AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze novembre deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de Me LE PRADO, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Suzanne,
contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 26 janvier 2006, qui, dans la procédure suivie contre elle des chefs de diffamation publique envers un particulier et établissement d'une attestation faisant état de faits matériellement inexacts, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23, 29 et 41 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que, statuant sur les intérêts civils, l'arrêt infirmatif attaqué a condamné Suzanne X... à indemniser Thierry Y..., à hauteur de 1 000 euros, pour le préjudice causé à ce dernier par l'établissement et la production de l'attestation litigieuse ;
"aux motifs qu'en droit, par l'effet des articles 509 et 515 du code de procédure pénale, si les juges du second degré, saisis du seul appel de la partie civile, ne peuvent prononcer aucune peine contre le prévenu définitivement relaxé, ils n'en sont pas moins tenus, au regard de l'action civile, de rechercher si les faits qui leur sont déférés constituent une infraction pénale et de se prononcer sur la demande de réparation de la partie civile ; que la diffamation se définit, aux termes de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, comme l'allégation ou l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé ; qu'elle est punissable si elle a été commise par des écrits ou paroles rendus publics selon les dispositions des articles 23 et 32 du même texte ; qu'enfin la personne poursuivie pour diffamation peut offrir de faire la preuve de la vérité du fait diffamatoire, à condition de le faire dans le délai des dix jours qui suivent l'assignation devant une juridiction ; qu'à défaut elle peut faire la preuve de sa bonne foi ; qu'en l'espèce, l'écrit litigieux n'est pas un document destiné à une seule personne ou même à la diffusion au sein d'un groupe de personnes liées par une communauté d'intérêts ; qu'il s'agit au contraire d'une attestation établie en vue de sa production en justice et donc destinée à être exposée au cours d'une audience qui, sauf exception que l'attestant ignore, est en principe publique et en tout état de cause elle est destinée à être communiquée à des magistrats et auxiliaires de justice qui ne constituent pas les membres d'une même communauté d'intérêt ;
que l'élément de publicité est donc présent ; que cette attestation contient diverses allégations dont seule la dernière, telle que reproduite plus avant, porte atteinte à l'honneur de Thierry Y... en ce qu'elle énonce que celui-ci, après un séjour au Japon pour le compte d'un organisme de recherche, où il aurait perçu de la part des autorités universitaires des fonds pour l'indemniser de ses frais de séjour avait "en rentrant en France ... présenté les factures payées avec ce liquide (ainsi que les deux billets d'avion AR réglés par l'Université de Tokyo) afin de les faire rembourser une deuxième foi par les crédits de recherche alloués à son équipe du CNRS" ;
qu'aucune offre de preuve du fait n'a été apportée dans le délai légal de dix jours et si, au titre de la bonne foi, des documents tendent à démontrer que Thierry Y... a bien perçu de l'argent au Japon, ce qui en soi n'a rien de diffamatoire et ce qui n'est d'ailleurs pas discuté en son principe (la contestation entre parties sur les montants réels perçus et l'autorité exacte qui les a versés étant sans utilité au regard du délit ici poursuivi), en revanche, rien n'indique qu'il a tenté de se faire rembourser une deuxième fois des frais de séjour déjà réglés lors de son retour en France ; qu'il s'ensuit que Suzanne X... ne peut faire valoir utilement sa bonne foi ;
"alors, d'une part, qu'en application de l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, ne peuvent donner lieu à aucune action en diffamation les écrits produits devant les tribunaux. ; qu'il s'agit là d'une règle d'ordre public ; qu'ainsi, en octroyant à Thierry Y... des dommages-intérêts du fait de la production en justice de l'attestation critiquée, omettant par là même de relever d'office que cette pièce, établie pour les besoins de la cause devant la chambre du conseil lors du litige opposant Thierry Y... à son ex-épouse, entrait précisément dans la catégorie des documents bénéficiant d'une immunité instituée par l'article 41 précité, la cour d'appel a violé ce texte ;
"alors, d'autre part, qu'en tout état de cause, selon les dispositions de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, il n'y a publicité légalement constatée, en ce qui concerne les écrits et imprimés, qu'autant qu'ils ont été vendus, distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics ; qu'à ce titre, l'article 435 du nouveau code de procédure civile précise bien qu'en chambre du conseil, il est procédé hors la présence du public ; qu'ainsi, en considérant que l'attestation litigieuse produite au cours d'une audience en chambre du conseil, à l'objet de laquelle elle se rattachait, revêtait un caractère de publicité, cependant que les audiences en chambre du conseil se caractérisent par leur aspect confidentiel, en ce que seules les personnes concernées par le litige sont autorisées à y participer, à l'exclusion de toute personne étrangère à l'affaire à juger, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé" ;
Vu l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu qu'il résulte des dispositions de ce texte, qui sont d'ordre public, que les écrits produits devant les tribunaux ne peuvent donner lieu à aucune action en diffamation ; que cette règle, destinée à garantir aussi bien la sincérité du témoignage que la liberté de la défense, ne reçoit d'exception que dans le cas où les faits diffamatoires sont étrangers à la cause et, s'ils concernent l'une des parties, à la condition que l'action ait été réservée par le tribunal devant lequel l'écrit est produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Thierry Y... a fait citer Suzanne X... devant le tribunal correctionnel des chefs de diffamation publique envers un particulier et établissement d'une attestation faisant état de faits matériellement inexacts, en lui reprochant d'avoir, à l'occasion d'une procédure l'opposant à son ex-épouse et portant sur le montant d'une pension alimentaire, produit une attestation lui imputant faussement la perception de ressources occultes ; que le tribunal a relaxé la prévenue ; que, sur le seul appel de Thierry Y..., l'arrêt, par les motifs repris au moyen, a infirmé le jugement déféré et condamné Suzanne X... à des réparations en faveur de la partie civile ;
Mais attendu qu'il ne résulte d'aucune des énonciations de l'arrêt que les imputations diffamatoires contenues dans l'écrit produit devant la juridiction civile aient été étrangères à la cause débattue devant elle ni qu'elles aient été déclarées telles par cette juridiction, dès lors qu'elles concernaient l'une des parties ; qu'en omettant de s'expliquer sur le point de savoir s'il pouvait exister, en l'espèce, une fin de non-recevoir portant sur le principe même de la poursuite, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 26 janvier 2006, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Grenoble, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;