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27/06/2006 | FRANCE | N°03-19863

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 27 juin 2006, 03-19863


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à M. X..., pris en sa qualité d'administrateur judiciaire du redressement judiciaire de la SAS Isa Daisytek, de ce qu'il s'associe au pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Versailles ;

Attendu, selon l'arrêt déféré (Versailles, 4 septembre 2003), que le 16 mai 2003, la Haute Cour de justice de Leeds (Royaume-Uni) a ouvert une procédure principale d'insolvabilité à l'égard de la SAS Isa Daisytek (la sociÃ

©té), ayant son siège statutaire en France, filiale d'une société de droit britan...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à M. X..., pris en sa qualité d'administrateur judiciaire du redressement judiciaire de la SAS Isa Daisytek, de ce qu'il s'associe au pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Versailles ;

Attendu, selon l'arrêt déféré (Versailles, 4 septembre 2003), que le 16 mai 2003, la Haute Cour de justice de Leeds (Royaume-Uni) a ouvert une procédure principale d'insolvabilité à l'égard de la SAS Isa Daisytek (la société), ayant son siège statutaire en France, filiale d'une société de droit britannique, et désigné MM. Y..., Z... et A..., administrateurs de la procédure ; que le 23 mai 2003, sur déclaration de l'état de cessation des paiements, le tribunal de commerce de Pontoise a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de cette même société ; que les administrateurs anglais ont formé tierce opposition au jugement, estimant, sur le fondement du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité, que la procédure ouverte en Angleterre interdisait l'ouverture d'une autre procédure principale d'insolvabilité en France ;

que la tierce opposition a été rejetée par le tribunal ; que la cour d'appel a infirmé le jugement, déclaré bien fondée la tierce opposition et dit que la société ne peut faire l'objet d'une procédure de redressement judiciaire en France ;

Sur le premier moyen :

Attendu que le procureur général près la cour d'appel de Versailles fait grief à l'arrêt davoir ainsi statué, alors, selon le moyen :

1 / qu'aux termes des dispositions combinées des articles 3 1er et 16 1er du règlement communautaire n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, une décision ouvrant une procédure principale d'insolvabilité ne peut être reconnue dans tous les Etats membres que si elle a été prise par une juridiction compétente de l'Etat membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur, lequel est présumé être, pour une personne morale, son siège statutaire ; que selon l'article 26 du règlement précité, tout Etat membre peut refuser de reconnaître une décision d'ouverture d'une procédure principale d'insolvabilité lorsque cette reconnaissance aurait des effets manifestement contraires à son ordre public, en particulier à ses principes fondamentaux ; que par ailleurs, le règlement n'ayant pas pour objet de résoudre les difficultés nées de l'insolvabilité des groupes internationaux de sociétés, l'ouverture d'une procédure principale d'insolvabilité à l'égard de chacune des sociétés faisant partie d'un tel groupe impose la détermination du centre particulier de ses intérêts principaux, sans qu'il soit possible de prendre en considération le seul fait de son appartenance au groupe qui ne constitue pas un critère de compétence internationale prévu par le règlement ; que dès lors, la décision qui ouvre en Angleterre la procédure principale d'insolvabilité d'une société ayant son siège en France, bien que celle-ci soit une filiale dotée de la personnalité morale et non un établissement d'une société ayant son siège en Angleterre, au seul motif que des actes significatifs de sa gestion, au demeurant non précisés, seraient exécutés au siège de la société mère, est insusceptible d'être reconnue en France ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles susvisés ;

2 / que manque de base légale au regard des mêmes textes l'arrêt qui reconnaît en France une telle décision d'ouverture, sans constater que celle-ci avait retenu la fictivité de la filiale française ;

3 / qu'au regard des mêmes textes, l'arrêt a reconnu la décision de la Haute Cour de justice de Leeds, sans préciser la nature des actes relevés par le juge anglais pour renverser la présomption simple selon laquelle le centre de ses intérêts principaux était situé à son siège statutaire, et sans rechercher si les tiers pouvaient avoir connaissance de ces actes ; qu'en s'abstenant de le faire, la cour d'appel a privé sa décision de bases légales ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité, ce centre étant, pour les sociétés et les personnes morales, présumé, jusqu'à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire ; que selon l'article 16, paragraphe 1, du règlement, la décision ouvrant la procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un Etat membre compétente en vertu de l'article 3 est reconnue dans tous les autres Etats membres, dès qu'elle produit ses effets dans l'Etat d'ouverture ; que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit (CJCE, 2 mai 2006, Eurofood IFSC Ltd, affaire n° C-341/04) que cet article doit être interprété en ce sens que la procédure d'insolvabilité principale ouverte par une juridiction d'un Etat membre doit être reconnue par les juridictions des autres Etats membres, sans que celles-ci puissent contrôler la compétence de la juridiction de l'Etat d'ouverture ; qu'elle a indiqué, dans le même arrêt (point 43), que si une partie intéressée, considérant que le centre des intérêts principaux se situe dans un Etat membre autre que celui dans lequel a été ouverte la procédure d'insolvabilité principale, entend contester la compétence assumée par la juridiction qui a ouvert cette procédure, il lui appartient d'utiliser, devant les juridictions de l'Etat membre où celle-ci a été ouverte, les recours prévus par le droit national de cet Etat membre à l'encontre de la décision d'ouverture ;

Attendu qu'ayant relevé que la Haute Cour de justice de Leeds s'était déclarée compétente pour ouvrir une procédure principale d'insolvabilité à l'encontre de la société après avoir retenu, examinant sa compétence au regard de l'article 3, paragraphe 1, que le centre des intérêts principaux de cette société était situé à Bradford (Royaume-Uni), la cour d'appel, qui n'avait pas à contrôler les motifs ayant permis à la juridiction de Leeds de renverser la présomption visée à l'article 3 du règlement, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu que le procureur général fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que selon l'article 26 du règlement, tout Etat membre peut refuser de reconnaître une décision d'ouverture d'une procédure principale d'insolvabilité lorsque cette reconnaissance aurait des effets manifestement contraires à son ordre public, en particulier à ses principes fondamentaux ; que l'audition des représentants du personnel constitue un tel principe dont la violation était de nature à faire obstacle à la reconnaissance en France de la décision d'ouverture ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 26 du règlement précité ;

Mais attendu qu'après avoir indiqué que le recours par le juge d'un Etat membre à la clause de l'ordre public pour ne pas reconnaître une décision émanant d'une juridiction d'un autre Etat membre n'est concevable que dans l'hypothèse où la reconnaissance ou l'exécution de la décision heurterait de manière inacceptable l'ordre juridique de l'Etat requis, en tant qu'elle porterait atteinte à un principe fondamental, la Cour de justice des Communautés européennes (arrêt Eurofood précité), qui a précisé que l'atteinte devrait constituer une violation manifeste d'une règle de droit considérée comme essentielle dans l'ordre juridique de l'Etat requis ou d'un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique (points 63 et 64 de l'arrêt Eurofood précité), a dit pour droit que l'article 26 du règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens qu'un Etat membre peut refuser de reconnaître une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre Etat membre lorsque la décision d'ouverture a été prise en violation manifeste du droit fondamental à être entendue dont dispose une personne concernée par une telle procédure ;

Attendu que l'absence d'audition des représentants du personnel préalablement à la décision d'ouverture de la procédure d'insolvabilité ne constituant pas une violation manifeste du droit fondamental à être entendue dont dispose une personne concernée par cette procédure, la cour d'appel a rejeté à bon droit le moyen tiré de la contrariété à l'ordre public fondé sur l'article 26 du règlement ; que le grief n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept juin deux mille six.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 03-19863
Date de la décision : 27/06/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

1° COMMUNAUTE EUROPEENNE - Règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000 - Société ayant son siège social en France - Ouverture d'une procédure principale d'insolvabilité - Compétence - Détermination - Portée.

1° Conformément à l'article 16 § 1er du Règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000, tel qu'interprété par la Cour de justice des Communautés européennes dans un arrêt Eurofood du 2 mai 2006, c'est à bon droit, qu'après avoir constaté qu'une procédure principale d'insolvabilité avait été ouverte à l'égard d'une société ayant son siège social en France, par une juridiction d'un autre Etat membre, une cour d'appel, qui n'avait pas à contrôler les motifs ayant permis à cette juridiction de se déclarer compétente, a refusé d'ouvrir une procédure principale d'insolvabilité à l'égard de cette société.

2° COMMUNAUTE EUROPEENNE - Règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000 - Société ayant son siège social en France - Ouverture d'une procédure principale d'insolvabilité - Conditions - Audition préalable des représentants du personnel - Omission - Portée.

2° L'absence d'audition des représentants du personnel préalablement à l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité par une juridiction d'un autre Etat membre ne saurait justifier un refus de reconnaissance de cette décision, sur le fondement de la clause de l'ordre public prévue à l'article 26 du Règlement n° 1346/2000.


Références :

2° :
Règlement (CE) 1346/2000 du 29 mai 2000 art. 3, art. 16, art. 26

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 04 septembre 2003


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 27 jui. 2006, pourvoi n°03-19863, Bull. civ. 2006 IV N° 149 p. 159
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2006 IV N° 149 p. 159

Composition du Tribunal
Président : M. Tricot.
Avocat général : M. Lafortune.
Rapporteur ?: Mme Orsini.
Avocat(s) : Me Balat, Me Bertrand, SCP Piwnica et Molinié.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2006:03.19863
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