LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Château Lafite Rothschild, propriétaire de diverses marques déclinant ces noms afin de désigner des vins, a agi en déchéance des droits attachés à la marque " Château Lafitte " dont la société Château Lafitte est propriétaire pour distinguer des produits identiques ; qu'elle a en outre demandé l'annulation du renouvellement de la marque " Château Lafitte X... " appartenant à M. X..., et à titre subsidiaire, la nullité de cette marque, comme contrefaisant celles dont elle est titulaire ; que la société Château Lafitte a reconventionnellement poursuivi la déchéance des droits de la société Château Lafite Rothschild sur la marque " Lafite " ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Château Lafite Rothschild fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son action en déchéance des droits de marque, alors, selon le moyen, que l'importance quantitative de l'usage permettant de le qualifier de sérieux doit être appréciée au regard du marché concerné et des caractéristiques du produit sur celui-ci ; qu'en affirmant que le caractère sérieux de l'usage de la marque " ne saurait dépendre de la quantité de produits commercialisés sous la marque ", pour en déduire qu'en l'espèce il aurait été justifié d'un usage sérieux de la marque par la commercialisation " d'une quantité annuelle de plus de mille bouteilles issues d'un vin vieilli en fûts de chêne " et qu'il aurait dès lors été indifférent que l'exploitation produise plus de 120 000 bouteilles par an commercialisées sous une autre marque, sans prendre en compte, comme l'y invitait pourtant la société Château Lafite Rothschild dans ses conclusions, les caractéristiques du marché concerné pour apprécier si une quantité annuelle d'environ mille bouteilles caractérisait l'usage sérieux d'une marque pour un producteur viticole, même pour du vin vieilli en fûts de chêne, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision au regard de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle tel qu'il doit s'interpréter à la lumière de la directive CE 89 / 104 du 21 décembre 1988 ;
Mais attendu que l'arrêt ne se borne pas à retenir que le titulaire justifiait de l'usage de la marque pour une quantité annuelle de plus de mille bouteilles d'un vin vieilli en fûts de chêne, mais relève en outre la production de catalogues se rapportant à plusieurs années, de tarifs et de nombreuses factures établissant la commercialisation des produits désignés sous la marque en cause, et son apposition, tant afin d'offrir les produits à la vente qu'en vue de leur exportation ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui s'est déterminée au regard du marché concerné et des caractéristiques du produit, a pu retenir qu'un tel usage de marque était sérieux ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Château Lafite Rothschild fait encore grief à l'arrêt d'avoir prononcé la déchéance de ses droits sur la marque " Lafite " n 95 584 581 pour la désignation de produits de la classe 33, à compter du 1er août 2000, alors, selon le moyen, que pour faire échec à la déchéance de la marque, le signe de celle-ci doit être utilisé à titre de marque, c'est-à-dire pour désigner des produits ou des services visés à l'enregistrement ; qu'en retenant que le signe " Lafite " ne serait pas utilisé à titre de marque, tout en constatant qu'il était utilisé dans des articles de presse ou des pages Internet pour désigner en abrégé " le vin produit ", la cour d'appel, qui a prononcé la déchéance de la marque " Lafite " après avoir fait apparaître un usage de celle-ci pour désigner les produits visés à son enregistrement, à savoir les vins, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle, qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou services pour lesquels elle a été enregistrée, ce qui suppose l'utilisation de celle-ci sur le marché pour désigner les produits ou services protégés ; qu'ayant constaté que la société Lafite Rothschild avait déposé la marque " Lafite ", mais qu'elle ne produisait aucune pièce relative à l'exploitation de cette marque depuis son dépôt intervenu le 11 août 1995, et qu'elle ne versait aux débats que des articles de presse désignant, en abrégé, le domaine viticole, l'exploitation, le château, ou le vin produit, qui était cependant commercialisé sous les marques " Château Lafite Rothschild ", la cour d'appel en a exactement déduit que de tels faits ne caractérisaient pas l'exploitation du signe " Lafite " à titre de marque ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu les articles L. 712-9 et R. 712-24 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes de la société Château Lafite Rothschild relatives à la marque " Château Lafitte X... ", et notamment sa demande en nullité du renouvellement de cette marque intervenu le 7 février 2002, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que cette marque, déposée le 10 mars 1992 par M. X..., a été renouvelée le 7 février 2002 au nom de la SCEA Château Lafitte, puis relève que M. X... avait demandé la rectification de cette erreur matérielle en ce qui concerne le titulaire de la marque, par substitution de son nom à celui de la SCEA le 13 mai 2004, et qu'il avait été fait mention de la rectification de cette erreur matérielle au Bulletin officiel de la propriété industrielle le 11 juin 2004 ; que l'arrêt en déduit qu'aucun texte ne sanctionnant de nullité une déclaration de renouvellement portant un titulaire de la marque erroné, cette erreur purement matérielle pouvait faire l'objet d'une régularisation postérieure, dès lors que le renouvellement ne peut profiter, dans la mesure où il n'existe aucune modification dans la propriété de la marque, qu'à son titulaire initial, aisément identifiable par la référence lors du renouvellement au premier dépôt effectué, et que, si l'on se réfère aux articles R. 712-10 et R. 712-11 du code de la propriété intellectuelle, l'erreur d'identité du déclarant pouvait être régularisée dans la mesure où, d'une part, la marque concernée était parfaitement identifiable, et d'autre part, le renouvellement ne pouvait effectivement profiter qu'au propriétaire initial ;
Attendu qu'en admettant la validité de ce renouvellement de marque, alors qu'elle avait constaté qu'il n'avait pas été effectué par le propriétaire de celle-ci, mais par un tiers, et sans caractériser en quoi cette erreur était purement matérielle et dès lors susceptible d'être rectifiée hors du délai prévu à l'article R. 712-24 du code de la propriété intellectuelle et d'une demande de relevé de déchéance présentée dans les conditions des articles L. 712-10 et R. 712-12 de ce code, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le deuxième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Château Lafite Rothschild relatives à la marque " Château Lafitte X... ", l'arrêt rendu, le 30 avril 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la SCEA Château Lafitte et M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un octobre deux mille huit.