LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente mai deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire LAZERGES, les observations de la société civile professionnelle VUITTON et de la société civile professionnelle BACHELLIER et POTIER de la VARDE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHARPENEL ;
CASSATION et désignation de juridiction sur le pourvoi formé par X... Christiane, Y... Charles-Louis, contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, en date du 4 avril 2006, qui, pour diffamation publique envers particulier et envers fonctionnaire public, atteinte à l'intimité de la vie privée, prise du nom d'un tiers dans des circonstances qui auraient pu déterminer contre lui des poursuites pénales, a condamné, la première, à deux mois d'emprisonnement avec sursis et, le second, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication sur plusieurs sites internet de propos et photos mettant en cause Pierre Y..., magistrat, et son épouse, Mireille Z..., puis de l'envoi à plusieurs journaux d'un communiqué, faussement présenté comme émanant du fils de Mireille Z... et de son premier mari, invitant à consulter ces sites, le procureur de la République a délivré un réquisitoire à fin d'informer des chefs de prise du nom d'un tiers dans des circonstances qui auraient pu déterminer contre lui des poursuites pénales, atteinte à l'intimité de la vie privée, diffamation "aggravée", diffamation envers un particulier ; que le réquisitoire se bornait à reproduire l'intégralité du texte publié sur internet et visait cumulativement les articles 31 et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 ; que Christiane X..., première épouse de Pierre Y..., et leur fils Charles-Louis Y..., renvoyés devant le tribunal correctionnel, ont été déclarés coupables des délits précités ; qu'ils ont relevé appel du jugement ;
En cet état ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 50 de la loi du 29 juillet 1881, 434-23 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Christiane X... et Charles-Louis Y... coupables du délit d'usurpation d'état civil commis au préjudice de Laurent Z... et Anselme A..., et a statué sur les actions publique et civile ;
"aux motifs que, en faisant figurer les noms de Laurent Z... et Anselme A..., sur les sites dont s'agit ainsi que sur l'e-mail adressé aux journalistes et recommandant à ceux-ci de prendre connaissance des sites web dont la liste était fournie, les deux prévenus ont en connaissance de cause pris le nom de l'un et de l'autre dans des circonstances qui auraient pu déterminer contre chacun d'eux des poursuites pénales ; que les précisions fournies par Christiane X... et Charles-Louis Y... étaient suffisantes pour entraîner une inscription aux casiers judiciaires de Laurent Z... et Anselme A... ; que le but poursuivi par les deux prévenus était de détourner les soupçons relatifs aux agissements reprochés sur lesdites personnes ;
"alors que, d'une part, l'infraction d'usurpation d'état civil est connexe à l'infraction de diffamation ; qu'en l'état de la nullité du réquisitoire introductif, en date du 30 septembre 2002, entaché de nullité, entraînant par voie de conséquence la nullité des poursuites, l'infraction d'usurpation d'état civil ne pouvait être légalement poursuivie ; qu'en conséquence, la cassation à venir sur le premier moyen de cassation entraînera la cassation, par voie de conséquence, sur le deuxième moyen ;
"alors que, d'autre part, l'infraction d'usurpation d'état civil n'est punissable que lorsqu'elle a été commise dans des conditions qui ont déterminé ou aurait pu déterminer l'inscription d'une condamnation au casier judiciaire de la personne dont l'identité a été usurpée ; qu'en l'espèce, en l'état de la nullité du réquisitoire introductif, en date du 30 septembre 2002, entaché de nullité, entraînant par voie de conséquence la nullité des poursuites de l'ensemble des infractions visées à ce réquisitoire, les infractions poursuivies ne pouvaient donner lieu à condamnation et donc entraîner une inscription au casier judiciaire des personnes dont l'identité a été usurpée ; qu'en conséquence, la cassation à venir sur le premier moyen de cassation entraînera la cassation, par voie de conséquence, sur le deuxième moyen ;
"alors que, en tout état de cause, le fait d'utiliser le nom de deux personnes dans une adresse électronique ne constitue pas une usurpation d'identité" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 50 de la loi du 29 juillet 1881 226-1, 226-2 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Charles-Louis Y... et Christiane X... coupables d'avoir porté atteinte à la vie privée de Mireille Z..., a statué sur l'action publique et prononcé sur les intérêts civils ;
"aux motifs que, en ce qui concerne Mireille Z..., épouse Y..., les deux prévenus ont sciemment porté atteinte à la vie privée de celle-ci en publiant sur des sites internet et dans le magazine Entrevue du mois d'octobre 2002 des photographies la représentant nue ou en partie dénudée dans un lieu privé, sans son consentement ; que les clichés ayant été pris à l'intérieur d'un appartement, l'atteinte à la vie privée est constituée au sens de l'article 226-1 du code pénal ;
"alors que l'infraction d'atteinte à la vie privée est connexe à celle de diffamation ; qu'en l'état de nullité du réquisitoire introductif, entraînant la nullité des poursuites subséquentes, le délit d'atteinte à la vie privée ne pouvait être légalement poursuivi et les juges du fond ne pouvaient en connaître ; qu'en statuant sur les actions publique et civile nées de l'infraction d'atteinte à la vie privée, la cour a méconnu les textes visés au moyen" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, si la méconnaissance des prescriptions de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, peut entraîner la nullité de la poursuite des chefs de diffamation envers un particulier et de diffamation envers un fonctionnaire public, elle ne saurait affecter la régularité du réquisitoire quant aux infractions de droit commun qui y sont visées, celles-ci fussent-elles connexes aux délits de presse ;
D'où il suit que les moyens ne peuvent être admis ;
Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 50 et 65 de la loi du 29 juillet 1881, 593 du code de procédure pénale, manque de base légale :
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Christiane X..., épouse Y..., et Charles-Louis Y..., prévenus, coupables de diffamation envers un particulier au préjudice de Mireille Z..., épouse Y..., et de diffamation envers un fonctionnaire public au préjudice de feu Pierre Y... et d'avoir, en conséquence, statué sur les actions publique et civile ;
"aux motifs qu'en ce qui concerne la diffamation, les prévenus ont, par des écrits, imprimés et images exposés au public (visées à la prévention) par un moyen de communication audiovisuelle, en l'espèce des sites internet, volontairement porté des allégations ou imputations de faits portant atteinte à l'honneur et à la considération de Pierre Y... pris en sa qualité de magistrat de l'ordre judiciaire français ; qu'en effet, il est patent qu'un message diffusé sur internet a un caractère public et qu'en l'espèce, les faits de diffamation dont le magistrat a été l'objet sur le réseau internet étaient liés avec l'exercice de ses fonctions juridictionnelles ; qu'en ce qui concerne Mireille Z..., épouse Y..., les prévenus se sont rendus volontairement coupables par les mêmes images du délit de diffamation envers un particulier par l'imputation d'avoir mené une double vie d'employée de parfumerie le jour et de prostituée la nuit, et d'avoir racolé Pierre Y... ;
"alors que, d'une part, les nullités antérieures à la procédure de jugement, lorsqu'elles relèvent de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, doivent être soulevées d'office par le juge ; qu'en l'espèce, en l'absence de plainte avec constitution de partie civile, pour mettre valablement en mouvement l'action publique, le réquisitoire introductif devait satisfaire aux exigences de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, alors que le réquisitoire introductif du 30 septembre 2002, qui reproduit intégralement l'écrit incriminé, ne spécifie pas les imputations diffamatoires incriminées et omet donc d'articuler la diffamation ou les diffamations fondement au titre de laquelle la poursuite est intentée ; qu'en conséquence, les actions publique et civile n'ayant pas été régulièrement mises en mouvement, les juges ne pouvaient en connaître ;
"alors que, d'autre part, le réquisitoire introductif du 30 septembre 2002, qui vise cumulativement les infractions de "diffamation aggravée - diffamation envers un particulier (victimes Pierre Y... et Mireille Z...)", sans distinguer parmi les propos incriminés ceux qui relevaient de l'une ou de l'autre de ces qualifications et visait cumulativement les articles 23, 29-1, 30, 31, 32-1, 42, 43, 48-6 de la loi du 29 juillet 1881, ne pouvait valablement mettre en mouvement les actions publique et civile ; qu'en conséquence, la nullité du réquisitoire introductif était encourue ; qu'une telle nullité est d'ordre public et doit être soulevée d'office, tant par les juges du fond que par la Cour de cassation ; de sorte que la cour ne pouvait statuer sur ces poursuites" ;
Vu l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que le ministère public, qui requiert une information pour une infraction prévue et réprimée par la loi sur la presse, est tenu, à peine de nullité de son réquisitoire, d'articuler et de qualifier les faits et de préciser le texte de loi édictant la peine dont l'application est demandée ; qu'à défaut, la nullité encourue est d'ordre public et doit être soulevée d'office tant par les juges du fond que par la Cour de cassation ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt énonce que, par les écrits, imprimés et images exposés au public, les prévenus ont imputé à Pierre Y..., magistrat de l'ordre judiciaire, des faits portant atteinte à son honneur et à sa considération ; que les juges relèvent que les prévenus se sont rendus coupables à l'égard de Mireille Z..., épouse Y..., du délit de diffamation envers un particulier en lui imputant d'avoir mené une double vie et d'avoir racolé Pierre Y... ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans relever d'office la nullité du réquisitoire introductif, en ce que, d'une part, il reproduisait l'intégralité du texte et des photos publiés sans spécifier les passages et propos pouvant caractériser l'infraction de diffamation publique envers un fonctionnaire public et ceux pouvant constituer le délit de diffamation publique envers un particulier et en ce que, d'autre part, il visait cumulativement, sans distinction, deux textes de répression édictant des peines différentes, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue, qu'en raison de l'indivisibilité existant entre la déclaration de culpabilité et la décision sur la peine, la cassation doit être totale ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes, en date du 4 avril 2006, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Cotte président, Mme Lazerges conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;