AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à la banque Palatine de sa reprise d'instance aux droits et obligations de la banque San Paolo ;
Met hors de cause, sur leur demande, M. X..., la banque BNP Paribas, le Crédit du Nord et le Crédit lyonnais qui ne sont pas concernés par les griefs des pourvois ;
Attendu qu'ayant découvert, après la démission de M. Y..., comptable qu'elle avait recruté par l'intermédiaire de la société Eggo conseils, que celui-là avait, avec des complices, détourné à son préjudice une centaine de chèques émis sous la signature contrefaite de son gérant, M. Z..., la société Gaillard, aux droits de laquelle agit la société ATM, a, après dépôt d'une plainte ayant notamment abouti à la condamnation pénale du comptable indélicat, recherché, avec M. Z..., la responsabilité de la société Eggo conseils, celle de M. X..., expert-comptable, ainsi que celle des banques tirée et présentatrices des chèques litigieux, respectivement les banques BNP Paribas, Crédit du Nord, Crédit lyonnais et San Paolo ; que la Mutuelle du Mans, qui avait partiellement indemnisé la société Gaillard, a, sur le fondement de la subrogation, poursuivi le remboursement de cette indemnité à l'encontre de la société Eggo conseils ;
Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches, du pourvoi principal de la société Eggo conseils :
Attendu que la société Eggo conseils fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déclarée responsable du préjudice subi du fait des agissements frauduleux de M. Y..., alors, selon le moyen :
1 / que l'obligation de moyens à laquelle est tenu un cabinet de recrutement consiste à présenter à son client un salarié sélectionné en fonction de sa compétence et de son expérience au regard du poste à pourvoir; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations suivant lesquelles le candidat présenté avait été embauché, confirmé dans son poste à l'issue de la période d'essai et était resté au service de la société Gaillard dix huit mois avant de démissionner, d'où il résultait que le candidat convenait parfaitement et que le cabinet avait rempli son obligation, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ;
2 / qu'en reprochant à la société Eggo de ne pas suffisamment prouver les diligences accomplies, alors que c'est au créancier d'une obligation de moyens de prouver que son débiteur n'a pas déployé la diligence nécessaire à l'objet de son obligation, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;
3 / qu'en se fondant sur les circonstances que le cabinet de recrutement ne prouvait pas les diligences accomplies et n'avait pas opéré certaines vérifications, inopérantes pour établir un manquement à ses obligations, dès lors que l'embauche du salarié à l'issue de sa période d'essai établissait qu'il convenait à l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
4 / qu'en ne répondant pas aux conclusions de la société Eggo qui faisaient valoir qu'en tout état de cause, la modification des fonctions de M. Y... et de leurs conditions d'exercice du fait de la société Gaillard postérieurement à l'embauche excluait toute responsabilité de sa part, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
5 / qu'en retenant que le fait de ne pas demander au candidat à un poste de comptable non-cadre devant exercer sa mission sous la surveillance et le contrôle de son supérieur, un extrait du casier judiciaire, constituait une faute du cabinet de recrutement, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, après avoir exactement retenu que si, par principe, le conseil en recrutement n'était pas responsable des agissements ultérieurs du salarié embauché grâce à son entremise, il devait néanmoins répondre des conséquences dommageables de l'inexécution des obligations qui lui incombaient en vertu du contrat conclu avec son client, a relevé que, sur la recherche de la société Gaillard d'un comptable confirmé, expérimenté en comptabilité des copropriétés et disposant de connaissances en informatique, la société Eggo conseils s'était obligée à apporter tous les soins et diligences dans la sélection des candidats pour l'emploi en cause ;
qu'ayant constaté, sans inverser la charge de la preuve, que cette société n'avait opéré aucune vérification des informations portées sur le curriculum vitae de M. Y..., tant en ce qui concerne les diplômes invoqués que les emplois déclarés, ni même attiré l'attention de la société Gaillard sur cette absence de vérification et sur les risques d'une embauche dans de telles conditions, la cour d'appel a pu décider que la société Eggo conseils avait commis une faute dans l'exécution des obligations qu'elle avait souscrites et devait par conséquent répondre de ses manquements ; que, par ailleurs, la cour d'appel n'avait pas à répondre à l'allégation, dépourvue d'offre de preuve, selon laquelle la société Gaillard avait modifié les attributions de M. Y... ; qu'inopérant en sa dernière branche qui critique un motif surabondant, le moyen est mal fondé en ses autres griefs ;
Et sur le second moyen, pris en ses deux branches, du même pourvoi :
Attendu que la société Eggo conseils fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamné à réparation, alors, selon le moyen :
1 / que les détournements de fonds commis par un salarié plusieurs mois après son embauche par l'employeur, de surcroît à la suite d'une période d'essai, ne constituent pas un dommage prévisible ni une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention conclue avec le conseil en recrutement qui avait présenté le candidat ; qu'en condamnant la société Eggo conseil à réparer un tel préjudice, la cour d'appel a violé les articles 1150 et 1151 du Code civil ;
2 / que la clause du contrat de recrutement prévoyant qu'en cas d'échec de la mission de recrutement concrétisée par la non-titularisation à l'issue de la période d'essai, le conseil s'engage à procéder à une nouvelle mission de recrutement implique sans la moindre ambiguïté que le conseil en recrutement n'encourt aucune responsabilité une fois que le salarié a été titularisé; que, faute d'avoir appliqué cette clause claire et précise, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que, faisant ressortir le caractère prévisible du dommage qu'elle réparait, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que l'opération de recrutement litigieuse avait été réalisée pour le compte d'une entreprise de gestion particulièrement sensible et que le conseil en recrutement devait alerter sa cocontractante sur l'impossibilité où il s'était trouvé de lui fournir une information quelconque sur les antécédents professionnels et pénaux de M. Y... ; que, d'autre part, c'est à bon droit que la cour d'appel a considéré que la clause invoquée, applicable seulement en cas de non-titularisation à l'issue de la période d'essai, était étrangère au litige ; qu'en ses deux branches, le moyen n'est pas davantage fondé ;
Et sur le premier moyen, pris en ses deux branches, du pourvoi incident de la Mutuelle du Mans et sur le premier moyen du pourvoi provoqué de la société ATM et de M. Z..., réunis :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré la société Eggo conseils responsable pour moitié du préjudice subi par la société ATM à la suite des agissements frauduleux de M. Y..., alors, selon le moyen du pourvoi incident :
1 / qu'en l'absence de faute de la victime, chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est procédé entre eux et qui n'affecte pas l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée ; qu'en l'espèce, après avoir retenu l'absence de faute de M. Z... et de la société Gaillard, la cour d'appel a relevé que la société Eggo avait commis des fautes contractuelles ayant contribué à la réalisation du préjudice subi par la société Gaillard ; qu'en refusant néanmoins de mettre à la charge de la société Eggo la réparation de l'intégralité de ce préjudice, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1146 et 1203 du Code civil ;
2 / qu'en toute hypothèse, le juge doit, en toute circonstance, observer le principe de la contradiction et ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que les fautes de la société Eggo auraient seulement privé la société Gaillard de la possibilité d'exercer un choix éclairé de sorte que celle-ci ne pourrait prétendre qu'à la réparation de la moitié de son préjudice, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
et alors, selon le moyen du pourvoi provoqué, qu'en l'absence de faute du créancier, le débiteur doit réparer l'intégralité des conséquences dommageables de l'inexécution de ses obligations contractuelles; qu'en l'espèce, après avoir retenu l'absence de faute de M. Z... et de la société Gaillard, la cour d'appel a relevé que la société Eggo avait commis des fautes dans l'exécution de ses obligations essentielles ; qu'en refusant de mettre à la charge de cette société l'intégralité de la réparation du préjudice subi en raison de ces manquements, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, statuant sur les demandes et éléments de fait qui étaient dans le débat, a décidé que les manquements de la société Eggo conseils avaient privé la société Gaillard de la possibilité d'exercer un choix éclairé et évalué à une quotité qu'elle a souverainement appréciée la perte de chance dont le responsable devait réparation ; que, mal fondé en sa seconde branche, le moyen du pourvoi incident manque en fait en sa première ; que le moyen du pourvoi provoqué manque également en fait ;
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi incident de la Mutuelle du Mans et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi provoqué de la société ATM et de M. Z... :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour écarter la responsabilité de la banque San Paolo, la cour d'appel retient qu'il ne saurait être reproché à cette banque de ne pas avoir été alertée par les mouvements effectués par M. Y... sur le compte ouvert dans ses livres, par des dépôts de chèques répétés, certes, mais dont les montants, qui n'étaient pas anormalement élevés, n'étaient pas de ceux qui auraient dû attirer son attention ou par des retraits d'espèces dont le montant n'était pas précisé ;
Attendu, cependant, que la cour d'appel avait constaté que, pour l'ouverture du compte litigieux, M. Y... avait présenté une carte d'identité périmée portant une adresse différente de celle qu'il déclarait être la sienne et que le banque San Paolo ne justifiait pas avoir vérifié l'exactitude de cette indication, ce dont il résultait qu'il lui incombait de faire preuve d'une vigilance particulière relativement au fonctionnement du compte litigieux ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, sans tirer les conséquences légales de ses propres constatations, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen, pris en sa sixième branche, du pourvoi incident de la Mutuelle du Mans :
Vu l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que pour déclarer irrecevable la demande présentée par la Mutuelle du Mans contre M. Y..., en remboursement des indemnités versées à la Société française de révision, la cour d'appel a retenu que cette demande n'apparaissait pas avoir été formulée devant les juges du premier degré, qui n'en faisaient pas état et qu'il ne résultait pas des pièces de la procédure qu'elle avait été portée à la connaissance de M. Y... qui ne comparaissait pas en cause d'appel ;
Attendu, cependant, qu'en première instance, et alors que M. Y... était représenté par un avocat, la Mutuelle du Mans avait, sur le fondement d'une quittance subrogative, demandé la condamnation de ce dernier à lui payer la somme d'un million de francs qu'elle avait versée pour le compte de la Société française de révision, en raison des détournements que celui-ci avait commis au préjudice de son employeur, la société Thoraval ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la Mutuelle du Mans et ainsi violé le texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen du pourvoi provoqué de la société ATM et de M. Z... :
Vu les articles L. 121-12 du Code des assurances et 1252 du Code civil ;
Attendu que dans le concours de l'assureur subrogé et de l'assuré subrogeant, ce dernier prime le premier jusqu'à concurrence du préjudice garanti ;
Attendu que pour condamner la société Eggo conseils à payer à la Mutuelle du Mans la somme de 46 496,95 euros, l'arrêt attaqué, après avoir décidé que les manquements de la société Eggo conseils justifiaient qu'elle soit tenue à réparer la moitié du préjudice, retient que la Mutuelle, qui détenait une quittance subrogative de son assuré pour un montant de 610 000 francs, était fondée à obtenir la condamnation de la société Eggo conseils dans la mesure de la part mise à sa charge ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition écartant la responsabilité de la banque San Paolo, en sa disposition déclarant irrecevable la demande formée par la Mutuelle du Mans contre M. Y..., au titre de l'indemnité versée pour le compte de la Société française de révision, et en sa disposition condamnant la société Eggo conseils, in solidum avec M. Y..., à payer à titre de dommages et intérêts, à la société ATM la somme de 142 955,61 euros, à M. Z... celle de 3 811,23 euros et à la Mutuelle du Mans celle de 46 496,95 euros, avec intérêts, l'arrêt rendu le 13 décembre 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens à l'exclusion de ceux exposés par M. X..., la banque BNP Paribas, le Crédit du Nord et le Crédit lyonnais qui seront supportés par la société Eggo conseils ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette toutes les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux novembre deux mille cinq.