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26/03/2008 | FRANCE | N°06-87838

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 mars 2008, 06-87838


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Laurent,
- L'ASSOCIATION CAVE CANEM PAYS VIENNOIS,
civilement responsable,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 12 septembre 2006, qui, pour diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, a condamné le premier à 1 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit commun aux demand

eurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Conve...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Laurent,
- L'ASSOCIATION CAVE CANEM PAYS VIENNOIS,
civilement responsable,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 12 septembre 2006, qui, pour diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, a condamné le premier à 1 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 et 31 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Laurent X... coupable de diffamation envers une personne chargée d'un mandat électif à raison de la publication en juillet 2005 du numéro 23 du journal Cave Canem, et l'a condamné à une amende de 1 000 euros et, sur l'action civile, a condamné Laurent X... à verser à Jacques Y... la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 1 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale et a déclaré l'association Cave Canem civilement responsable ;

"aux motifs que Jacques Y... reproche aux prévenus de le présenter, dans l'article incriminé du numéro de juillet 2005 du journal Cave Canem, comme ayant «honoré la mémoire d'un complice de la pandémie du SIDA et d'un assassin, en donnant le nom de Jean-Paul II à un parvis de la commune» ; que si, en soi, le fait d'écrire que Jacques Y... a donné «un gage de plus à son électorat catholique en inaugurant le parvis «Jean-Paul II» devant la cathédrale Saint-Maurice» ne constitue pas une diffamation, un tel écrit prend un caractère diffamatoire lorsque, comme en l'espèce, le pape Jean-Paul II y est qualifié, quelques lignes plus loin, d'assassin et de « complice de la pandémie du SIDA», dès lors que le responsable de la publication de ce texte a bien eu conscience que cette mise en cause du pape ne pouvait que rejaillir sur celui qui avait présidé à la cérémonie officialisant la nouvelle désignation d'un lieu public ; que la relation de ce fait précis que constitue cette inauguration, qui tend à présenter Jacques Y... comme apportant, à des fins électorales, son adhésion personnelle, à l'action pontificale du pape Jean-Paul II, désigné comme ayant été un assassin et le complice de la propagation d'une maladie qui touche plus de 42 millions de personnes et tue chaque jour 10 000 d'entre elles est de nature diffamatoire ; qu'en effet porte atteinte à son honneur et à sa considération, l'article qui désigne la partie civile comme rendant hommage à une personne qu'il qualifie d'assassin et laisse ainsi entendre qu'elle est prête, pour des visées électoralistes, à cautionner la commission d'une des infractions pénales les plus graves ; que le caractère outrancier de cette présentation est exclusif de toute bonne foi ; que les prévenus ont déclaré à l'audience que la revue Cave Canem est tirée à 450 exemplaires et diffusée par abonnement à 400 personnes, ce qui établit l'élément de publicité nécessaire à la caractérisation de l'infraction de diffamation publique ; que Jacques Y... est bien visé à raison d'un acte (inauguration d'un lieu public communal) qu'il a accompli en sa qualité de maire et qui faisait suite, ainsi que le rappelle l'article incriminé, à une décision de la municipalité de Vienne ;

"alors que, d'une part, en matière de presse, il appartient à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le sens et la portée des propos incriminés au regard des articles de la loi du 29 juillet 1881 servant de base à la poursuite, ainsi que sur l'identification de la victime de l'infraction ; que les restrictions à la liberté d'expression sont d'interprétation étroite ; que sont diffamatoires les propos qui portent atteinte à l'honneur et à la considération de la personne qui se prétend victime ; que les propos doivent reprocher à la personne qui se prétend victime des faits qui en eux-mêmes portent atteinte à son honneur et à sa considération pour pouvoir être qualifiés de diffamation ; qu'il résulte des termes de l'article incriminé qu'il rendait compte du fait que la partie civile avait inauguré un parvis au nom du pape Jean-Paul II pour faire plaisir à son électorat catholique ; que cet article ajoutait qu'ainsi le député maire honorait un homme qui était complice de la propagation du SIDA ajoutant sur un ton volontairement polémique et exagéré qu'il s'agissait d'un assassin, ce qui visait les positions du pape contre la contraception et leur effet sur les politiques de lutte contre le SIDA, qui avaient déjà fait l'objet d'un large débat et de critiques et ce que confirmait les passages de l'article non visés à la prévention ; que, si l'article reprochait au député d'avoir inauguré un parvis au nom d'un homme qui avait pris des positions dangereuses en termes de santé publique, il n'affirme aucunement, même par insinuation, que le député maire, par l'inauguration du parvis, cautionnait les positions du pape sur cette question et encore moins des crimes au sens pénal du terme, contrairement à ce qu'affirme la cour d'appel ; que la seule critique de la décision de procéder à l'inauguration d'un parvis au nom d'une personne présentée comme ayant pris des positions considérées comme dangereuses ou même qualifiée d'assassin, n'imputait aucun fait précis à la partie civile de nature à porter atteinte à son honneur et à sa considération ;

"alors que, d'autre part, pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise d'un fait de nature à être l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire ; que la cour d'appel a considéré que les propos en cause étaient diffamatoires envers la partie civile en ce qu'ils laissaient entendre qu'elle cautionnait des crimes commis par Jean-Paul II ; que les propos incriminés critiquaient l'inauguration d'un parvis au nom du Pape Jean Paul II qui était qualifié d'assassin pour sa complicité dans la propagation du SIDA, ce que les passages de l'article non visés dans l'acte de prévention confirmaient ; qu'ils exprimaient uniquement une opinion sur le sens de l'inauguration du parvis au nom du pape en termes injurieux à l'égard de celui-ci et éventuellement de la partie civile, mais ne comportaient l'imputation à cette dernière d'aucun fait précis susceptible de faire l'objet d'une preuve autre que l'inauguration du parvis, fait qui n'était pas en soi de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération ;

"alors qu'enfin, au regard de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, la protection de la réputation d'un homme politique doit être conciliée avec la libre discussion de l'activité publique de cette personne ; que les prises de position contre l'action d'un homme politique, dès lors qu'elles ne comportent aucune attaque sur sa vie privée, peuvent comporter une certaine dose d'exagération lorsqu'elles s'inscrivent dans le cadre d'une polémique politique ou d'un sujet d'intérêt général ; que, dès lors, la cour d'appel qui a considéré que les propos en cause en ce qu'ils affirmaient que le député maire avait inauguré un parvis au nom du Pape Jean-Paul II qui était un assassin étaient diffamatoires à l'égard de ce député maire, sans prendre en compte, comme cela était soutenu dans les conclusions déposées pour les prévenus, le fait que les propos incriminés s'inscrivaient dans le cadre d'un débat d'ordre politique sur les limites des actions des hommes politiques compatibles avec le principe de laïcité et d'un débat d'intérêt général, déjà largement diffusé, sur l'influence des prises de position du pape contre la contraception dans la propagation du SIDA, ce que confirmait les termes de l'article non visés à la prévention et la reproduction sur la page de l'article de l'affiche d'ACT UP ayant affirmé que le pape était un assassin, ni considérer que l'article avait été diffusé dans un journal d'opinion satirique défendant une tendance politique opposée à celle de la partie civile comme l'avaient précisé les conclusions déposées pour le prévenu et l'association Cave Canem, éditrice d'un journal faisant l'objet d'une diffusion limitée essentiellement à des abonnés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;

Vu les articles 29 et 31 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu qu'il appartient à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le point de savoir si, dans les propos retenus dans la prévention, se retrouvent les éléments légaux de la diffamation publique tels qu'ils sont définis par les articles 29 et 31 de la loi précitée ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Jacques Y..., député et maire de Vienne (Isère), a fait citer devant le tribunal correctionnel Laurent X..., directeur de publication du journal Cave Canem, du chef de diffamation envers un citoyen chargé d'un mandat public, notamment à la suite de la publication, dans le numéro 23 du mois de juillet 2005 dudit journal, des propos suivants : "Fidèle à ses récentes allégations par lesquelles il rendait gloire à feu Jean-Paul II, ... le Y... n'a pas hésité à donner un gage de plus à son électorat catholique en inaugurant, le 1er juillet dernier, le parvis "Jean-Paul II" devant la cathédrale Saint-Maurice. Ainsi la municipalité bien-pensante de Vienne a délibérément pris la lourde responsabilité d'honorer publiquement la mémoire de celui qui restera dans l'histoire comme le tout premier complice de la pandémie de SIDA qui touche plus de 42 millions de personnes et tue chaque jour 10 000 d'entre elles... Car, aux antipodes de l'image d'Epinal, véhiculée par le Y..., d'un pape "qui a oeuvré pour que l'Europe se libère de ses divisions et retrouve pacifiquement les chemins de la liberté", Jean-Paul II était un assassin" ; que les premiers juges ont relaxé le prévenu et débouté la partie civile de ses demandes ;

Attendu que, pour infirmer le jugement entrepris et dire Laurent X... coupable du délit poursuivi, les juges du second degré retiennent que si le fait d'écrire que Jacques Y..., partie civile, a donné un gage de plus à son électorat catholique en inaugurant le parvis Jean-Paul II devant la cathédrale Saint-Maurice n'est pas en soi diffamatoire, les propos dénoncés acquièrent un tel caractère dès lors que le pape Jean-Paul II est qualifié, quelques lignes plus loin dans le même texte, "d'assassin et de complice de la pandémie du SIDA", et que cette mise en cause porte nécessairement atteinte à l'honneur et à la considération de la partie civile, présentée comme prête à cautionner la commission d'une des infractions pénales les plus graves ;

Mais attendu qu'en décidant ainsi, alors que les propos en cause ne comportaient l'articulation d'aucun fait précis à l'égard de la partie civile et que la diffamation visant une personne ne peut rejaillir sur une autre que si les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative, ou par voie d'insinuation, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision;

D'où il suit que la cassation est encourue ; que, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE en ses seules dispositions ayant dit établi le délit de diffamation envers un citoyen chargé d'un mandat public, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 12 septembre 2006, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Anzani, Palisse, MM. Beauvais, Guérin conseillers de la chambre, Mme Ménotti conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Charpenel ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 06-87838
Date de la décision : 26/03/2008
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément matériel - Désignation de la personne ou du corps visé - Personne visée indirectement - Condition

La diffamation visant une personne ne peut rejaillir sur une autre que dans la mesure où les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative, ou par voie d'insinuation. Tel n'est pas le cas à l'égard du maire d'une commune lorsque les propos par lui incriminés rendent compte de l'inauguration par ses soins du parvis d'une cathédrale dédié à un pape, mais ne comportent que des critiques visant les positions attribuées à ce dernier dans le domaine de la contraception et leurs lourdes répercussions en termes de santé publique


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 12 septembre 2006

Sur les conditions dans lesquelles le délit de diffamation est caractérisé, à rapprocher :Crim., 24 octobre 1967, pourvoi n° 66-93296, Bull. crim. 1967, n° 264 (cassation partielle) ;Crim., 23 mars 1978, pourvoi n° 77-90339, Bull. crim. 1978, n° 115 (1) (rejet) ;2e Civ., 11 février 1999, pourvoi n° 97-10465, Bull. 1999, II, n° 25 (rejet)


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 26 mar. 2008, pourvoi n°06-87838, Bull. crim. criminel 2008, N° 78
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2008, N° 78

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Charpenel
Rapporteur ?: Mme Guirimand
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2008:06.87838
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