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31/01/2006 | FRANCE | N°04-20689

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 31 janvier 2006, 04-20689


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu que, par jugement du 30 juin 1999, le tribunal de grande instance de Ouagadougou (Burkina Faso), la société française Delmas export a été condamnée, après compensation, à payer diverses sommes à "l'entreprise burkinabé O. X..." ; que, statuant sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 8 juin 2004, B. I n° 161), le président du tribunal de grande instance de Toulouse a rejeté la demande d'exequatur de cette décision comme étant contraire à l'ordre public interna

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Sur le pourvoi incident, qui est préalable et recevable :

Attendu ...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu que, par jugement du 30 juin 1999, le tribunal de grande instance de Ouagadougou (Burkina Faso), la société française Delmas export a été condamnée, après compensation, à payer diverses sommes à "l'entreprise burkinabé O. X..." ; que, statuant sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 8 juin 2004, B. I n° 161), le président du tribunal de grande instance de Toulouse a rejeté la demande d'exequatur de cette décision comme étant contraire à l'ordre public international ;

Sur le pourvoi incident, qui est préalable et recevable :

Attendu que la société Delmas export fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir écarté le privilège de juridiction qu'elle avait invoqué, alors, selon le moyen :

1 / qu'en se bornant à relever que la société Delmas export s'était défendue au fond devant les juridictions burkinabé et avait demandé des délais de paiement sans se prévaloir du privilège de juridiction qu'elle n'avait invoqué que dans le cadre de l'appel du jugement faisant droit à son recours en révision du jugement rendu le 30 juin 1999 par le tribunal de grande instance de Ouagadougou la condamnant à payer une certaine somme d'argent à l'entreprise O. X..., et qu'elle n'avait pas non plus sollicité le bénéfice du privilège devant le juge saisi de la demande d'exequatur en France de ce jugement, le président du tribunal qui, bien qu'il y ait été invité, ne s'est pas expliqué sur la circonstance que, s'étant trouvée défenderesse à la demande reconventionnelle en paiement formulée par l'entreprise O. X... et accueillie par le jugement du 30 juin 1999, c'est pour défendre les actifs qu'elle possède au Burkina Faso que la société Delmas export a formé la demande tendant, à la faveur d'une instance distincte, à obtenir des délais de paiement et le recours en révision de ce même jugement, ces deux procédures ne pouvant, par hypothèse, qu'être engagées devant les juridictions burkinabé, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 15 du Code civil, ensemble l'article 36 de l'accord de coopération judiciaire du 24 avril 1961 liant la France au Burkina Faso ;

2 / qu'en ne répondant pas aux conclusions de la société Delmas export faisant valoir que, devant le tribunal de grande instance de Ouagadougou ayant à statuer au fond sur la demande reconventionnelle de l'entreprise O. X..., elle avait dénié tout effet en France de l'ordonnance de référé du 18 février 1999 ayant désigné un expert, le président du tribunal a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / qu'en s'interrogeant uniquement sur les moyens soulevés par la société Delmas export devant le juge de l'exequatur de Bordeaux pour affirmer qu'elle aurait renoncé au bénéfice du privilège de juridiction, sans prendre en considération le fait que c'est la même instance qui se poursuivait devant lui, le président du tribunal de grande instance de Toulouse a violé l'article 15 du Code civil, ensemble les articles 36 de l'accord de coopération judiciaire du 24 avril 1961 liant la France et le Burkina Faso, 625 et 631 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que le juge de l'exequatur ayant relevé que la société Delmas Export avait conclu à de nombreuses reprises en qualité de défenderesse reconventionnelle dans l'instance qu'elle avait intentée à l'encontre de M. X... sans invoquer même tacitement le privilège de juridiction, a, par ce seul motif, pu en déduire que ce comportement caractérisait une manifestation non équivoque de volonté de renoncer à ce privilège, peu important l'attitude procédurale adoptée lors des instances en exequatur ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi principal :

Vu les articles 36 et 39 de l'accord de coopération en matière de justice entre la République française et la République de Haute-Volta du 24 avril 1961, ensemble les principes qui gouvernent les conflits de juridiction ;

Attendu que le juge chargé de l'exequatur d'une décision rendue par une juridiction étrangère doit vérifier, par référence à l'ensemble de la procédure suivie à l'étranger, si la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public international de procédure ;

Attendu que pour rejeter la demande d'exequatur du jugement rendu le 30 juin 1999 par le tribunal de grande instance de Ouagadougou condamnant la société Delmas export à payer diverses sommes d'argent à M. X..., l'ordonnance attaquée retient que, pour fixer le montant de la condamnation, cette décision se fonde sur les conclusions d'un expert lié par un contrat d'assistance comptable et fiscal à M. X..., que cet élément caractérise le défaut objectif d'indépendance et, par là même, la partialité de cet expert, de sorte que l'exigence d'un procès équitable au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui fait partie de l'ordre procédural public français, n'a pas été respectée ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il avait constaté que la société Delmas export avait exercé dans l'Etat d'origine tous les recours contre cette décision et que le recours en révision fondé sur le défaut d'impartialité de l'expert avait pu être examiné par le juge étranger conformément aux règles de procédure de l'Etat d'origine, de sorte que, sauf à procéder à une révision de la décision étrangère, ce qui est interdit, le juge de l'exequatur a violé le texte et les principes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 28 octobre 2004, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Toulouse ;

Vu l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'exequatur du jugement rendu le 30 juin 1999 par le tribunal de grande instance de Ouagadougou ;

Condamne la société Delmas export aux dépens des instances suivies devant les juges de l'exequatur des tribunaux de grande instance de Bordeaux et de Toulouse et devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Delmas export à payer à M. X... la somme de 2 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, Première chambre civile, et prononcé par le premier président en son audience publique du trente et un janvier deux mille six.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 04-20689
Date de la décision : 31/01/2006
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° CONFLIT DE JURIDICTIONS - Compétence internationale - Privilège de juridiction - Article 15 du code civil - Renonciation - Preuve - Volonté non équivoque de renoncer - Caractérisation - Applications diverses.

1° RENONCIATION - Renonciation tacite - Preuve - Volonté non équivoque de renoncer - Caractérisation - Applications diverses.

1° Le juge de l'exequatur qui relève qu'une société française a conclu à de nombreuses reprises en qualité de défenderesse reconventionnelle dans une instance qu'elle avait intentée à l'étranger à l'encontre d'une entreprise de droit local, sans invoquer même tacitement le privilège de juridiction de l'article 15 du code civil, a, par ce seul motif, pu en déduire que ce comportement caractérisait une manifestation non équivoque de volonté de renoncer à ce privilège, peu important l'attitude procédurale adoptée lors des instances en exequatur.

2° CONFLIT DE JURIDICTIONS - Effets internationaux des jugements - Conditions - Absence de contrariété à l'ordre public international - Office du juge - Etendue - Détermination.

2° CONVENTIONS INTERNATIONALES - Accords et conventions divers - Accord franco-burkinabé du 24 avril 1961 - Exequatur - Conditions - Absence de contrariété à l'ordre public international - Office du juge - Etendue - Détermination 2° CONFLIT DE JURIDICTIONS - Effets internationaux des jugements - Conditions - Absence de contrariété à l'ordre public international - Caractérisation - Applications diverses.

2° Le juge chargé de l'exequatur d'une décision rendue par une juridiction étrangère doit vérifier, par référence à l'ensemble de la procédure suivie à l'étranger, si la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public international de procédure. Qu'ainsi, sauf à procéder à une révision prohibée de la décision étrangère, la demande d'exequatur d'un jugement étranger ne peut être refusée, pour être contraire à l'ordre public international français, motif pris de ce que cette décision se fonderait sur les conclusions d'un expert lié par contrat à l'une des parties et présenterait un défaut objectif d'indépendance, alors que tous les recours contre cette décision avaient été exercés dans l'Etat d'origine et que le recours en révision fondé sur le défaut d'impartialité de l'expert avait pu être examiné par le juge étranger conformément aux règles de procédure de cet Etat.


Références :

1° :
2° :
Accord franco-burkinabé du 24 avril 1961 art. 36 d, art. 39
Code civil 15

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Toulouse (président), 28 octobre 2004


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 31 jan. 2006, pourvoi n°04-20689, Bull. civ. 2006 I N° 39 p. 39
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2006 I N° 39 p. 39

Composition du Tribunal
Président : Premier président : M. Canivet.
Avocat général : Mme Petit.
Rapporteur ?: M. Gueudet.
Avocat(s) : Me Foussard, SCP Monod et Colin.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2006:04.20689
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