LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° s K 07-40. 540, M 07-40. 541, N 07-40. 542, P 07-40. 543, Q 07-40. 544, R 07-40. 545, S 07-40. 546, T 07-40. 547 et U 07-40. 548 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Douai, 30 novembre 2006), que MM. X..., Y..., Z..., A... aux droits duquel vient Mme A..., B..., C..., D..., E... et F..., travaillant au service de la société Réalisation des techniques industrielles (RTI) en qualité soit d'ajusteur, d'ajusteur-monteur, préparateur de production ou d'ETAM ont, après une réclamation collective infructueuse adressée à leur employeur le 12 avril 2001, engagé une action prud'homale afin d'obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale par application de la convention collective de la métallurgie des Flandres ; que par lettres des 22 mai, 27 juillet, 25 octobre 2001, 22 février 2002, 16 avril et 11 juin 2003, ont été licenciés, respectivement, M. A... pour faute grave, M. X... pour « incompétence professionnelle volontaire », MM. Y..., Z..., D... et C... pour faute grave ;
Sur le moyen unique des pourvois dirigés contre MM. E... et F... et sur le premier moyen des pourvois dirigés contre MM. X..., Y..., Z..., A..., B..., C..., et D... qui sont identiques :
Attendu que la société RTI fait grief aux arrêts de l'avoir condamnée à payer aux neuf salariés des sommes au titre de la prime d'ancienneté outre congés payés afférents, alors, selon les moyens :
1° / que le juge du fond ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat ; qu'en l'espèce, il ressort tant des écritures que des mentions de l'arrêt que ni la société RTI ni le salarié n'ont invoqué, fut-ce indirectement, l'accord d'entreprise du 26 avril 2001 et qu'ils se sont bornés à discuter de la convention collective applicable de droit ; qu'en fondant sa décision sur la circonstance prise de la conclusion de cet accord, la cour d'appel a violé les articles 7 et 16 du code de procédure civile ;
2° / qu'en tout état de cause, en cas de concours de conventions collectives, l'avantage le plus favorable profite au salarié ; que la société RTI faisait valoir en cause d'appel que la convention collective des bureaux d'études était plus favorable que la convention collective de la métallurgie ; qu'en s'abstenant de rechercher laquelle de ces normes collectives était la plus favorable aux salariés et devait ainsi leur être appliquée par-delà l'engagement contenu dans l'accord du 26 avril 2001, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil, L. 135-2 du code du travail ;
Mais attendu, d'une part, qu'un accord d'entreprise ne constitue pas un fait mais relève du droit que le juge doit appliquer au litige dont il est saisi et que, lorsque la procédure est orale, les moyens retenus par lui sont, sauf preuve contraire non rapportée en l'espèce, présumés avoir été débattus contradictoirement ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a constaté que l'employeur qui faisait volontairement application dans l'entreprise de la convention collective des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils et sociétés de conseils du 15 décembre 1987 avait conclu le 26 avril 2001 un accord d'entreprise qui, s'agissant de la prime d'ancienneté, déclarait expressément applicables les dispositions de la convention collective de la métallurgie des Flandres, ce dont il résulte que l'engagement unilatéral de l'employeur d'appliquer la convention collective des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils et sociétés de conseils était, en ce qui concerne la prime d'ancienneté, mis en cause par la conclusion de l'accord d'entreprise ; que, dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a fait application de la convention collective de la métallurgie des Flandres sans avoir à rechercher si ses dispositions étaient plus favorables que celles des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils et sociétés de conseils avec lesquelles elles n'étaient pas en concours ;
Que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le second moyen de cassation commun aux pourvois dirigés contre MM. A..., Y..., Z..., D... et C... :
Attendu que la société RTI fait grief à l'arrêt d'avoir dit les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse et de l'avoir condamnée à payer aux salariés diverses sommes, alors, selon le moyen,
que le juge doit motiver sa décision ; qu'en affirmant péremptoirement que la société RTI ne produisait aucune pièce à l'appui de ses affirmations justifiant le licenciement, sans s'expliquer sur les mentions, non contestées par le salarié, des conclusions d'appel visant les pièces justificatives produites dont il était précisé qu'elles étaient les mêmes qu'en première instance, la cour d'appel a manqué aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la constatation de l'arrêt relative au défaut de production de pièces ne peut être contestée que par la voie de l'inscription de faux ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen de cassation du pourvoi dirigé contre M. X... :
Attendu que la société RTI fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit le licenciement de M. X... dépourvu de cause réelle et sérieuse et de l'avoir condamnée en conséquence à payer à ce dernier une somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1° / que la société RTI a licencié M. X... non pour insuffisance de résultats, mais pour mauvaise volonté délibérée dans la réalisation du travail faisant naître une perte de confiance ; que la société RTI faisait ainsi état des variations sensibles de la rentabilité de M. X... selon son bon vouloir ; que la cour d'appel a seulement apprécié le caractère réaliste des objectifs fixés par la société RTI ; qu'ainsi, la cour n'a pas répondu au grief pris d'une incompétence professionnelle volontaire justifiant une perte de confiance et a violé l'article L. 122-14-3 du code du travail ;
2° / que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse n'incombe spécialement ni à l'employeur ni au salarié ; qu'en l'espèce, la cour a reproché à la société RTI de ne pas fournir la preuve des griefs énoncés dans la lettre de licenciement ; qu'ainsi, la cour a violé les articles 1315 du code civil, L. 122-14-3 du code du travail ;
Mais attendu qu'examinant les griefs invoqués dans la lettre de licenciement et contestés par M. X..., la cour d'appel a relevé que l'employeur ne fournissait pas d'éléments sur les perturbations engendrées par les bavardages reprochés au salarié ni, plus généralement, sur le comportement négatif imputé à ce dernier, caractérisant ainsi une défaillance de l'employeur dans l'administration de la preuve à laquelle il doit contribuer ;
Que le moyen qui manque en fait en sa première branche n'est pas fondé en sa seconde ;
Sur le second moyen de cassation du pourvoi dirigé contre M. Y... :
Attendu que la société RTI fait grief à l'arrêt d'avoir dit le licenciement de M. Y... dépourvu de cause réelle et sérieuse et de l'avoir, en conséquence, condamnée à payer diverses sommes au salarié, alors, selon le moyen :
1° / que la bonne foi contractuelle étant présumée, il incombe au salarié de démontrer que la décision de l'employeur de lui demander un déplacement fonctionnel a en réalité été prise pour des raisons étrangères à l'intérêt de l'entreprise ; que la cour d'appel a fait reproche à la société RTI de n'avoir pas justifié de la mise en oeuvre de la clause de mobilité-fonctionnelle-dans l'intérêt de l'entreprise ; qu'ainsi, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du code civil ;
2° / que la bonne foi contractuelle étant présumée, il incombe au salarié de démontrer que la décision de l'employeur de lui demander un déplacement fonctionnel a été mise en oeuvre dans des conditions déloyales ou abusives et, notamment, avec précipitation ; que le risque de la preuve pèse sur le salarié ; que la cour d'appel a considéré que les éléments du dossier ne lui permettaient pas de vérifier l'existence d'un délai de prévenance suffisant et a déduit de ce doute un usage abusif de la possibilité de demander un déplacement fonctionnel ; qu'ainsi, la cour a de nouveau violé l'article 1315 du code civil ;
3° / que l'absence de respect d'un délai de prévenance raisonnable ne prive pas de cause réelle et sérieuse le licenciement faisant suite au refus du salarié d'accepter un déplacement fonctionnel et ponctuel dès lors que cette proposition était conforme à l'intérêt de l'entreprise ; que M. Y... s'est vu proposer non une mutation géographique, mais un simple déplacement fonctionnel ponctuel ; qu'en faisant de l'observation d'un délai de prévenance raisonnable un élément d'appréciation de la légitimité du licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 122-14-3 du code du travail ;
4° / qu'en tout état de cause, le délai de prévenance correspond au laps de temps séparant la proposition de déplacement et la date prévue pour celui-ci ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté et la cour d'appel n'a pas mis en doute que le déplacement était prévu pour le 15 octobre 2001 et que M. Y... a refusé celui-ci le 8 octobre, la procédure de licenciement étant consécutivement mise en oeuvre le 10 octobre ; qu'il résultait de ces éléments que la proposition avait été émise au plus tard le 8 octobre ; qu'afin de prétendre qu'il n'est pas possible de vérifier l'existence d'un délai de prévenance suffisant, la cour d'appel a estimé que la date du refus de la mission n'est pas établie ; qu'ainsi, la cour a déduit un motif dépourvu de valeur et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1135 du code civil, L. 121-1 et L. 122-4 du code du travail ;
5° / que le fait que le salarié ne se soit expliqué sur son refus d'accepter le déplacement fonctionnel qu'au cours de l'entretien préalable au licenciement n'établit pas l'absence de délai de prévenance ; qu'en prenant acte de ce que M. Y... a expliqué sa position au cours de l'entretien préalable afin de conclure à l'absence de délai de prévenance, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1135 du code civil, L. 121-1 et L. 122-4 du code du travail ;
Mais attendu, d'une part, que le salarié ayant étant licencié pour faute grave, la charge de la preuve pesait sur l'employeur et, d'autre part, que par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis la cour d'appel a constaté que l'employeur avait utilisé la clause de mobilité de manière abusive par voie de rétorsion à l'encontre du salarié qui avait formulé une réclamation de nature salariale ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen de cassation du pourvoi dirigé contre M. B... :
Attendu que la société RTI fait grief à l'arrêt d'avoir dit que M. B... a été victime de discrimination et de l'avoir condamnée à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen,
que, tenu de motiver sa décision, le juge du fond ne peut viser les éléments du dossier sans les identifier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a estimé qu'il résulte des éléments versés aux débats que M. B... été victime de discrimination ; qu'ainsi, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que c'est par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de viser précisément les éléments du dossier, a retenu que M. B... avait été victime d'une discrimination ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen du pourvoi dirigé contre M. B... :
Attendu que la société RTI fait grief à l'arrêt d'avoir dit que M. B... a été victime d'un harcèlement moral, alors, selon le moyen, que le juge doit motiver sa décision ; qu'en affirmant péremptoirement que la société RTI ne produisait aucune pièce à l'appui de ses contestations des affirmations du salarié, sans s'expliquer sur les mentions, non contestées par le salarié, des conclusions d'appel visant les pièces justificatives produites dont il était précisé qu'elles étaient les mêmes qu'en première instance, la cour d'appel a manqué aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la constatation de l'arrêt relative au défaut de production de pièces ne peut être contestée que par la voie de l'inscription de faux ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Réalisation des techniques industrielles aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer aux salariés la somme globale de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille huit.