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30/11/2005 | FRANCE | N°04-13877

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 30 novembre 2005, 04-13877


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu que M. Le X..., employé comme journaliste depuis mars 1971 par la société Ouest France, était en dernier lieu chef d'agence à La Ferté-Bernard ; qu'il a été licencié par lettre du 19 mai 1995 dans les termes suivants : "Vous avez eu à l'égard de vos collègues féminines de la rédaction de La Ferté-Bernard des gestes ayant une évidente signification sexuelle, ces gestes ayant entraîné, par le refus des intéressées, une dégradation des

relations professionnelles dans la rédaction. Un tel comportement vis-à-vis de subordo...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu que M. Le X..., employé comme journaliste depuis mars 1971 par la société Ouest France, était en dernier lieu chef d'agence à La Ferté-Bernard ; qu'il a été licencié par lettre du 19 mai 1995 dans les termes suivants : "Vous avez eu à l'égard de vos collègues féminines de la rédaction de La Ferté-Bernard des gestes ayant une évidente signification sexuelle, ces gestes ayant entraîné, par le refus des intéressées, une dégradation des relations professionnelles dans la rédaction. Un tel comportement vis-à-vis de subordonnées est constitutif de faute grave " ; que M. Le X... a saisi la commission arbitrale des journalistes d'une demande en paiement de l'indemnité de licenciement sur le fondement de l'article L. 761-5 du Code du travail ;

que, par arrêt du 12 juin 1997, la cour d'appel de Paris a annulé la sentence arbitrale et, statuant au fond, a sursis à statuer dans l'attente de l'issue de l'instance pénale initiée par la plainte avec constitution de partie civile de l'une des deux salariées nommées dans la lettre de licenciement comme s'étant plainte à l'employeur du comportement du chef d'agence ; que, par arrêt devenu définitif, la cour d'appel d'Orléans a confirmé le jugement du tribunal correctionnel ayant relaxé M. Le X... des chefs d'agression sexuelle et de harcèlement sexuel ;

Attendu que la société Ouest France fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 12 février 2004) de l'avoir condamnée à payer à M. Le X... une indemnité en application de l'article L. 761-5 du Code du travail, alors, selon le moyen :

1 / que la société exposante faisait valoir avoir licencié le salarié pour avoir eu à l'égard de ses collègues féminins des gestes ayant une évidente signification sexuelle, gestes ayant entraîné par le refus des intéressées une dégradation des relations professionnelles dans la rédaction, les faits étant confirmés par Mmes Y..., Sylvie Z... et A... et B..., les salariés faisant état des avances répétées de M. Le X..., lequel n'avait pas hésité à se rendre au domicile des salariées ; qu'ayant relevé le témoignage de Mme Y..., faisant état des "essais de drague" de M. Le X..., et de la dégration des relations professionnelles avec M. Le X... à la suite du refus qu'elle lui a opposé, la cour d'appel qui affirme que les allégations sont imprécises, que les faits dénoncés ne se sont pas produits sur les lieux du travail, mais au domicile de Mme C..., où elle avait reçu son supérieur hiérarchique dans des conditions indéterminées, sans préciser en quoi le fait pour un supérieur hiérarchique de se rendre au domicile d'une collaboratrice, en vue d'y avoir des relations avec celle-ci, ne constituait pas une faute grave, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 122-5, L. 122-46 et suivants et L. 761-5 du Code du travail ;

2 / que la société exposante faisait valoir le témoignage de Mme Y..., de Mme Edith B... et de Mlle Z..., dont il ressortait que le supérieur hiérarchique avait un comportement inadapté à l'égard de ses collaboratrices, usant de sa qualité pour obtenir des relations sexuelles en s'imposant à leur domicile ; qu'en relevant chacun de ces témoignages isolément, sans rechercher s'il ne résultait pas de l'ensemble de ces témoignages, Mme Y... précisant, en outre, que M. Le X... avait eu le même comportement à l'égard d'autres collègues féminines, l'existence de faits répétés constitutifs d'une faute grave, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 722-5 et suivants du Code du travail ;

3 / que Mlle Z..., laquelle avait porté plainte contre M. Le X..., relatait les faits de harcèlement de ce dernier, lequel était même, de sa propre initiative, venu à son domicile personnel, ce dont attestaient ses père et mère ; qu'en affirmant que les seuls faits éventuellement pertinents sont ceux dénoncés par Sylvie Z..., qui ne reposent que sur ces seules affirmations, qui apparaissent fragiles, puisqu'aussi bien dénonçant le comportement à son égard de M. Le X..., elle s'est abstenue de préciser qu'elle avait eu une relation sexuelle avec lui, dont rien ne permet de dire qu'elle n'aurait pas été librement acceptée, que cette circonstance et le silence à cet égard de Sylvie Z... dans sa lettre de dénonciation tendent à accréditer les affirmations de M. Le X... selon lesquelles il a eu avec Sylvie Z... une liaison relevant de la sphère privée, la cour d'appel qui ne relève aucun fait à l'appui de telles affirmations en l'état du comportement de M. Le X..., a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

4 / que Mlle Z..., laquelle avait porté plainte contre M. Le X..., relatait les faits de harcèlement de ce dernier, lequel était même, de sa propre initiative, venu à son domicile personnel, ce dont attestaient ses père et mère ; qu'en affirmant que les seuls faits éventuellement pertinents sont ceux dénoncés par Sylvie Z..., qui ne reposent que sur ces seules affirmations, qui apparaissent fragiles, puisqu'aussi bien dénonçant le comportement à son égard de M. Le X..., elle s'est abstenue de préciser qu'elle avait eu une relations sexuelle avec lui, dont rien ne permet de dire qu'elle n'aurait pas été librement acceptée, que cette circonstance et le silence à cet égard de Sylvie Z... dans sa lettre de dénonciation tendent à accréditer les affirmations de M. Le X... selon lesquelles il a eu avec Sylvie Z... une liaison relevant de la sphère privée, sans rechercher si l'ambiguïté de la situation relevée ne caractérisait pas les faits de harcèlement sexuel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 122-5, L. 122-46 et suivants et L. 761-5 et suivants du Code du travail ;

5 / que la société exposante faisait valoir que si Mlle Z... a pu indiquer dans la suite de son témoignage avoir eu un rapport intime avec M. Le X..., cela ne signifiait pas qu'elle aurait été consentante, dès lors qu'elle s'était opposée à ce qu'il l'importune davantage à l'avenir, la mère de Mlle Z... attestant des faits de harcèlement de M. Le X... ;

qu'en retenant que les seuls faits impertinents sont ceux dénoncés par Sylvie Z..., qui ne reposent que sur ces seules affirmations, qui apparaissent fragiles, puisqu'aussi bien dénonçant le comportement à son égard de M. Le X... dans le bureau d'Emile, elle s'est abstenue de préciser qu'elle avait eu avec lui une relation sexuelle, dont rien ne permet de dire qu'elle n'aurait pas été librement acceptée, que cette circonstance et le silence à cet égard de Sylvie Z... dans sa lettre de dénonciation tendent à accréditer les affirmations de M. Le X..., selon lesquelles il avait eu avec Sylvie Z... une liaison relevant de la sphère privée, que les attestations et dépositions des père et mère de Sylvie Z... ne sont que l'écho des confidences qu'elle leur a faites et ne comportent aucun élément objectif permettant de confondre M. Le X..., sans rechercher ni préciser si cette relation intime n'était pas la conséquence de la qualité de supérieur hiérarchique de M. Le X... et des faits de harcèlement dénoncés et parant si elle n'avait pas été imposée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 122-5 et suivants, L. 122-46 du Code du travail et L. 761-5 dudit Code ;

6 / que le père de Sylvie Z... a attesté avoir vu M. Le X... venir à la maison parfois pour le travail et éventuellement pour "autre chose" ; qu'en affirmant que les attestations et dépositions des père et mère de Sylvie Z... ne sont que l'écho des confidences qu'elle leur a faites et ne comportent aucun élément objectif leur permettant de confondre M. Le X... sans préciser en quoi ces déclarations ne constituaient pas des faits constatés par M. Le X..., la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

7 / que la société exposante faisait valoir que les relations professionnelles s'étaient dégradées dès lors que les salariées avaient refusé de céder aux avances de leur supérieur hiérarchique ; qu'en ne recherchant pas si une telle circonstance ne résultait pas du comportement de M. Le X..., la cour d'appel a violé les articles 122-5 et suivants, L. 122-46 du Code du travail ;

8 / que la société exposante faisait valoir que M. D... précisait que M. Le X... lui aurait indiqué que le départ de Mlle Z... aurait été envisagé dans le cadre de la restructuration du secteur protégé, M. D... lui ayant rétorqué "qu'il racontait des salades", laissant par là même entendre qu'il n'était pas dupe de son intention de tirer profit de la restructuration pour se séparer de Mlle Z..., qui l'avait repoussé, que M. D... a reconnu l'existence de harcèlement sexuel, puisqu'il a déclaré qu'il avait pris fin ; qu'en retenant seulement que M. D... a procédé à une enquête approfondie et a déclaré qu'il n'avait pas recueilli de témoignages autres sur le comportement de M. Le X... sans statuer sur le moyen dont elle était saisie, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que chacun a droit au respect de sa vie privée ; qu'il en résulte qu'il ne peut être procédé à un licenciement pour une cause tirée de la vie privée du salarié que si le comportement de celui-ci crée un trouble objectif caractérisé au sein de l'entreprise ;

Et attendu qu'appréciant la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a retenu, d'abord, que les déclarations de l'une des subordonnées qui s'étaient plaintes du comportement de M. Le X... étaient imprécises et relataient des faits qui ne s'étaient pas produits sur le lieu du travail mais à son domicile et que le témoignage d'une autre, se plaignant seulement d'avoir reçu pour des motifs professionnels des visites ou des communications téléphoniques à un rythme qui l'indisposait, ne contenait aucun grief précis, ensuite, que les déclarations de celle qui avait initié la procédure pénale accréditaient les affirmations du chef d'agence selon lesquelles il avait eu, avec elle, une liaison relevant de la sphère privée et, enfin, qu'aucun élément n'établissait que M. Le X... avait eu un comportement de harcèlement à l'égard d'autres collègues féminines ;

qu'elle a ainsi pu décider que la preuve n'était pas rapportée d'une faute grave ou de fautes répétées au sens de l'article L. 761-5 du Code du travail ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Ouest France aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Ouest France à payer à M. Le X... la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille cinq.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 04-13877
Date de la décision : 30/11/2005
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Cause - Cause réelle et sérieuse - Applications diverses - Attitude du salarié - Comportement créant un trouble caractérisé au sein de l'entreprise.

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Respect de la vie privée - Atteinte - Défaut - Cas - Licenciement pour une cause tirée de la vie privée du salarié - Conditions - Trouble objectif caractérisé au sein de l'entreprise

Chacun a droit au respect de sa vie privée. Il en résulte qu'il ne peut être procédé à un licenciement pour une cause tirée de la vie privée du salarié que si le comportement de celui-ci crée un trouble objectif caractérisé au sein de l'entreprise. Ayant retenu que les déclarations des collègues féminines s'étant plaintes du comportement de leur supérieur hiérarchique, journaliste et chef d'agence, étaient imprécises ou relataient des faits ne s'étant pas produits sur le lieu du travail, et que les déclarations de celle qui avait déposé plainte pour agression sexuelle et harcèlement sexuel, qui avait été suivie d'une décision définitive de relaxe, accréditaient les affirmations du salarié selon lesquelles il avait eu avec elle une liaison relevant de la sphère privée, la cour d'appel a pu décider que la preuve n'était pas rapportée d'une faute grave ou de fautes répétées au sens de l'article L. 761-5 du Code du travail (arrêt n° 1). Encourt la cassation l'arrêt qui décide que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse " ne serait-ce qu'en raison de la nécessaire dégradation des relations professionnelles au sein d'une rédaction composée de quelques salariés " sans caractériser le trouble objectif causé à l'entreprise par le comportement du même salarié (arrêt n° 2).


Références :

Code civil 9
Code du travail L120-2, L122-14-3, L761-5

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 12 février 2004

Sur la validité d'un licenciement pour une cause tirée de la vie privée d'un salarié, dans le même sens que : Chambre sociale, 1992-06-30, Bulletin 1992, V, n° 429, p. 265 (cassation partielle) et l'arrêt cité. Sur la validité d'un licenciement pour une cause tirée de la vie personnelle d'un salarié, à rapprocher : Chambre sociale, 1998-12-16, Bulletin 1998, V, n° 559, p. 417 (cassation)

arrêt cité ; Chambre sociale, 2003-10-21, Bulletin 2003, V, n° 259, p. 265 (cassation)

arrêt cité.


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 30 nov. 2005, pourvoi n°04-13877, Bull. civ. 2005 V N° 343 p. 302
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2005 V N° 343 p. 302

Composition du Tribunal
Président : Mme Mazars, conseiller le plus ancien faisant fonction et rapporteur.
Avocat général : M. Legoux.
Rapporteur ?: Président : Mme Mazars, conseiller le plus ancien faisant fonction et rapporteur.
Avocat(s) : la SCP A. Bouzidi, Ph. Bouhanna, la SCP Waquet, Farge et Hazan.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2005:04.13877
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