoluments de l'acte authentique de vente, leurs suites et leurs conséquences ainsi qu'une quote-part des frais de mise en copropriété ; que non seulement les termes " en ce compris les honoraires de négociation " expriment clairement que cette commission est comprise dans le prix mentionné et ne vient pas s'y ajouter, mais en outre l'indication qui suit immédiatement, selon laquelle au prix doit s'ajouter le paiement des frais, renforce par opposition l'absence d'ambiguïté de cette expression ; qu'en décidant cependant que l'offre de vente n'indiquait pas que les locataires n'auraient rien à régler en sus du prix au titre de la commission, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis en violation de l'article 1134 du code civil ;
4° / qu'en outre, l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux juges du fond de rechercher dans un acte étranger à l'une des parties en cause des renseignements de nature à éclairer leur décision ; qu'en l'espèce, une clause du mandat conclu entre la société Gramont et son mandataire, la société Feau commercialisation, stipulait que le mandataire devait percevoir, en contre-partie de sa mission, une rémunération du mandant ; qu'en retenant pourtant, pour décider que la société Gramont ne pouvait pas invoquer cette clause pour établir que le versement des honoraires de négociation visés dans l'offre de vente litigieuse lui incombait nécessairement, que cette stipulation ne concernait que les rapports entre le mandant et son mandataire et non les locataires qui n'étaient d'ailleurs pas censés en avoir connaissance, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1165 du code civil ;
5° / que lorsqu'un mandat est assorti d'une clause d'exclusivité ou d'une clause pénale ou lorsqu'il comporte une clause aux termes de laquelle une commission sera due par le mandant même si l'opération est conclue sans les soins de l'intermédiaire, cette clause doit recevoir application si elle résulte d'une stipulation expresse du mandat ; qu'en l'espèce, le mandat conclu entre les sociétés Gramont et Feau commercialisation revêtait un caractère exclusif et stipulait en outre expressément qu'en cas d'exercice par le locataire de son droit de préemption " la rémunération sera due au mandataire " ; qu'en énonçant cependant de façon générale-à supposer qu'elle ait ainsi adopté les motifs des premiers juges sur ce point-que la mise en oeuvre du droit de préemption d'ordre public au profit du locataire ne pouvait ouvrir droit à une commission au profit de l'agent immobilier, même si c'est le bailleur qui en est débiteur vis-à-vis du mandataire, la cour d'appel a violé les articles 6 et 6-1 de la loi du 2 janvier 1970, ensemble l'article 78 du décret du 20 juillet 1972 ;
Mais attendu qu'ayant souverainement retenu que l'offre de vente qui énonçait que le prix était " payable au comptant le jour de la signature de l'acte authentique de vente, en ce compris les honoraires de négociation " impliquait nécessairement que l'acquéreur supportait la commission due à l'intermédiaire et que la clause figurant dans le mandat qui liait la venderesse à la société Feau commercialisation ne concernait pas les locataires, la cour d'appel, sans dénaturation ni violation du principe de la contradiction, abstraction faite d'un motif surabondant tiré de l'existence d'une erreur, en a exactement déduit que les offres de vente faites aux locataires titulaires d'un droit de préemption étaient nulles ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Gramont aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Gramont à payer à Mme X..., M. Y..., M. et Mme Z..., M. et Mme A..., ensemble, la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé à l'audience publique du dix sept décembre deux mille huit par M. Cachelot, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, conformément à l'article 452 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin et Bénabent, avocat aux Conseils pour la société Gramont.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré nulles et de nul effet les offres de vente signifiées à Madame X... et Monsieur Y..., ainsi qu'aux époux Z... et A..., le 1er juillet 2004 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « les locataires exposent en second lieu que l'offre encourt la nullité au motif qu'elle inclut dans le prix les honoraires de négociation de la société FEAU, mandataire de la société GRAMONT SAS, dont il s'avère qu'ils sont de 3, 3 % du prix de vente, alors que suivant la loi du 2 janvier 1970, seule la présentation d'un acquéreur, à l'exclusion de l'offre faite au locataire titulaire d'un droit de préemption, permet à l'agent immobilier d'encaisser une commission ; que la société GRAMONT SAS conteste cette analyse, affirmant que c'est ellemême qui, aux termes des conventions, devait supporter la charge économique de la commission de l'agent, et non les locataires exerçant leur droit de préemption, et qu'au surplus la loi du 2 janvier 1972 n'exclut pas le droit de l'intermédiaire à une commission dans le cas d'une préemption ; qu'elle écrit que « en aucun cas le sort que le vendeur réserve au prix … ne modifie la situation économique de l'acquéreur », dès lors que le locataire qui préempte n'a pas à supporter la charge de la commission de l'intermédiaire ; qu'il résulte cependant de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975, d'ordre public, que le bailleur doit, dans les circonstances de fait soumises à la cour, faire connaître par lettre recommandée avec avis de réception à chacun des locataires l'indication du prix et des conditions de la vente projetée pour le local qu'il occupe ; que la notion de prix à la charge du titulaire du droit de préemption ainsi conçue, exclut nécessairement toute majoration par la commission d'un intermédiaire, en l'absence de prestation de négociation ou de recherche et de présentation d'un acquéreur par celui-ci ; qu'il est constant que l'offre litigieuse énonçait que le prix est « payable au comptant le jour de la signature de l'acte authentique de vente, en ce compris les honoraires de négociation » ; que cette formulation implique nécessairement que l'acquéreur supporte la commission due à l'intermédiaire, et entache par suite l'offre en cause de nullité ; que la société GRAMONT SAS argue vainement que le mandat consenti par elle à la société FEAU comportait une clause aux termes de laquelle le mandataire devait percevoir, en rémunération de sa mission, une rémunération du mandant ; qu'en effet, ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, cette clause ne concernait que les rapports entre le mandant et son mandataire, et non les locataires qui n'étaient d'ailleurs pas censés en avoir connaissance ; qu'il soutient, tout aussi vainement, qu'il faudrait entendre la clause de l'offre, en ce sens que les locataires n'auraient rien à régler en sus du prix au titre de la commission, la clause dont les termes sont rappelés ci-avant, disant exactement le contraire ; que la société GRAMONT SAS a donc induit en erreur par une formulation erronée, justifiant l'annulation de l'offre ; qu'enfin, tous les développements de la société GRAMONT SAS concernant la parfaite légalité de la stipulation de commission même en l'absence de négociation et d'entremise dans la transaction, au regard des articles 6. 1 de la loi du 2 janvier 1972 et 78 du décret du 20 juillet 1972 son inopérants, dès lors que ces textes ne visent que la commission due par le mandant, puisque dans les hypothèses visées la vente ne se conclut pas avec un acquéreur présenté par le mandataire, et non par l'acquéreur, comme c'est le cas dans le litige présentement soumis à la cour ; que la société GRAMONT SASA succombe ainsi en tous ses moyens ; que par voie de conséquence le jugement doit être confirmé en ce qu'il a annulé l'offre notifiée le 1er juillet 2004 » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE, « en ce qui concerne les conditions de l'offre de vente, le prix stipulé comprend ainsi qu'il est expressément mentionné « les honoraires de négociation » ; qu'il s'agit de ceux dus par le bailleur à la société FEAU COMMERCIALISATION, laquelle, en tête des actes signifiés, a déclaré agir, poursuites et diligences de la bailleresse, en vertu d'un mandat de vente n° 111, en date du 1er décembre 2003 ; que la mise en oeuvre du droit de préemption d'ordre public au profit du locataire ne peut ouvrir droit à une commission répercutée sur celui-ci au profit de l'agent immobilier, la vente de l'appartement au locataire qui l'occupe n'étant pas assimilée à la présentation d'un acquéreur qui, seule, ouvre droit à la commission prévue par la loi du 2 janvier 1970 ; qu'en outre, dans ce cadre, aucune négociation n'est possible, le locataire n'ayant que le choix d'accepter ou de refuser l'offre qui lui est faite ; qu'en l'espèce, contrairement à ce que soutient la société GRAMONT, la charge des honoraires de négociation incombe à l'acquéreur et le prix a été majoré, en fonction de cet élément même si c'est le bailleur qui en est débiteur vis-à-vis du mandataire ; que dans ces conditions, l'offre de vente signifiée le 1er juillet 2004 qui ne satisfait pas aux dispositions d'ordre public de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1975 doit être annulée » ;
ALORS QUE, D'UNE PART, aucune des parties au litige ne soutenait dans ses conclusions d'appel qu'aux termes de la clause litigieuse, les honoraires de négociation viendraient s'ajouter au prix de vente ; qu'au contraire, les intimés reconnaissaient eux-mêmes à plusieurs reprises que ces honoraires étaient « inclus dans le prix de vente » (conclusions, p. 11, § 5, p. 12, § 4 et 8) ; qu'en retenant cependant, pour prononcer la nullité de l'offre de vente, que les termes de la clause relative au prix ne pouvaient en aucun cas signifier que « les locataires n'auraient rien à régler en sus du prix au titre de la commission » et ainsi que les honoraires de négociation venaient s'ajouter au prix de vente, sans provoquer les observations préalables des parties sur ce point, la Cour d'appel s'est déterminée par un moyen non soumis au débat contradictoire en violation de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, aucune des parties ne faisait davantage valoir que la société GRAMONT aurait induit en erreur les locataires par la formulation soi-disant erronée de la clause de l'offre de vente relative au prix, les conclusions des intimés étant parfaitement muettes sur ce point ; qu'en retenant cependant que « la société GRAMONT SAS a donc induit en erreur par une formulation erronée, justifiant l'annulation de l'offre », sans provoquer les observations préalables des parties sur ce point, la Cour d'appel s'est derechef déterminée par un moyen non soumis au débat contradictoire en violation de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
ALORS QUE, DE TROISIEME PART, l'offre de vente indique que le prix est « payable au comptant le jour de la signature de l'acte authentique de vente, en ce compris les honoraires de négociation, auquel il y a lieu d'ajouter le paiement des frais, droits et émoluments de l'acte authentique de vente, leurs suites et leurs conséquences ainsi qu'une quote-part des frais de mise en copropriété » ; que non seulement les termes « en ce compris les honoraires de négociation » expriment clairement que cette commission est comprise dans le prix mentionné et ne vient pas s'y ajouter, mais en outre l'indication qui suit immédiatement, selon laquelle au prix doit s'« ajouter le paiement des frais … » renforce par opposition l'absence d'ambiguïté de cette expression ; qu'en décidant cependant que l'offre de vente n'indiquait pas que les locataires n'auraient rien à régler en sus du prix au titre de la commission, la Cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis en violation de l'article 1134 du Code civil ;
ALORS QU'EN OUTRE, subsidiairement, l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux juges du fond de rechercher dans un acte étranger à l'une des parties en cause des renseignements de nature à éclairer leur décision ; qu'en l'espèce, une clause du mandat conclu entre la société GRAMONT et son mandataire, la société FEAU COMMERCIALISATION, stipulait que le mandataire devait percevoir, en contrepartie de sa mission, une rémunération du mandant ; qu'en retenant pourtant, pour décider que la société GRAMONT ne pouvait pas invoquer cette clause pour établir que le versement des honoraires de négociation visés dans l'offre de vente litigieuse lui incombait nécessairement, que cette stipulation « ne concernait que les rapports entre le mandant et son mandataire, et non les locataires qui n'étaient d'ailleurs pas censés en avoir connaissance », la Cour d'appel a violé par fausse application l'article 1165 du Code civil ;
ALORS QU'ENFIN, lorsqu'un mandat est assorti d'une clause d'exclusivité ou d'une clause pénale, ou lorsqu'il comporte une clause aux termes de laquelle une commission sera due par le mandant même si l'opération est conclue sans les soins de l'intermédiaire, cette clause doit recevoir application si elle résulte d'une stipulation expresse du mandat ; qu'en l'espèce, le mandat conclu entre les sociétés GRAMONT et FEAU COMMERCIALISATION revêtait un caractère exclusif et stipulait en outre expressément qu'en cas d'exercice par le locataire de son droit de préemption, « la rémunération sera due au mandataire » ; qu'en énonçant cependant de façon générale – à supposer qu'elle ait ainsi adopté les motifs des premiers juges sur ce point – que la mise en oeuvre du droit de préemption d'ordre public au profit du locataire ne pouvait ouvrir droit à une commission au profit de l'agent immobilier, même si c'est le bailleur qui en est débiteur vis-à-vis du mandataire, la Cour d'appel a violé les articles 6 et 6-1 de la loi du 2 janvier 1970, ensemble l'article 78 du décret du 20 juillet 1972.