AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le second moyen du pourvoi de la société Glaxosmithkline, pris en ses deux premières branches :
Vu l'article 234 du Traité instituant la Communauté européenne ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant sur contredit de compétence (Versailles, 6 avril 2004) et les pièces de la procédure, que M. X... a été engagé en 1977 par la société Laboratoires Beecham Sévigné ; qu'il a été affecté dans diverses sociétés du groupe en Afrique ;
qu'il a été muté dans la société Beecham Research UK, appartenant au même groupe, en exécution d'un contrat de travail conclu le 27 mars 1984 avec ladite société ; que l'article 1er de ce contrat de travail énonce : "Votre emploi commencera le 1er avril 1984, vous serez basé à Casablanca. Nous reconnaissons que votre emploi au sein de Beecham Group a commencé le 3 octobre 1977" ; que l'article 13 du contrat de travail est ainsi rédigé : "Nous reconnaissons que vous étiez employé de Beecham Sévigné du 3 octobre 1977 au 31 mars 1984. Si à l'avenir vous deviez être employé à nouveau par Beecham Sévigné, nous reconnaissons que vos droits d'ancienneté seront maintenus comme si votre emploi avec Beecham Sévigné n'avait pas été interrompu. De plus nous reconnaissons que sous la loi française qui gouvernait votre contrat avec Beecham Sévigné, vous aviez droit à certaines indemnités en cas de licenciement. Egalement, dans le cas de licenciement, Beecham Sévigné aurait été obligé de vous offrir un poste approprié en France ou dans le cas où un tel emploi n'aurait pas été disponible, Beecham Sévigné aurait été obligé de vous indemniser d'après l'échelle prévue par la loi française. Nous confirmons par la présente que ces droits que vous possédiez sous le contrat Beecham Sévigné sont maintenus sous les termes de ce contrat" ; que M. X... a été licencié le 9 mars 2001 ; qu'il a saisi le 4 juin 2002 le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye (France) d'une action dirigée contre la société Laboratoires Glaxosmithkline, qui vient aux droits de la société Laboratoires Beecham Sévigné et dont le siège est en France, et contre la société Glaxosmithkline, qui vient aux droits de la société Beecham Research UK et dont le siège est au Royaume Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ; qu'ainsi il a demandé la condamnation in solidum de ces sociétés au versement de diverses sommes notamment à titre d'indemnités de licenciement, pour non-respect de la procédure de licenciement et licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de dommages-intérêts pour rupture abusive ; que les sociétés défenderesses ont décliné la compétence de la juridiction saisie ; que la cour d'appel a fait droit au contredit formé par M. X... à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes, qui s'était déclaré incompétent et a renvoyé les parties devant ce conseil de prud'hommes ;
Attendu que la société Glaxosmithkline fait grief à l'arrêt d'avoir retenu la compétence du conseil de prud'hommes sans rechercher et constater, d'une part, que l'un des chefs attributifs de compétence résultant du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale aurait été susceptible de désigner la juridiction française alors que l'action dirigée contre la société anglaise comportait des éléments d'extranéité et, d'autre part, en fondant sa décision sur l'accessoire qui ne constitue pas un chef attributif de compétence au regard du règlement dont il a ainsi violé les dispositions ;
Attendu, d'une part, qu'aux termes du point 1 de l'article 18, inséré à la section V, "compétence en matière de contrats individuels de travail" du chapitre II, "compétence", du règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000, "En matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l'article 4 et de l'article 5, point 5" ; que selon l'article 19 du règlement, "Un employeur ayant son domicile sur le territoire d'un Etat membre peut être attrait : 1) devant les tribunaux de l'Etat membre où il a son domicile, ou 2) dans un autre Etat membre : a) devant le tribunal du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant le tribunal du dernier lieu où il accompli habituellement son travail, ou b) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant le tribunal du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur" ; que l'article 4 du règlement, inscrit à la section I, "dispositions générales" du chapitre II, réserve le cas du défendeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un Etat membre et que le point 5 de l'article 5, figurant à la section II du même chapitre, "compétences spéciales", réserve le cas de la contestation relative à l'exploitation d'une succursale, d'une agence ou de tout autre établissement, qui doit être portée devant le tribunal de lieu de leur situation ;
Attendu, d'autre part, qu'il résulte du point 1 de l'article 6, sous la section II du chapitre I du règlement du 22 décembre 2000, qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite "s'il y a plusieurs défendeurs devant le tribunal du domicile d'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément" ;
Attendu qu'en l'espèce, le salarié, qui n'a jamais accompli son travail sur le territoire de l'un quelconque des Etats membres et qui, invoquant l'article 13 précité du contrat de travail du 27 mars 1984, soutient que la société domiciliée en France et la société domiciliée en Grande-Bretagne étaient ses co-employeurs, les a attraites toutes deux devant la juridiction française qu'il retient comme étant celle du lieu où se trouve l'établissement qui l'a embauché en 1977 et qui a refusé de le réintégrer en 2002 après son licenciement par la société dont le domicile est en Grande-Bretagne, en vue d'obtenir l'indemnisation des conséquences dont il entend faire supporter la charge aux deux entreprises, de la rupture des relations de travail ;
Attendu que se pose donc la question de savoir si le principe de compétence spéciale énoncé au point 1 de l'article 6 du règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000 est applicable à un tel litige ou si les dispositions du point 1 de l'article 18 du règlement excluent l'application de ce principe ;
PAR CES MOTIFS :
Renvoie à la Cour de justice des Communautés européennes aux fins de dire, d'une part, si la règle de compétence spéciale énoncée au point 1 de l'article 6 du règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en vertu duquel une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite "s'il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément", est applicable au litige engagé par un salarié devant une juridiction d'un Etat membre contre deux sociétés appartenant au même groupe, dont l'une, qui est celle qui a embauché ce salarié pour le groupe puis refusé de le réintégrer, est domiciliée dans cet Etat membre et l'autre, pour le compte de laquelle l'intéressé a travaillé en dernier lieu dans des Etats tiers et qui l'a licencié, dans un autre Etat membre, alors que ce demandeur invoque une clause du contrat de travail pour faire valoir que les deux défenderesses étaient ses co-employeurs auxquels il demande l'indemnisation de son licenciement ou, d'autre part, si la règle du point 1 de l'article 18 du règlement, en vertu duquel, en matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la section V du chapitre II, exclut l'application du point 1 de l'article 6, en sorte que chacune des deux sociétés doit être attraite devant la juridiction de l'Etat membre où elle a son domicile ;
Sursoit à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice des Communautés européennes ;
Réserve les dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept novembre deux mille six.