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22/02/2007 | FRANCE | N°05-19754;05-19954

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 22 février 2007, 05-19754 et suivant


Joint les pourvois n° 05-19.754 et n° 05-19.954 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris 1er juillet 2005), qu'entre le 25 mai et le 27 juin 1997, M. Guy X... et ses enfants, Morgane, Jules, Emilie et Stéphanie, M. Jacques Y..., Mme Patricia Y..., Mme Yvonne Y..., Mme Christiane Y..., M. Abel Y..., Mme Marie-Christine Z..., M. Bernard A..., Mme Colette A..., M. Bernard B... et Janis B... (les souscripteurs) ont souscrit auprès de la société Abeille vie, devenue Aviva vie (l'assureur), un contrat d'assurance sur la vie dénommé "Sélectivaleurs croissance", dit multisupports, c'est-

à-dire permettant des versements libres sur des parts ou acti...

Joint les pourvois n° 05-19.754 et n° 05-19.954 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris 1er juillet 2005), qu'entre le 25 mai et le 27 juin 1997, M. Guy X... et ses enfants, Morgane, Jules, Emilie et Stéphanie, M. Jacques Y..., Mme Patricia Y..., Mme Yvonne Y..., Mme Christiane Y..., M. Abel Y..., Mme Marie-Christine Z..., M. Bernard A..., Mme Colette A..., M. Bernard B... et Janis B... (les souscripteurs) ont souscrit auprès de la société Abeille vie, devenue Aviva vie (l'assureur), un contrat d'assurance sur la vie dénommé "Sélectivaleurs croissance", dit multisupports, c'est-à-dire permettant des versements libres sur des parts ou actions de supports financiers, acquis et gérés par l'assureur, entre lesquels les souscripteurs pouvaient arbitrer sur la base du cours de la dernière bourse de la semaine précédente, en application d'une clause dite "d'arbitrage à cours connu" ; que le contrat stipulait que "la liste et le nombre de supports sont susceptibles d'évoluer" ; que le nombre des supports diversifiés, composés en majeure partie d'actions et spécialement d'actions étrangères, proposés lors de la souscription du contrat, a été réduit de 21, en 1997, à 9, au 1er juillet 1998, certains supports étant supprimés pour être remplacés par des supports obligataires ou à forte dominante obligataire ; qu'estimant que la modification à plusieurs reprises de la liste des supports éligibles avait dénaturé le contrat, les souscripteurs ont fait assigner l'assureur devant le tribunal de grande instance aux fins que soient rétablis les contrats en cause dans leurs modalités de fonctionnement initiales, de voir condamner l'assureur à leur payer une certaine somme en réparation de leur préjudice, subsidiairement qu'il soit condamné à leur verser une provision et qu'une expertise soit ordonnée ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° 05-19.754 :
Attendu que l'assureur fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il a dit que la société Aviva vie avait commis une faute alors, selon le moyen, que lorsque le contrat donne à l'une des parties le pouvoir de modifier unilatéralement le contrat, ce pouvoir s'exerce dans la limite de l'abus de droit ; que l'abus dans l'exercice de ce pouvoir unilatéral doit s'apprécier en fonction de la conjoncture économique ; qu'ainsi, il n'y a pas d'abus à cesser de sélectionner des supports dont la volatilité du fait de la crise asiatique de 1997 est dangereuse pour les assurés ; qu'il n'y a pas davantage d'abus, quand une telle crise économique vient rendre disproportionné l'avantage conféré à l'assuré par la clause d'arbitrage à cours connu, à ce que l'assureur exerce le pouvoir qui lui est reconnu de sélectionner les supports éligibles dans un sens qui tend à rendre à l'avantage consenti à l'assuré sa mesure initiale ; qu'au cas particulier, la cour d'appel a relevé que le contrat litigieux autorisait expressément la compagnie d'assurances à changer la nature et le nombre des supports susceptibles d'être choisis par les assurés, arbitrant à cours connu ; que dès lors en supprimant les supports les plus spéculatifs, à un moment où le crack boursier asiatique de 1997 créait un risque extrême de volatilité des supports, dangereux pour les assurés et l'équilibre des contrats, la société Aviva vie n'a commis aucun abus de droit ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1134, alinéa 3, et 1147 du code civil ;
Mais attendu qu'après avoir énoncé que l'utilisation de la clause prévoyant que "la liste et le nombre des supports sont susceptibles d'évoluer" peut être qualifiée d'abusive si elle conduit à modifier le contrat, l'arrêt retient par motifs propres et adoptés que le "guide pratique" de l'assureur décrit le contrat en ces termes : "vous bénéficiez d'une grande diversité de supports, des plus sûrs aux plus spéculatifs (...) c'est vous qui décidez : orientation fortement spéculative ou équilibre harmonieux entre sécurité et performance", ce qui démontre que l'investissement pouvait être spéculatif ; que la clause d'arbitrage à cours connu constituait une des spécificités essentielles du contrat puisqu'elle permettait aux assurés d'arbitrer en toute liberté et en toute connaissance de cause, sans courir le moindre risque boursier, qu'il n'est pas contestable que cette possibilité a été fortement réduite en raison de la nature des nouveaux supports ; que l'assureur ne rapporte pas la preuve d'un risque pour la collectivité de ses assurés dès lors que le jeu de la clause à cours connu, qu'il avait librement décidé d'insérer dans les contrats proposés à sa clientèle, a eu pour principale conséquence de lui faire supporter la charge financière des plus-values réalisées par celle-ci et qu'il a, en juillet 1998, continué à proposer aux souscripteurs qui, en adhérant à la version "Vie Universelle" du contrat Sélectivaleurs croissance, renonçaient au bénéfice de cette clause, une gamme diversifiée de supports dits "volatils" ou à plus fort potentiels de plus-value ; que l'assureur ne peut non plus invoquer la dénaturation du contrat qui résulterait, selon lui, de l'utilisation à des fins spéculatives de tels supports en lien avec la clause d'arbitrage à cours connu, alors que dans les document diffusés auprès de sa clientèle, il avait lui-même mis en relief les avantages de ses contrats d'assurance-vie multisupports découlant "d'une plus grande diversité des supports, des plus sûrs aux plus spéculatifs, permettant au souscripteur, en fonction de ses objectifs et de sa personnalité, d'opter pour une orientation fortement spéculative ou un équilibre harmonieux entre sécurité et performance", qu'au demeurant l'assureur ne démontre, ni même prétend, que les demandeurs auraient développé une semblable pratique purement spéculative des supports ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, d'où il résultait que la modification de la liste des supports éligibles avait pour seul but de neutraliser le jeu de la clause d'arbitrage à cours connu, la cour d'appel a pu déduire que l'assureur avait commis un abus dans l'exercice de la faculté que lui conférait la clause du contrat de modifier unilatéralement la liste des supports ;
Et sur le moyen unique du pourvoi n° 05-19.954 :
Attendu que Stéphanie, Emilie, Morgane et Jules X... font grief à l'arrêt d'avoir dit qu'ils n'avaient pas subi de préjudice pour le passé alors, selon le moyen :
1°/ que la cour d'appel a constaté que le nombre des supports avait été réduit de 26 à 9 et que les nouveaux supports, de nature essentiellement obligataires, étaient moins rentables que les supports spéculatifs initialement éligibles ; qu'il en résultait que le préjudice consistait non seulement dans la perte d'une chance d'arbitrer mais également dans la diminution, hors tout arbitrage, de la rentabilité des placements, du fait de la substitution de supports moins rentables à ceux qui avaient été proposés initialement ; qu'en retenant que la préjudice subi par les souscripteurs consistait en une perte de chance d'arbitrer, et en omettant la partie du préjudice tenant à la perte de rendement des placements, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des dispositions de l'article 1147 du code civil ;
2°/ que les demandeurs faisaient valoir qu'après avoir vu leurs ordres d'arbitrer rejetés, ils avaient cessé d'adresser de tels ordres, voués à l'échec, ou privés de tout intérêt en raison de la suppression des supports les plus intéressants ; qu'en se bornant à constater que les enfants X... n'avaient pas arbitré, sans rechercher si, dans l'hypothèse où les ordres d'arbitrage ne se seraient pas heurtés au refus systématique de la société Aviva vie ou ne s'étaient pas trouvés privés d'intérêt par la suppression des supports spéculatifs, ils n'auraient pas usé, directement ou, pour ceux d'entre eux qui étaient mineurs, par l'intermédiaire de leur père, de cette faculté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions que Stéphanie, Emilie, Morgane et Jules X... avaient soutenu devant la cour d'appel qu'ils avaient subi un préjudice tenant à la perte de rendement des placements ;
Et attendu que l'absence de préjudice relève de l'appréciation souveraine des juges du fond ;
D'où il suit que le moyen nouveau en sa première branche, mélangé de fait et de droit, et, comme tel, irrecevable, est mal fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Aviva vie aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes de la société Aviva vie ; la condamne à payer aux consorts X... et Y..., à M. B..., à Mme Z... et aux époux A... la somme globale de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux février deux mille sept.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 05-19754;05-19954
Date de la décision : 22/02/2007
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

ASSURANCES DE PERSONNES - Assurance-vie - Contrat non dénoué - Contrat dit "multisupports" - Faculté de l'assureur de modifier le contrat - Faculté de modifier unilatéralement la liste des supports - Abus dans l'exercice de cette faculté - Cas

ASSURANCE DE PERSONNES - Assurance-vie - Contrat non dénoué - Droit personnel du souscripteur - Faculté d'arbitrage entre différents supports - Modification unilatérale par l'assureur de la clause d'arbitrage à cours connu - Portée ASSURANCE DE PERSONNES - Assurance-vie - Contrat non dénoué - Contrat dit "multisupports" - Clause d'arbitrage à cours connu au profit du souscripteur - Modification unilatérale par l'assureur de la clause d'arbitrage - Effet

Ayant relevé des circonstances d'où il résultait qu'une société d'assurance avait modifié la liste des supports offerts aux souscripteurs d'un contrat d'assurance sur la vie, dit "multisupports", certains supports en actions étant supprimés pour être remplacés par des supports obligataires ou à forte dominante obligataire, dans le seul but de neutraliser le jeu d'une clause d'arbitrage à cours connu stipulée au contrat et permettant aux souscripteurs d'arbitrer entre les différents supports sur la base du cours de la dernière bourse de la semaine précédente, une cour d'appel a pu en déduire que la société d'assurance avait commis un abus dans l'exercice de la faculté que lui conférait une clause du contrat de modifier unilatéralement la liste des supports


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 01 juillet 2005


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 22 fév. 2007, pourvoi n°05-19754;05-19954, Bull. civ. 2007 II N° 41 p. 36
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2007 II N° 41 p. 36

Composition du Tribunal
Président : M. Mazars (conseiller le plus ancien non empêché, faisant fonction de président)
Avocat général : M. Benmakhlouf
Rapporteur ?: M. Grignon Dumoulin
Avocat(s) : SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Piwnica et Molinié

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2007:05.19754
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