AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu les articles 29 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 1382 du code civil ;
Attendu que dans son édition d'octobre 2001, le magazine mensuel Entrevue, édité par la Société de conception de presse et d'édition (SCPE) a publié sous le titre, La France en danger, un dossier consacré à la sécurité de l'espace aérien français suite aux attentats terroristes perpétrés sur le territoire des Etats-Unis le 11 septembre 2001, destiné à informer les lecteurs sur le fait que la France ne serait pas à l'abri d'une attaque d'un avion-suicide "et sur le manque de transparence de l'information délivrée par des dirigeants civils et miliaires français" ;
que le magazine a envisagé trois scénarios d'attentats par la voie aérienne sur les villes de Paris, Lyon et Marseille et a réalisé trois photomontages dont l'un représentait un avion reproduisant sur l'empennage les éléments distinctifs de la compagnie American Airlines, qui s'encastrait sous la tour Eiffel ; que le même photomontage accompagné du titre "Mensonge d'Etat, la France en danger !" a été reproduit sur la couverture du magazine et sous forme d'affiches publicitaires placardées dans les points de vente du magazine ;
qu'estimant que cette publication constituait un trouble manifestement illicite en tant que portant atteinte à sa réputation et au droit de jouissance sur l'image d'un bien lui appartenant, la société American Airlines a assigné la Société de conception de presse et d'édition en paiement de la somme de 30 489,80 euros sur le fondement de l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour débouter la société SCPE de sa demande en annulation de l'assignation introductive d'instance et confirmer sa condamnation au paiement de dommages-intérêts, l'arrêt attaqué a énoncé tant par motifs propres qu'adoptés que, par le photomontage incriminé, le magazine portait atteinte tout à la fois à la réputation de la société American Airlines et à son droit de jouissance sur son image en insinuant dans l'esprit des lecteurs que les avions appartenant à cette dernière étaient les plus exposés aux risques d'attentat et que leur circulation au-dessus du territoire français présentait également un danger pour la population au sol ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'action engagée visait l'atteinte à la réputation de la société American Airlines par l'utilisation de son image ce qui la soumettait aux conditions dérogatoires du droit de la presse, la cour d'appel a violé les textes susvisés, par refus d'application des premiers et fausse application du dernier ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juillet 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société American Airlines aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de la société American Airlines ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente mai deux mille six.