LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant : Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Clément,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 18 janvier 2007, qui, pour diffamation publique envers une administration publique, l'a condamné à 800 euros d'amende ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 20 mai 2008 où étaient présents : M. Joly conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Ménotti conseiller rapporteur, Mmes Anzani, Palisse, Guirimand, MM. Beauvais, Guérin, Finidori conseillers de la chambre ;
Avocat général : M. Salvat ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MÉNOTTI, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SALVAT ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le ministre de l'intérieur a porté plainte notamment du chef de diffamation publique envers la police nationale, sur le fondement de l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881, à la suite de la publication, sous l'égide du Syndicat de la magistrature, d'un fascicule rédigé par Clément X..., magistrat, et l'intitulé "Vos papiers ! Que faire face à la police", incriminé en raison du passage suivant : "les contrôles d'identité au faciès, bien que prohibés par la loi, sont non seulement monnaie courante, mais se multiplient" ; que Clément X... a été renvoyé de ce chef devant le tribunal correctionnel ; que les juges du premier degré ont relaxé le prévenu au bénéfice de la bonne foi ; qu' appel a été relevé de cette décision par le ministère public ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 et 3 d, de la Convention européenne des droits de l'homme, 513, 591, 427 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a refusé d'entendre les quatre témoins dont l'audition était demandée par la défense, en considérant que l'audition des témoins, déjà largement entendus par le tribunal, n'était pas nécessaire ;
"alors, qu'en vertu des dispositions de l'article 513, alinéa 2, du code de procédure pénale, les témoins cités par le prévenu doivent être entendus par la cour d'appel, dans les règles prévues aux articles 435 à 457 dudit code, s'ils ne l'ont pas été par le tribunal ; que la cour d'appel n'ayant pas précisé les noms des témoins cités devant elle, dont elle refusait l'audition, n'a pu justifier qu'il s'agissait des mêmes témoins, déjà entendus par le tribunal, qui auraient été à nouveau cités devant la cour ; qu'en l'état de ses énonciations, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le point de savoir si la cour d'appel était en droit de refuser l'audition des témoins cités par la défense ;
"alors, en toute hypothèse, que, pour relaxer Clément X... en première instance, le tribunal s'étant expressément fondé sur les éléments du débat, dont les témoignages entendus qu'il a analysés, la cour d'appel ne pouvait infirmer ce jugement et entrer en voie de condamnation à l'encontre du prévenu, sans avoir au préalable procédé à une nouvelle audition des témoins qui avaient permis aux premiers juges de fonder leur conviction, violant en cela les dispositions susvisées de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"alors, enfin, que la cour d'appel ne pouvait davantage se borner à affirmer, avant tout examen de l'affaire au fond, que l'audition des témoins n'était « pas nécessaire », qu'un tel motif n'est pas de nature à justifier le refus d'entendre les témoins cités par le prévenu, la cour étant légalement tenue de procéder à leur audition sauf impossibilité dont il lui appartient de préciser les causes ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans entendre les témoins légalement cités par la défense, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale" ;
Attendu que, pour décider que l'audition des témoins que le prévenu avait fait citer devant elle n'était pas nécessaire, la cour d'appel retient que ceux-ci ont été entendus par le tribunal ;
Attendu qu'en procédant ainsi, les juges n'ont fait qu'user de la faculté que leur reconnaît l'article 513 du code de procédure pénale, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er, 2-3°, 3, 14-27° de la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie, 6 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Clément X... coupable de complicité de diffamation publique envers une administration publique, commis fin novembre ou début décembre 2001, après avoir rejeté le moyen tiré de l'amnistie des faits poursuivis fondés sur l'article 14-27° de la loi du 6 août 2002, portant amnistie ;
"aux motifs que l'article 14-27° de la loi du 6 août 2002 portant amnistie a exclu du bénéfice de l'amnistie les délits, antérieurs au 7 mai 2002, de diffamation et d'injures commises à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, prévus par les articles 30 et 33, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 ; que les faits objet de la présence procédure sont bien poursuivis au visa de ces articles ; qu'au surplus, le visa, par l'article 14-27° précité, des personnes dépositaires de l'autorité publique, inclut nécessairement l'institution les regroupant ; qu'ainsi que l'on retenu les premiers juges, les faits sont dès lors exclus du bénéfice de l'amnistie ;
"alors que l'article 14-27° de la loi du 6 août 2002 portant amnistie qui doit être appliqué strictement, n'exclut de l'amnistie des délits prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse prévue par l'article 2-3° de ladite loi du 6 août 2002, que les délits de diffamation et d'injures commis à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, prévus par les articles 30, 31 alinéa 1er, et 33 alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; que le texte d'exclusion ne visant que des infractions susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou la considération de personnes dépositaires de l'autorité publique, et non commises envers une administration publique, parmi celles prévues par les articles 31 et 33 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, punies par les peines prévues à l'article 30 de la même loi, c'est à tort et en violation des textes susvisés dont il a été fait une fausse application, que les juges du fond ont refusé de constater l'amnistie du délit reproché à Clément X..., prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui visait non pas une personne dépositaire de l'autorité publique, mais une administration publique, que la cassation interviendra sans renvoi" ;
Attendu que, pour refuser au prévenu le bénéfice de l'amnistie, la cour d'appel retient à bon droit que les propos litigieux, poursuivis au visa de l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881, sont exclus de l'amnistie par l'article 14-27° de la loi du 6 août 2002 ;
Que dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 29 alinéa 1er, 30, 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881, et 593 du code de procédure pénale, de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Clément X... coupable de complicité de diffamation publique envers une administration publique, en l'espèce la police nationale ;
"aux motifs qu'est poursuivi à cet égard un passage du livre publié page 6 du livre, en introduction de l'ouvrage : « les contrôles d'identité au faciès, bien que prohibés par la loi, sont non seulement monnaie courante, mais se multiplient » ; que ce passage est précédé d'un premier développement sur les contrôles d'identité : «ceux-là (l'étranger, le jeune, le pauvre) connaissent la réalité de la présence policière et de l'intolérance que recèle la « tolérance zéro» ; le premier contact avec la police n'est en général pas rassurant : il a lieu dans la rue et prend la forme rude et souvent arbitraire du contrôle d'identité ; qu'à la suite se déroule dans des commissariats et brigades de gendarmerie, souvent en garde à vue » ; que le propos prêté à l'ensemble des services de police, et pas seulement à certains de leurs membres comme le fait valoir Clément X..., la commission très répandue (« sont (…) monnaie courante ») et croissante (« se multiplient») – et présentée comme susceptible de devenir la règle – de pratiques arbitraires et discriminatoires par la mise en oeuvre de contrôles d'identité « au faciès », c'est à dire fondés sur l'origine ethnique supposée des personnes contrôlées ; qu'il stigmatise cette pratique comme étant illégale (« prohibés par la loi ») ; qu'imputer, dans ces conditions, à la police, non des dysfonctionnements ponctuels, ainsi que le minimise Clément X..., mais la commission délibérée et à grande échelle d'infractions pénales – celles de discriminations – et la mise en oeuvre d'une politique arbitraire est attentatoire à l'honneur et à la considération de la police nationale ; que le passage contient l'imputation d'un fait déterminé – l'existence de pratiques discriminatoires par les fonctionnaires de police – susceptible de donner lieu à débats contradictoires, ainsi que cela ressort des documents versés au dossier qui illustrent la vivacité des controverses entretenues sur cette question ;
"alors que, pour constituer une diffamation, l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficultés l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire ; qu'en la cause, le propos tenu par Clément X... dans le cadre d'un débat plus vaste relatif aux pratiques sécuritaires, stigmatise non des comportements particuliers, mais une tendance assez répandue, dénoncée par différentes instances publiques et non publiques, de procéder à des contrôles d'identité « au faciès », s'inscrivant dans un vaste débat d'idées relatif au fonctionnement des institutions de la République, insusceptibles de constituer en tant que tel le délit de diffamation, s'agissant de l'expression d'une opinion critique, largement répandue, qui participait du nécessaire contrôle démocratique du fonctionnement des institutions publiques et du droit à l'information du public face aux possibles dérapages dans le fonctionnement desdites institutions ; qu'en décidant le contraire, l'arrêt a violé les textes et principes sus-évoqués" ;
Attendu que, pour reconnaître la caractère diffamatoire des propos incriminés, l'arrêt retient qu'ils imputent à la police la commission délibérée et à grande échelle de pratiques discriminatoires et la mise en oeuvre d'une politique arbitraire, ce qui constitue un fait précis susceptible de donner lieu à un débat contradictoire ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'ainsi, le moyen ne peut être admis ;
Mais, sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 29 alinéa 1er, 30, 42, 43 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Clément X... coupable de complicité de diffamation publique envers une administration publique, en rejetant l'exception de bonne foi ;
"aux motifs que "l'auteur de l'ouvrage poursuivait en l'espèce un but légitime en informant les lecteurs de l'état de la législation régissant les contrôles d'identité et des droits des citoyens en cette matière ; qu'il n'est par ailleurs pas démontré que les prévenus auraient été animés d'une animosité personnelle à l'égard de la police nationale ; que les éléments versés aux débats par Michel Y... et Clément X..., s'ils illustrent l'existence d'un débat sur la pratique des contrôles d'identité », n'établissent pour autant ni l'augmentation de pratiques discriminatoires en ce domaine, ni même la part très significative que représenteraient, selon ce passage, les pratiques illégales de la police, pratiques dont Clément X... lui-même prétend qu'il ne peut pas en rapporter la preuve, ni dès lors les chiffres ; qu'à cet égard, le rapport 2004 de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance et celui de la Commission nationale de déontologie de la sécurité pour 2005, au demeurant postérieurs à la date de publication du livre du Syndicat de la magistrature, se bornent à faire état des plaintes de citoyens contre des fonctionnaires de police pour discrimination, mais n'apportent aucun élément démontrant la réalité et l'ampleur du phénomène dénoncé ; que Clément X... ne pouvait ici se contenter de rapporter « une opinion couramment admise», comme il le soutient, alors qu'il ne démontre nullement en quoi l'allégation discutée serait communément admise au sein des familles de pensée les plus diverses ; que l'ouvrage en cause, présenté, non comme un ouvrage à caractère polémique, mais, ainsi que le souligne l'éditeur en page 4 de couverture, comme un guide juridique, ce qui lui donne une vocation d'objectivité – but qui est manifestement le sien au vu de ses nombreuses références de droit nominatif et de jurisprudence exigeait un effort tout particulier de rigueur ; que le propos, abusivement réducteur, est ici d'autant moins légitime ; que son auteur, magistrat de l'ordre judiciaire, est réputé parfaitement connaître tant la réalité des compétences des services de police – notamment les pouvoirs larges qui leur sont reconnus en matière de police des étrangers pour le contrôle des titres de séjour – que les missions confiées aux forces de l'ordre en matière de lutte contre l'immigration clandestine ; que l'affirmation, énoncée au nom d'un syndicat de magistrats, est de nature à être perçue par le lecteur comme bénéficiant de la garantie d'exactitude qui s'attache aux propos émanant de magistrats ; que les prévenus ne rapportent dès lors pas la preuve qu'ils disposaient d'éléments sérieux propres à justifier l'accusation portée ; qu'il n'a enfin été usé d'aucune prudence, le passage en cause procédant par pure affirmation et sans la moindre réserve, pour présenter de façon péremptoire comme établi le comportement reproché à l'ensemble de la police nationale, et usant d'un ton polémique en totale contradiction avec le but éducatif recherché de l'ouvrage ; que le bénéfice de la bonne foi sera en conséquence refusé aux prévenus» ;
"alors que, dans le domaine du débat d'idées, portant sur les opinions et doctrines relatives au rôle et au fonctionnement des institutions de l'Etat, et notamment de l'institution de la police nationale, le fait justificatif de la bonne foi, propre à la diffamation, n'est pas nécessairement subordonné à la prudence dans l'expression de la pensée ; qu'en l'espèce, Clément X... s'est borné à porter un regard critique sur certains dysfonctionnements de la police nationale, dans le cadre d'un débat d'idées portant la pratique du contrôle d'identité et l'application des lois sécuritaires, débat d'idées nécessaire au regard de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, et compatible avec les critiques d'une société démocratique, en sorte qu'il n'avait pas à faire preuve d'une particulière prudence dans l'expression de sa pensée ; qu'ainsi en faisant référence au «but légitime» poursuivi par l'auteur de l'ouvrage, consistant à informer les lecteurs de l'état de la législation régissant les contrôles d'identité et les droits des citoyens en la matière, ainsi qu'à son absence d'animosité personnelle à l'égard de la police nationale, tout en déduisant l'absence de bonne foi d'un prétendu manque de prudence dans l'expression et de l'absence d'éléments sérieux propres à justifier son affirmation dans le passage en cause, la cour d'appel a méconnu les principes édictées par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, particulièrement le principe de proportionnalité posé par l'article 10 précité" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ;
Attendu que, pour écarter le bénéfice de la bonne foi et dire la prévention établie, l'arrêt, après avoir admis que l'auteur de l'ouvrage poursuivait un but légitime en informant les lecteurs de l'état de la législation régissant les contrôles d'identité et des droits des citoyens en cette matière, et qu'aucune animosité personnelle à l'égard de la police nationale n'était démontrée, retient que "les éléments versés aux débats par Michel Y... et Clément X..., s'ils illustrent l'existence d'un débat sur la pratique des contrôles d'identité, n'établissent pas pour autant ni l'augmentation de pratiques discriminatoires en ce domaine, ni même la part très significative que représenteraient, selon ce passage, les pratiques illégales de la police, pratiques dont Clément X... lui-même prétend qu'il ne peut pas en rapporter la preuve, ni dès lors les chiffrer" ; que les juges ajoutent que les pièces produites "n'apportent aucun élément démontrant la réalité et l'ampleur du phénomène dénoncé" ;
Mais attendu qu'en subordonnant le sérieux de l'enquête à la preuve de la vérité des faits, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de PARIS, en date du 18 janvier 2007, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de PARIS et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept juin deux mille huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;