LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
-X... Christian,
-Y... Eric,
-Z... Thierry,
-LA SOCIÉTÉ LE FIGARO, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 13 septembre 2006, qui, pour diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité, a condamné les trois premiers à 2. 000 euros d'amende chacun, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 29,31 et 35 de la loi du 29 juillet 1881,591 et 593 du code de procédure pénale,10 de la Déclaration européenne des droits de l'Homme et des droits fondamentaux, défaut de base légale, violation de la loi ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Christian X... en qualité d'auteur principal, Eric Y... et Thierry Z..., en qualité de complices, coupables du délit de diffamation publique envers un fonctionnaire public, au préjudice de Laurent A... et les a condamnés chacun au paiement d'une amende de 2 000 euros, et solidairement à verser à la partie civile la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, la société Le Figaro étant déclarée civilement responsable ;
" aux motifs que les premiers juges ont, à bon droit et par des motifs pertinents que la cour fait siens, jugé que le second passage visé dans la plainte était diffamatoire ; qu'en effet, ce passage – qui doit être examiné en son ensemble – impute à Laurent A... d'avoir été « manoeuvré » par Marc B... dans son activité professionnelle et d'avoir été, en raison d'une rancune tenace, à l'origine des « déboires » de Marc B... avec la justice, en cherchant à instrumentaliser la justice pénale et en participant, avec d'autres, à déstabiliser ce magistrat dans le cadre d'un complot maçonnique ; que les prévenus prétendent qu'en tout état de cause, la poursuite aurait dû être fondée sur l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée et non sur l'article 31 de cette loi, au motif que les agissements reprochés à Laurent A... ne sont pas susceptibles de se rattacher à sa fonction de magistrat, à un abus de sa fonction ou encore à sa qualité de magistrat ; mais que le tribunal a, au terme d'une analyse pertinente à laquelle souscrit la Cour, exactement jugé que Laurent A... n'était pas visé en tant que particulier mais bien en sa qualité de magistrat ; qu'en effet, il est fait état d'un conflit initial de nature professionnelle et, en rapprochant les deux passages poursuivis, le lecteur normalement averti retient que la référence au complot maçonnique concerne l'utilisation qu'aurait faite Laurent A... de ses fonctions pour, dans l'intérêt de la franc-maçonnerie, nuire à Marc B... en 2003 comme en 1998 ; que les prévenus qui n'ont pas offert de rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires invoquent le bénéfice de la bonne foi ; que quatre éléments doivent être réunis pour que la bonne foi puisse être reconnue au prévenu : la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression, ainsi que la qualité de l'enquête ; qu'il suffit que l'un d'entre eux fasse défaut pour que la bonne foi ne soit pas accueillie ; que la légitimité du but poursuivi et l'absence d'animosité personnelle sont ici, ainsi que les premiers juges l'ont relevé, établies pour les deux passages incriminés ; que s'agissant du premier passage poursuivi, si les extraits incriminés figurent bien dans le procès-verbal d'audition de Marc B..., force est de constater, à l'examen de ce procès-verbal, que les journalistes ne se sont pas bornés à les reproduire mais, alors qu'environ 20 lignes seulement sur les 185 sont reprises, font apparaître une véritable thèse en les regroupant sous des intertitres rédigés par eux, laissant faussement présumer qu'ils sont dans la continuité des déclarations de l'intéressé, donnant une force et une cohérence certaines aux affirmations de Marc B..., qui ne reflètent pas exactement les réflexions de celui-ci ; qu'à défaut d'autres éléments d'enquête, la bonne foi ne saurait dès lors être reconnue ; que la décision des premiers juges sera donc réformée sur ce point ; qu'en revanche, les premiers juges ont, à bon droit, refusé le bénéfice de la bonne foi aux prévenus en ce qui concerne le deuxième passage poursuivi ; qu'en effet, la prudence dans l'expression fait défaut et la mise en cause centrale de Laurent A... dans l'origine des déboires de Marc B... aurait dû conduire les signataires de l'article à respecter le caractère contradictoire de l'enquête, le procès-verbal précité, à partir duquel les journalistes ont rédigé le passage poursuivi, ne leur permettant pas, à défaut d'autres éléments, de dire de façon aussi péremptoire qu'il avait désigné Laurent A... comme étant à l'origine de ses déboires avec la justice et donc de le mettre ainsi en cause ; qu'en outre, à supposer que les journalistes aient été en contact avec Laurent A..., antérieurement à la parution de l'article – comme ils le soutiennent ce que celui-ci dénie-, il résulte des déclarations des journalistes devant la cour qu'ils ne lui ont pas indiqué qu'ils l'interrogeaient dans le cadre de l'affaire C..., faussant ainsi le caractère contradictoire de leur enquête ;
" alors, d'une part, que la simple reproduction dans un article de presse des termes d'un procès-verbal d'audition, sans outrance ni animosité ne peut constituer un manque de prudence dans l'expression de la pensée ; que les journalistes n'ont fait que reproduire des extraits du procès-verbal d'audition du substitut B..., sans en altérer les termes ; qu'en décidant pourtant que le choix des extraits et leur ordonnancement suffisait à priver de prudence l'expression des journalistes, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" alors, d'autre part, que dans le domaine de la polémique politique portant sur les opinions et les doctrines relatives au rôle et au fonctionnement des institutions fondamentales de l'Etat, la bonne foi n'est pas nécessairement subordonnée à la prudence dans l'expression de la pensée ; que la justice comptant au nombre de ces institutions fondamentales, son fonctionnement nécessite l'information la plus libre des citoyens ; que dès lors le bénéfice de la bonne foi ne saurait être subordonné à la prudence dans l'expression de la pensée lorsque ce sujet fondamental est abordé ; en décidant le contraire et en refusant aux prévenus le bénéfice de la bonne foi en raison du ton polémique de l'article incriminé, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
" alors, en outre, qu'il était soutenu que la partie civile, magistrat instructeur au Tribunal de grande instance de Toulouse au moment des faits objet de l'article, avait été interrogée par les journalistes auteurs de l'article mais n'avait pas souhaité qu'il soit fait état de ses propos ; qu'eu égard à l'importance de l'affaire traitée par l'article, il ne pouvait être considéré que la partie civile n'aurait pas eu une claire conscience de l'objet de l'enquête des journalistes ni déduit de la prétendue ignorance dans laquelle elle se serait trouvée le défaut de caractère contradictoire de l'enquête ; qu'en reprochant néanmoins aux journalistes le prétendu caractère non contradictoire de leur enquête, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen ;
" alors, enfin, que le sérieux de l'enquête peut être prouvé par tous moyens ; que les prévenus avaient fourni des documents pertinents émanant de l'autorité judiciaire, chef de juridiction ou inspection des services judiciaires, faisant état des relations plus que difficiles ayant existé entre M.B... et un magistrat instructeur du Tribunal de grande instance de Toulouse, ces documents employant le terme particulièrement fort de « déstabilisation » à propos de manoeuvres auxquelles se serait livré ce magistrat ; que la cour d'appel ne pouvait dénier le sérieux de l'enquête préalable des journaliste poursuivis, sans examiner les éléments produits par les prévenus afin de prouver le sérieux de leur enquête et partant leur bonne foi ; qu'en se bornant à énoncer que le procès-verbal d'audition de la partie civile ne leur permettait pas « à défaut d'autres éléments » d'affirmer que M.B... avait désigné M.A... comme étant à l'origine de ses déboires, sans s'expliquer sur les documents ainsi invoqués, la cour d'appel a omis de répondre à un chef péremptoire des conclusions des prévenus et entaché son arrêt d'un défaut de motifs » ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs répondant aux conclusions dont elle était saisie, a, sans insuffisance ni contradiction, exposé les circonstances particulières invoquées par les prévenus et énoncé les faits sur lesquels elle s'est fondée pour écarter l'admission à leur profit du bénéfice de la bonne foi ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29,31 et 35 de la loi du 29 juillet 1881,515,591 et 593 du code de procédure pénale, violation de la loi ;
" en ce que l'arrêt infirmatif a déclaré Christian X... en qualité d'auteur principal, Eric Y... et Thierry Z..., en qualité de complices, coupables du délit de diffamation publique envers un fonctionnaire public, au préjudice de Laurent A... et les a condamnés chacun au paiement d'une amende de 2 000 euros,
" aux motifs que les premiers juges ont, à bon droit et par des motifs pertinents que la Cour fait siens, jugé que le second passage visé dans la plainte était diffamatoire ; qu'en effet, ce passage – qui doit être examiné en son ensemble – impute à Laurent A... d'avoir été « manoeuvré » par Marc B... dans son activité professionnelle et d'avoir été, en raison d'une rancune tenace, à l'origine des « déboires » de Marc B... avec la justice, en cherchant à instrumentaliser la justice pénale et en participant, avec d'autres, à déstabiliser ce magistrat dans le cadre d'un complot maçonnique ; que les prévenus prétendent qu'en tout état de cause, la poursuite aurait dû être fondée sur l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée et non sur l'article 31 de cette loi, au motif que les agissements reprochés à Laurent A... ne sont pas susceptibles de se rattacher à sa fonction de magistrat, à un abus de sa fonction ou encore à sa qualité de magistrat ; mais que le tribunal a, au terme d'une analyse pertinente à laquelle souscrit la cour, exactement jugé que Laurent A... n'était pas visé en tant que particulier mais bien en sa qualité de magistrat ; qu'en effet, il est fait état d'un conflit initial de nature professionnelle et, en rapprochant les deux passages poursuivis, le lecteur normalement averti retient que la référence au complot maçonnique concerne l'utilisation qu'aurait faite Laurent A... de ses fonctions pour, dans l'intérêt de la franc-maçonnerie, nuire à Marc B... en 2003 comme en 1998 ; que les prévenus qui n'ont pas offert de rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires invoquent le bénéfice de la bonne foi ; que quatre éléments doivent être réunis pour que la bonne foi puisse être reconnue au prévenu : la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression, ainsi que la qualité de l'enquête ; qu'il suffit que l'un d'entre eux fasse défaut pour que la bonne foi ne soit pas accueillie ; que la légitimité du but poursuivi et l'absence d'animosité personnelle sont ici, ainsi que les premiers juges l'ont relevé, établies pour les deux passages incriminés ; que s'agissant du premier passage poursuivi, si les extraits incriminés figurent bien dans le procès-verbal d'audition de Marc B..., force est de constater, à l'examen de ce procès-verbal, que les journalistes ne se sont pas bornés à les reproduire mais, alors qu'environ vingt lignes seulement sur les 185 sont reprises, font apparaître une véritable thèse en les regroupant sous des intertitres rédigés par eux, laissant faussement présumer qu'ils sont dans la continuité des déclarations de l'intéressé, donnant une force et une cohérence certaines aux affirmations de Marc B..., qui ne reflètent pas exactement les réflexions de celui-ci ; qu'à défaut d'autres éléments d'enquête, la bonne foi ne saurait dès lors être reconnue ; que la décision des premiers juges sera donc réformée sur ce point ; qu'en revanche, les premiers juges ont, à bon droit, refusé le bénéfice de la bonne foi aux prévenus en ce qui concerne le deuxième passage poursuivi ; qu'en effet, la prudence dans l'expression fait défaut et la mise en cause centrale de Laurent A... dans l'origine des déboires de Marc B... aurait dû conduire les signataires de l'article à respecter le caractère contradictoire de l'enquête, le procès-verbal précité, à partir duquel les journalistes ont rédigé le passage poursuivi, ne leur permettant pas, à défaut d'autres éléments, de dire de façon aussi péremptoire qu'il avait désigné Laurent A... comme étant à l'origine de ses déboires avec la justice et donc de le mettre ainsi en cause ; qu'en outre, à supposer que les journalistes aient été en contact avec Laurent A..., antérieurement à la parution de l'article – comme ils le soutiennent ce que celui-ci dénie-il résulte des déclarations des journalistes devant la cour qu'ils ne lui ont pas indiqué qu'ils l'interrogeaient dans le cadre de l'affaire C..., faussant ainsi le caractère contradictoire de leur enquête ;
" alors que les juges du second degré ne peuvent, en l'absence d'appel du ministère public, aggraver le sort du prévenu ; que le jugement du tribunal correctionnel de Paris avait condamné chacun des prévenus à une peine d'amende de 1 000 euros ; que saisie des seuls appels de la partie civile, des prévenus et du civilement responsable, la cour d'appel a porté cette peine à 2 000 euros, violant ainsi les textes visés au moyen " ;
Vu l'article 515 du code de procédure pénale ; Attendu que la cour ne peut, sur le seul appel du prévenu, aggraver le sort de l'appelant ; Attendu que, saisi des poursuites exercées contre Christian X..., Eric Y... et Thierry Z... des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité, le tribunal correctionnel a dit la prévention partiellement établie et condamné les prévenus à une amende de 1. 000 euros chacun ; que les juges du second degré, sur les seuls appels des prévenus et de la partie civile, ont infirmé le jugement sur la culpabilité, déclaré les prévenus coupables de l'ensemble des faits poursuivis et porté les amendes à 2 000 euros ; Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'en l'absence d'appel du ministère public, le sort des prévenus ne pouvait être aggravé sur l'action publique, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ; D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; Par ces motifs : CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 13 septembre 2006, en ses seules dispositions concernant la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale en faveur de Laurent A... ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;