LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 octobre 2006), que, par acte des 5 et 15 mars 2004, les consorts X..., qui avaient donné à bail pour une durée de 9 ans à compter du 15 juillet 2002 des locaux à usage commercial à M. Y... aux droits duquel est venue la société Espace 92, ont délivré congés à cette dernière pour le 15 juillet 2011 avec refus de renouvellement et de paiement d'une indemnité d'éviction pour défaut d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ; que la société Espace 92 a assigné les bailleurs en nullité de ces congés ; que la société Compagnie française d'investissements (Cofrinvest), venue aux droits des consorts X..., est intervenue volontairement à la procédure ;
Attendu que la société Cofrinvest fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande de la société Espace 92, alors, selon le moyen :
1°/ que l'absence d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés à la date de la délivrance du congé constitue à elle seule un motif valable de congé avec refus de renouvellement de bail et refus d'indemnité d'éviction ; qu'il ressort des constatations même de l'arrêt attaqué qu'à la date de la délivrance des congés à la société à responsabilité limitée Espace 92, soit les 5 et 15 mars 2004, celle-ci n'était pas inscrite au registre du commerce et des sociétés de Versailles dans le ressort duquel elle exerçait son commerce ; qu'en refusant néanmoins de valider les congés délivrés à la société Espace 92 avec refus de renouvellement sans offre de paiement d'une indemnité d'éviction, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article L. 145-1 du code de commerce ;
2°/ que le défaut d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés à la date de la délivrance du congé justifie à lui seul le congé avec refus de renouvellement du bail et d'indemnité d'éviction ; qu'en énonçant, pour écarter la validité des congés délivrés à la société Espace 92, que les consorts X... n'avaient pas d'intérêt personnel à la délivrance des congés, la cour d'appel, qui a ainsi ajouté une condition que la loi ne prévoit pas, la validité d'un congé n'étant pas subordonnée à la preuve de l'intérêt qu'y trouve le bailleur, a violé l'article L. 145-1 du code de commerce ;
3°/ que le seul fait pour le locataire commerçant de ne pas être immatriculé au registre du commerce et des sociétés à la date de la délivrance du congé justifie le congé avec refus de renouvellement de bail commercial sans offre de paiement d'une indemnité d'éviction ; qu'il était acquis et non contesté que la société Espace 92 n'était pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés le jour de la délivrance des congés, ce qui justifiait les congés contenant refus de renouvellement du bail et d'indemnité d'éviction ; qu'en retenant que la délivrance des congés moins de deux mois après la dénonciation de l'acquisition de fonds de commerce au bailleur et alors que la société Espace 92 avait entrepris dès janvier 2004 les démarches en vue de son immatriculation était le résultat de la collusion frauduleuse des consorts X... avec la société Cofrinvest qui aurait été dans l'impossibilité de se prévaloir du défaut d'immatriculation au moment de la signature de l'acte de vente, la cour d'appel qui s'est prononcée par des motifs inopérants, impropres à établir la validité des congés délivrés à la société Espace 92, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-1 du code de commerce et de la règle selon laquelle "la fraude corrompt tout" ;
4°/ que la fraude ne se présume pas ; qu'en l'espèce, dès lors que la société Espace 92 n'était pas immatriculée au registre du commerce à la date de la délivrance du congé, le bailleur pouvait, sans fraude, lui donner congé ; qu'en énonçant que la délivrance des congés moins de deux mois après la dénonciation de l'acquisition du fonds de commerce au bailleur et alors que la société Espace 92 avaient entrepris dès janvier 2004 les démarches en vue de son immatriculation était le résultait de la collusion frauduleuse des consorts X... avec la société Cofrinvest qui aurait été dans l'impossibilité de se prévaloir du défaut d'immatriculation au moment de la signature de l'acte de vente, sans relever aucune circonstance de nature à caractériser la fraude reprochée aux bailleurs, notamment sans indiquer quelle règle de droit les consorts X... auraient entendu éludé ni préciser en quoi les éléments qu'elle avait relevés auraient caractérisé la volonté des consorts X... et de la société Cofrinvest de faire frauduleusement échec aux droits de la société Espace 92, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-1 du code de commerce et de la règle selon laquelle "la fraude corrompt tout" ;
Mais attendu que la fraude affectant un acte juridique justifie son annulation ; qu'ayant constaté que les consorts X... n'avaient pas d'intérêt personnel à la délivrance des congés qui servaient l'intérêt exclusif de la société Cofrinvest au profit de laquelle ils avaient signé une promesse de vente le 15 novembre 2003 et qui ne pouvait pas encore agir puisqu'elle n'est devenue propriétaire des locaux que le jour de la signature de la vente en la forme authentique le 10 mai 2005 et souverainement retenu que la délivrance de ces congés à la société Espace 92 moins de deux mois après la dénonciation par cette dernière aux bailleurs de l'acquisition de son fonds de commerce et alors qu'elle avait entrepris dès janvier 2004 les démarches en vue de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, était le résultat de la collusion frauduleuse entre la société Cofrinvest et les consorts X..., lesquels connaissaient le but des congés délivrés en leur nom, à savoir faire échec au renouvellement du bail et au paiement d'une indemnité d'éviction au profit de la société Espace 92, alors que la société Cofrinvest aurait été dans l'impossibilité de se prévaloir du défaut d'immatriculation de la locataire au moment de la signature de l'acte de vente, la cour d'appel qui, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a exactement déduit que les congés frauduleusement délivrés à la société Espace 92 étaient entachés de nullité et ne pouvaient recevoir effet, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Cofrinvest aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Cofrinvest à payer à la société Espace 92 la somme de 2 000 euros ; rejette la demande de la société Cofrinvest ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille huit.