AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt juin deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle CELICE, BLANCPAIN et SOLTNER, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIETE SOLLAC LORRAINE,
contre l'arrêt de la cour d'appel de METZ, chambre correctionnelle, en date du 10 novembre 2004, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à 15 000 euros d'amende, a ordonné l'affichage de la décision et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-2, 121-3, 221-6 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré la société Sollac Lorraine coupable d'homicide involontaire et l'a condamnée pénalement et civilement ;
"aux motifs que, s'agissant d'un homicide involontaire survenu dans le cadre de la responsabilité pénale d'une personne morale, sont applicables - à l'exclusion de l'article 121-3, alinéa 4, du code pénal réservé aux seules personnes physiques, - les dispositions de l'article 121-3, alinéa 3, du code pénal, visées dans la prévention et ainsi libellées : "il y a également délit lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait" ; qu'en conséquence, et conformément à l'article 221-6, alinéa 1e, du code pénal, visé dans la prévention, la responsabilité de la société Sollac Lorraine est envisageable : 1) si par maladresse ou imprudence ou inattention ou négligence, ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement chacune des cinq conduites incriminées étant indépendantes des autres, la société Sollac Lorraine a commis une faute simple - à l'exclusion de la faute délibérée ou caractérisée au sens de l'article 121-3, alinéa 4, du code pénal - ayant causé la mort d'Alain X... ; 2) et si la société Sollac Lorraine n'a pas accompli les diligences normales, compte tenu de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens à sa disposition ; qu'il résulte des pièces de la procédure et des débats que la zone où s'est produit l'accident est une ancienne plate-forme mise hors service officiellement en décembre 1996 mais dans la pratique dès 1994 ; que, depuis lors, cette plate-forme parce que désaffectée n'a été soumise à aucun entretien, aucune surveillance, ni aucun contrôle sur le plan de la sécurité ; qu'aucune explication n'a été avancée par la société Sollac Lorraine justifiant le maintien de la plate-forme et de la super structure métallique environnante, qui auraient dû être aussitôt démontées ; qu'ainsi, rendue de plus en plus dangereuse par l'effet des intempéries, cette plate-forme exposée à une intense corrosion naturelle a continué à se dégrader ;
que cette corrosion était de surcroît masquée par la poussière qui s'est déposée au fil du temps ; que le soir de l'accident, une tôle corrodée a cédé sous les pas d'Alain X... précipitant cet homme dans le vide ; qu'ensuite, s'il est exact que la plate-forme désaffectée était ceinturée par un garde-corps d'une hauteur d'1 mètre 20, qu'Alain X... avait suivi une formation dispensée par la société Sollac Lorraine concernant le travail en hauteur et sur les risques engendrés par le franchissement d'un garde-corps, il convient cependant de retenir que le garde-corps d'à peine 1 mètre 20, pouvait être enjambé sans difficulté ; que la plate-forme désaffectée n'était pourvue d'aucune signalisation, d'aucun panneau en interdisant l'accès et prévenant du danger qu'il y avait à l'emprunter ; que Michel Y... l'a reconnu lui-même devant les enquêteurs (cf.: "il est exact qu'aucun panneau ne précisait le danger, simplement du fait que le garde-corps était présent. En fait comme personne ne nous a alerté du danger de cette plate-forme nous n'avons pas posé de panneau, ce que nous faisons systématiquement lorsqu'une zone nous est signalée présentant un danger supplémentaire") ; que la présence d'un garde-corps d'une hauteur appropriée jumelée avec une signalisation attirant l'attention de l'usager sur le danger encouru, auraient été très dissuasifs, même si l'on tient compte de l'heure tardive et de l'obscurité, du fait que les lieux étaient, le soir de l'accident, bien éclairés (compte rendu et enquête du CHSCT des 18 et 26 septembre 2002) ; enfin, que la présence serait-elle injustifiée de la victime sur la plate-forme désaffectée ainsi de même que la décision prise par Alain X... d'enjamber le garde-corps entourant ladite plate-forme, ne sauraient à elles seules constituer une cause exonératoire de responsabilité pour la société Sollac Lorraine ; qu'en effet, outre le fait que la motivation d'Alain X... décrit cependant comme un contre-maître expérimenté et consciencieux nous sera à jamais inconnue, il convient d'observer que la Cour de cassation considère que la faute, réelle ou supposée de la victime, n'exonère le prévenu de sa responsabilité que si elle a été la cause unique et exclusive de l'accident ou bien présente le caractère de la force majeure ; qu'en l'espèce, ce n'est pas le cas pour les raisons déjà susrapportées ;
qu'en conséquence, la mort accidentelle d'Alain X... est consécutive à une faute d'imprudence et/ou de négligence commise par la société Sollac Lorraine qui n'a pas accompli les diligences normales lui incombant compte tenu de sa mission, de ses fonctions, de ses compétences ainsi que des moyens mis à sa disposition ; qu'en effet, d'une part, la société Sollac Lorraine n'a pas fait procéder, sans doute par souci d'économie, en tout cas sans raison légitime, au démontage et à l'enlèvement de la plate-forme litigieuse, devenue au fil du temps de plus en plus vétuste et dangereuse ; que l'ayant maintenue, la société Sollac Lorraine s'est crue, à tort, dispensée d'assurer son entretien sous le prétexte fallacieux que personne ne pouvait ou ne devait désormais s' y aventurer ; que, d'autre part, la société Sollac Lorraine n'a pas fait procéder à un "signalement" des lieux suffisamment dissuasif tel que garde-corps d'une hauteur suffisante - mise en place de panneaux interdisant l'accès des lieux, et d'une manière générale de toute signalisation attirant l'attention de l'usager, sur un site devenu dangereux ; que les premiers juges ont donc à bon droit retenu la société Sollac Lorraine prise en la personne de Michel Y... dans les liens de la prévention ; que cette déclaration de culpabilité par substitution de motifs et adoption des motifs non contraires des premiers juges, sera confirmée dans les limites de la prévention retenue à hauteur de Cour c'est-à-dire au regard du délit d'homicide involontaire, les infractions relevées par les premiers juges dans le cadre des dispositions prévues au code du travail relativement à l'hygiène, la sécurité et les conditions de travail, étant surabondantes ;
"alors qu'aux termes de l'article 121-2 du code pénal, la responsabilité pénale des personnes morales est une responsabilité du fait personnel par représentation, impliquant qu'une infraction soit commise pour son compte par ses organes ou représentants ;
qu'en se bornant à imputer à la seule société Sollac Lorraine une infraction d'homicide involontaire pour n'avoir pas accompli les diligences normales lui incombant, compte tenu de sa mission, de ses fonctions et de ses compétences, ainsi que des moyens mis à sa disposition, sans rechercher l'organe ou le représentant de la société qui aurait commis une faute susceptible d'engager la responsabilité pénale de la personne morale, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision, violant les articles visés au moyen" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 17 novembre 2002, Alain X..., salarié de la société Sollac Lorraine, a fait une chute mortelle alors que, pour l'exécution d'une mission d'inspection, il venait d'emprunter une plate- forme métallique mise hors service, dont la dangerosité n'était pas signalée et qui, du fait de sa corrosion, a cédé sous son poids ; que la société Sollac Lorraine a été poursuivie du chef d'homicide involontaire, en raison de l'inobservation de dispositions relatives à la sécurité des travailleurs ;
Attendu que pour dire la prévention établie, l'arrêt, confirmant le jugement entrepris sur la culpabilité, prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état, la demanderesse ne saurait se faire un grief de ce que les juges du fond l'aient déclarée coupable du délit d'homicide involontaire sans préciser l'identité de l'auteur des manquements constitutifs du délit, dès lors que cette infraction n'a pu être commise, pour le compte de la société, que par ses organes ou représentants ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 131-35, 131-48 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré la société Sollac Lorraine coupable d'homicide involontaire et, en répression, l'a condamnée à une peine de 15 000 euros d'amende et à l'affichage de la décision pendant trois mois ;
"alors qu'aux termes de l'article 131-35 du code pénal, l'affichage d'une décision de condamnation ne peut excéder deux mois ; qu'en condamnant la société Sollac Lorraine à afficher par extraits la décision rendue pendant un délai de trois mois, la cour d'appel a violé les articles visés au moyen" ;
Vu l' article 131-35 du code pénal, ensemble l'article 111-3 du même code ;
Attendu que les juges ne peuvent prononcer une peine d'une durée supérieure à celle fixée par la loi ;
Attendu que la cour d'appel, après avoir déclaré établi le délit poursuivi, a, notamment, ordonné l'affichage de la décision dans les locaux de la société Sollac Lorraine pendant trois mois ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la peine d'affichage encourue par la personne morale déclarée coupable du délit d'homicide involontaire prévu par l'article 221-6 du code pénal ne peut excéder la durée de deux mois, en application de l'article 131-35 du même code, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer la règle de droit, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du code de l'organisation judiciaire, et de mettre fin au litige ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Metz, en date du 10 novembre 2004, mais en ses seules dispositions ayant dit que l'affichage aura lieu pendant trois mois, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
FIXE à deux mois la durée de la mesure d'affichage de la décision ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Metz et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;