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07/12/2005 | FRANCE | N°02-15418

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 07 décembre 2005, 02-15418


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Joint les pourvois n° A 02-15418 et n° A 03-10316 qui sont connexes ;

Attendu que Georges X..., notaire à Abidjan depuis 1953, est décédé le 19 juin 1994, à Paris, où il était revenu en 1991 pour recevoir des soins ; qu'il a laissé pour lui succéder sa femme, Mme Anne Y..., veuve X... et ses trois enfants, M. Thierry X..., Mme Valérie X... et Mme Corinne X..., épouse Z... ; que sa succession se compose d'immeubles situés en France et en Côte-d'Ivoire, de biens

mobiliers ainsi que de divers actifs dépendant d'un trust aux îles Caïmans ; que...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Joint les pourvois n° A 02-15418 et n° A 03-10316 qui sont connexes ;

Attendu que Georges X..., notaire à Abidjan depuis 1953, est décédé le 19 juin 1994, à Paris, où il était revenu en 1991 pour recevoir des soins ; qu'il a laissé pour lui succéder sa femme, Mme Anne Y..., veuve X... et ses trois enfants, M. Thierry X..., Mme Valérie X... et Mme Corinne X..., épouse Z... ; que sa succession se compose d'immeubles situés en France et en Côte-d'Ivoire, de biens mobiliers ainsi que de divers actifs dépendant d'un trust aux îles Caïmans ; que par testament olographe, il a institué sa femme légataire de la quotité disponible la plus étendue permise par la loi qui sera applicable ; que par acte du 23 mai 1995, Mme veuve X... a déclaré opter pour le quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit des biens dépendant de la succession ; que le premier arrêt attaqué, après avoir dit que la loi ivoirienne était applicable à la succession mobilière, a ordonné une mesure de médiation judiciaire ;

que Mme veuve X..., ayant demandé le bénéfice du droit de prélèvement prévu à l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819, le second arrêt attaqué a dit qu'elle prélèverait sur les biens situés en France une valeur équivalente au droit d'usufruit dont elle était exclue par la loi ivoirienne, a rejeté, en l'état, la demande que M. Thierry X... avait lui-même formée et a débouté Mme Valérie X... de sa demande en dommages-intérêts dirigée contre sa mère pour des pénalités et amendes payées par la succession ;

Sur les deux moyens réunis du pourvoi n° A 02-15.418 formé contre l'arrêt du 18 octobre 2001 ;

Attendu que Mme veuve X... et M. Thierry X... font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la loi ivoirienne devait s'appliquer à la succession mobilière de Georges X... préalablement à la désignation du médiateur, alors, selon le pourvoi :

1 / qu'en se prononçant ainsi, sans caractériser si l'ensemble des parties étaient d'accord de recourir à la médiation après que le juge ait tranché la question de droit applicable, la cour d'appel a privé de base légale sa décision au regard de l'article 131-1 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / qu'en ne répondant pas au moyen selon lequel Georges X..., s'il avait vécu en Côte d'Ivoire une partie de sa vie, il était venu se réinstaller en France dès 1991en raison de sa maladie et qu'il était resté jusqu'à son décès, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, que l'arrêt relève que si Georges X... était venu en France en 1991 pour des motifs de santé sans pouvoir revenir à Abidjan, tous les éléments de fait démontraient qu'il avait maintenu ses attaches et ses centres d'intérêts en Côte d'Ivoire et que dans son testament rédigé quelques mois avant son décès, il s'était lui-même domicilié à Abidjan ; que la cour d'appel a pu déduire de cette appréciation souveraine qu'il n'avait pas déplacé son domicile et que la loi ivoirienne devait s'appliquer à la succession mobilière de Georges X... dès lors que cette loi était celle du dernier domicile du défunt ;

Attendu, ensuite, que la décision d'ordonner une médiation judiciaire, qui ne peut s'exécuter qu'avec le consentement des parties, est une mesure d'administration judiciaire non susceptible d'appel ni de pourvoi en cassation ; que le moyen, mal fondé en sa première branche, est irrecevable en sa seconde ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° A 03-10. 316 formé contre l'arrêt du 10 octobre 2002, pris en sa première branche ;

Vu l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, le droit de prélèvement est une exception à l'application normale d'une règle de conflits de loi, qui, lorsque un héritier français se voit reconnaître par une loi successorale compétente des droits inférieurs à ceux qui résulteraient pour lui de l'application de la loi française, lui permet de prélever, sur les biens de la succession en France, une portion égale à la valeur des biens dont il est privé, à quelque titre que ce soit, en vertu de cette loi ou coutume locale ;

Attendu que pour dire Mme veuve X... bien fondée à prélever sur les biens situés en France une valeur équivalente au droit d'usufruit dont elle était exclue par la loi ivoirienne, l'arrêt attaqué retient que le conjoint survivant, héritier non réservataire au sens de l'article 767 du Code civil, peut exercer le droit de prélèvement prévu à l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ;

Qu'en statuant ainsi, alors que Mme veuve X... exerçait ses droits, non pas en sa qualité d'héritière qu'elle n'avait pas perdue, mais en se prévalant, en vertu du testament, de sa seule qualité de légataire de la quotité disponible la plus étendue, pour laquelle elle avait exercé son droit d'option, de sorte qu'elle ne pouvait pas se prévaloir du droit de prélèvement de l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819, la cour d'appel a violé par fausse application le texte susvisé ;

Et sur la deuxième branche du second moyen du même pourvoi ;

Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que pour rejeter la demande de Mme Valérie X... tendant à la condamnation de Mme veuve X..., sa mère, à prendre en charge personnellement les pénalités et amendes dues par la succession aux administrations fiscales françaises et ivoiriennes à compter du 13 juin 1995, l'arrêt relève qu'il n'est pas démontré que l'une ou l'autre des parties serait personnellement responsable de la longue durée des opérations de comptes, liquidation et partage alors que les droits en litige méritaient d'être discutés ;

Qu'en se prononçant par de tels motifs, sans examiner le fait générateur de responsabilité distinct qu'elle invoquait, consistant pour sa mère à s'opposer, malgré les termes du testament, à l'emploi des fonds successoraux pour le paiement, dans le délai légal, des droits de succession incombant à ses enfants, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

Et sur le pourvoi incident formé contre l'arrêt du 10 octobre 2002 par Mme veuve X... et M. Thierry X..., pris en sa première branche ;

Vu l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ;

Attendu pour "rejeter en l'état" la demande de M. Thierry X... fondée sur le droit de prélèvement, l'arrêt décide qu'il ne pouvait être retenu à ce jour que celui-ci serait, sur le trust constitué par Georges X... courant 1981 aux îles Caïmans, exclu de la succession de son père et que la modification contractuelle apportée en 1993 à ce trust n'était appelée à recevoir application qu'au décès de Mme Anne X... et à la condition que M. Thierry X... lui survive ou qu'il laisse des descendants survivants ;

Qu'en statuant par un motif inopérant, sans rechercher, alors que Georges X... avait stipulé en 1993 qu'à son décès, le dépositaire du trust devrait payer ou affecter le revenu net du fonds à son épouse et à ses enfants à parts égales (article III B), si cette clause, selon la loi ivoirienne déclarée applicable à la succession mobilière dont dépendait le trust, et compte tenu de la nature juridique de ce trust, portait atteinte aux droits réservataires de M. Thierry X... dès le décès de son père, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des moyens ;

REJETTE le pourvoi n° A 02-15.418 formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 octobre 2001 ;

CASSE ET ANNULE, l'arrêt rendu le 10 octobre 2002 par la cour d'appel de Paris, mais seulement en ce que Mme veuve X... a été jugée bien fondée à exercer le droit de prélèvement prévu à l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819, en ce que la demande de M. Thierry X..., sur ce même fondement a été "rejetée en l'état" et en ce que la demande de Mme Valérie X... tendant à la condamnation de Mme veuve X..., sa mère, à prendre en charge personnellement les pénalités et amendes dues par la succession aux administrations fiscales françaises et ivoiriennes à compter du 13 juin 1995 a été rejetée, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille cinq.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 02-15418
Date de la décision : 07/12/2005
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° PROCEDURE CIVILE - Mesure d'administration judiciaire - Définition - Décision ordonnant une médiation judiciaire - Portée.

1° CASSATION - Décisions susceptibles - Décision ayant un caractère juridictionnel - Décision ordonnant une médiation judiciaire (non) 1° APPEL CIVIL - Décisions susceptibles - Décision ayant un caractère juridictionnel - Décision ordonnant une médiation judiciaire (non).

1° La décision d'ordonner une médiation judiciaire, qui ne peut s'exécuter qu'avec le consentement des parties, est une mesure d'administration judiciaire non susceptible d'appel ni de pourvoi en cassation.

2° SUCCESSION - Héritier - Héritier français - Dévolution soumise à une loi étrangère - Droit de prélèvement - Exclusion - Cas - Conjoint survivant exerçant ses droits en qualité de légataire.

2° CONFLIT DE LOIS - Succession - Droit de prélèvement de l'héritier français - Loi du 14 juillet 1819 - Personne bénéficiant du prélèvement - Exclusion - Cas - Conjoint survivant exerçant ses droits en qualité de légataire.

2° Aux termes de l'article 2 de la loi du 14 juillet 1819, le droit de prélèvement est une exception à l'application normale d'une règle de conflits de loi, qui, lorsqu'un héritier français se voit reconnaître par une loi successorale compétente des droits inférieurs à ceux qui résulteraient pour lui de l'application de la loi française, lui permet de prélever, sur les biens de la succession en France, une portion égale à la valeur des biens dont il est privé, à quelque titre que ce soit, en vertu de cette loi ou coutume locale. Le conjoint survivant, héritier, qui exerce ses droits sur la succession en sa seule qualité de légataire de la quotité disponible la plus étendue, ne peut pas bénéficier du droit de prélèvement du texte susvisé. Doit être cassé l'arrêt qui reconnaît au conjoint survivant le bénéfice de cette disposition alors qu'en l'espèce, celui-ci exerçait ses droits, non pas en sa qualité d'héritier qu'il n'avait pas perdue, mais en raison de sa seule qualité testamentaire de légataire de la quotité disponible la plus étendue dont il s'était prévalu en exerçant son droit d'option.

3° SUCCESSION - Héritier - Héritier français - Dévolution soumise à une loi étrangère - Droit de prélèvement - Demande - Office du juge - Etendue - Recherche relative à la valeur des biens dévolus par la loi successorale étrangère.

3° CONFLIT DE LOIS - Succession - Droit de prélèvement de l'héritier français - Loi du 14 juillet 1819 - Demande - Office du juge - Etendue - Recherche relative à la valeur des biens dévolus par la loi successorale étrangère.

3° Doit être cassé pour manque de base légale l'arrêt qui " rejette en l'état " la demande d'un héritier réservataire fondée sur le droit de prélèvement relative à un trust constitué par le de cujus sur des biens aux îles Caïmans, sans rechercher si, selon la loi applicable à la succession mobilière dont dépendait le trust et compte tenu de la nature juridique de ce trust, la stipulation contractuelle qui lui était applicable ne portait pas atteinte à sa réserve.


Références :

3° :
Loi du 14 juillet 1819 art. 2

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 18 octobre 2001


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 07 déc. 2005, pourvoi n°02-15418, Bull. civ. 2005 I N° 484 p. 406
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2005 I N° 484 p. 406

Composition du Tribunal
Président : M. Ancel.
Avocat général : M. Cavarroc.
Rapporteur ?: M. Pluyette.
Avocat(s) : la SCP Monod et Colin, la SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2005:02.15418
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